Ils sont jeunes, prennent les crises en pleine face et ont décidé de basculer. De construire un monde plus écologique et solidaire. Ils racontent leur combat dans le cahier militant Basculons qui vient de sortir aux éditions Actes Sud. Laure Noualhat, journaliste, autrice, réalisatrice pose son regard sur cette génération.
J’ai jugé très durement ceux et celles qui m’avaient précédée pour s’être laissé berner par les sirènes du progrès, de l’émancipation par la consommation et de l’ascension sociale comme unique rapport au monde. Je juge encore férocement ceux et celles qui se lovent dans le toboggan de la paresse intellectuelle. Forcément, je suis un peu bouche bée, admirative et rassurée par ces générations futures – bien présentes – qui s’ébrouent pour aligner leurs planètes au plus vite. Le souffle court, certain(e)s donnent tout, balancent leurs atavismes par-dessus bord et voguent vers de nouvelles façons d’être, de vivre et d’œuvrer ensemble. Je ne suis personne pour encourager tout le monde mais je fais comme chacun : je gonfle les voiles et tiens la barre. Nous sommes dans le même bateau, il flotte encore, des bourrasques d’“innovactions” nous entraînent vers ce petit point lumineux qui ressemble fort à un cap acceptable.
J’ai longtemps cru qu’avoir 20 ans en 2020 puait. Pourtant, ça m’a tout l’air d’être – aujourd’hui encore – l’âge fabuleux des possibles pour faire partie des vivants qui veulent le rester, pour maçonner son avenir, prendre les choses en main, bifurquer léger, jouir de chaque instant comme s’il était le dernier, exulter à pleins tubes car demain sera pire qu’hier. Voilà que l’insouciance n’a plus de place dans cet océan d’emmerdes. À sa place, le courage envahit tout. Le courage d’accepter les courants et les marées, les dépressions plus que les anticyclones. “L’urgence climatique ne relève pas de la prise de position, il n’y a pas de débat à avoir. L’urgence climatique n’est pas un choix, elle s’impose à nous à cause de nous”, écrit l’une d’entre vous, Caroline. Oui, on ne négocie pas avec la nature. On la respecte, on la chérit, on y surfe, elle est la pulsation de nos cœurs vibrants. Le courage, il en faut surtout pour faire un doigt d’honneur à son “moi comme trop bien huilé sur une autoroute de réussite et de reproduction sociale”, glisse Manon Conquer, citant Édouard Glissant : “Agis en ton lieu et pense avec le monde.”
J’envie les contributeurs de cet ouvrage d’être aussi matures, aussi prêts à en découdre pour opérer des changements de vie brutaux et sans appel. Ils sont jeunes, doués, beaux, blancs (en grande majorité), bien nés (en majorité), à l’aise (ou pas), éduqués... Ils ont la malchance des horizons bouchés, des rapports accablants et des sécheresses à répétition, mais surtout la chance de vivre ces temps où l’insensibilité se fendille et où les masques se repeignent en vert. Les générations futures très présentes se souviendront de l’époque comme d’un gigantesque changement de regard. L’histoire de demain s’écrit aujourd’hui. “En choisissant notre histoire, non seulement nous votons pour influencer le genre de monde dont les générations futures hériteront, mais nous transformons aussi nos propres vies dans l’ici et maintenant”, écrit Joanna Macy dans L’Espérance en mouvement. Un bon scénario peut agir à travers nous en illuminant un cap.
Ce qui résonne : une gratitude grande comme un big bang. Sur leurs rétines, des rêves non vains, cette flamme d’une infinie beauté qui tambourine à la tempe des horizons et des crépuscules. Elle éclaire le fond des grottes où l’on a désormais moins peur et où l’on se sent moins seul(e). Leur présence même vitalise, énergise, espérise. À mes oreilles, à mes yeux, ils sont la “suite du monde”. Ainsi que leurs enfants et leurs petits-enfants s’ils en ont. Peu importe l’âge, pourvu qu’on ait l’ivresse de ce foutur, l’envie d’en découdre, de faire la fête autant que de la facilitation... S’asseoir sur un tabouret à trois pieds : soigner son âme, soigner la Terre et soigner la société humaine où l’on est. Résister pour défendre ce qui reste du vivant, changer sa conscience et développer de nouvelles structures économiques et sociales, tel semble être le triptyque de la joie. Et les seuls deux ou trois trucs à faire !
Tempus fugit. Voilà ce que susurre mon tambour en lisant ces témoignages. Pendre nos désirs anciens à nos cous. Embarquer pour la belle aventure de l’écologie intérieure. Vivre l’instant présent comme Nicolas l’a vécu au milieu de sa traversée ratée, la vie sur la houle d’une si proche noyade.
Vivre à fond mais plus sans fond.