La partie immergée du numérique : comment le virtuel sape la planète

La partie immergée du numérique : comment le virtuel sape la planète

Combien de câbles sous-marins faut-il installer pour qu'on puisse lâcher un like sur les réseaux ? Enquête sur la face cachée du numérique.
22 February 2023
5 minutes de lecture

Lâcher un like sur les réseaux, ouvrir 10 onglets sur Wikipedia, se perdre parmi les mêmes de Yugnat999… Toutes ces activités virtuelles ne semblent pas très palpables, et pourtant ! Avec ses kilomètres de câbles sous-marins, ses milliers de data-centers et ses milliards de terminaux, le secteur du numérique a un poids bien réel. Pour y voir plus clair, on t’embarque dans la face cachée de l’infrastructure numérique.

Petite histoire des télécoms

28 août 1850. Le premier câble télégraphique est posé entre la France et l’Angleterre. Si sa durée de vie sera courte, très courte – 11 minutes – il préfigure une transformation profonde de nos sociétés. Pour la première fois, un message est transmis à des milliers de kilomètres de son lieu d’émission de manière quasi instantanée. Depuis le câble télégraphique a été remplacé par le câble à fibre optique, nettement plus performant en termes de débit. 99 % des flux numériques passent par ces câbles sous-marins, bien plus rapides et moins coûteux que les satellites. Pour nous connecter au réseau, ces câbles sont reliés à d’autres, terrestres, mis en place par les opérateurs de téléphonie notamment, à des antennes relais, des routeurs et à des datas centers. Ces centres de données hébergent et stockent des applications et, comme leur nom l’indique, des données. S’ajoutent à cela les terminaux, à savoir nos ordinateurs, smartphones ou tablettes. Voilà ce qui compose, en gros, le réseau numérique. Un réseau qui, malgré les apparences, est bien matériel.

Un secteur qui gonfle, qui gonfle… 

La preuve en chiffres. 172 années après la pose du tout premier câble télégraphique, plus d’un million de kilomètres de câbles tapissent nos océans. En 2021, 8 200 bâtiments hébergent des données dans le monde, dont 250 en France. La même année, plus d’1,5 milliard de smartphones sont vendus dans le monde. 400 millions d’ordinateurs se vendront cette année. De 2,1 terminaux connectés par individu en 2015, la moyenne mondiale a déjà augmenté à 3,6 cette année. En trois mots, le numérique c’est une croissance exponentielle récente. Vraiment récente, on parle là des toutes dernières années. Les infrastructures augmentent pour faire circuler et stocker un nombre de données toujours plus grand. Fanny Lopez, historienne de l’architecture et des techniques, dans son livre À bout de flux, estime que l’on multiplie le volume de nos données par dix tous les six ans ! 

Et qui laisse de plus en plus de traces

Tout ceci n’est bien sûr pas sans conséquences. Le secteur numérique consomme aujourd’hui 10 % de l’électricité mondiale et est responsable de 3,5 % des émissions de gaz à effet de serre. Les experts du Shift Project, un groupe de réflexion œuvrant pour une économie bas carbone, estiment que ce chiffre va doubler d’ici 2025. 

En 2025, le numérique consommera 25 % de l’électricité mondiale.

Si l’on décortique le secteur du numérique, on trouve néanmoins une bonne nouvelle. Une récente étude de l’Ademe, l’agence de la transition énergétique, et de l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (oui, tout ça), confirme que les terminaux, et en particulier les écrans et téléviseurs, génèrent l’essentiel des impacts environnementaux du secteur – entre 65 et 92 %. Suivent les centres de données – de 4 à 20 % – puis les réseaux – de 4 à 13 %. 

Et donc, la bonne nouvelle ? Il n’est pas évident de changer quoi que ce soit à des câbles sous marins en tant que citoyen, par contre réduire le nombre de terminaux chez soi et conserver ses équipements le plus longtemps possible, c’est à la portée de tous et toutes. 

C’est qui le patron ? 

S’intéresser au numérique, c’est un peu comme ouvrir la boîte de Pandore. Ou jouer aux poupées russes. Derrière chaque infrastructure se cache une foule de questions fondamentales. À commencer par qui pilote ce vaste monde numérique.

Comme le démontre Fanny Lopez, “le secteur public est KO face aux géants du numérique”. Les derniers câbles sous-marins ont été déployés par Google et Facebook. Ce dernier a tout récemment déroulé le plus grand câble du monde. Long de 45 000 kilomètres, il relie trois continents, fait le tour de l’Afrique et de tous les pays limitrophes jusqu’à l’Arabie Saoudite et s’interconnecte à Marseille. Facebook entend “révolutionner la connectivité africaine et l’interconnexion avec le Moyen-Orient et l’Europe”

Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) possèdent ainsi 70 % du câblage sous-marin. L’ensemble des données mondiales transitant par ces câbles, cela pose une question de dépendance évidente vis-à-vis de ces acteurs privés. La même logique se réplique sur les centres de données. Cette situation monopolistique dessine un numérique à l’image des GAFAM : “l’expansion infinie”, dans laquelle “l’accumulation et l’ivresse technologique du secteur numérique apparaissent en contradiction totale avec la décroissance énergétique et le tournant technique dans lesquels il faudrait s’engager”, dénonce Fanny Lopez.

Le clip de Gangnam Style a été vu plus d’1,7 milliard de fois en un an, il a consommé en électricité l’équivalent à une ville de 60 000 – 70 000 habitants.

Le numérique, pour quoi faire ? 

Finalement, la mainmise de ces acteurs tend à occulter la deuxième question fondamentale : à quoi le numérique sert-il ? Que veut-on en faire ? Vous connaissez la vidéo Gangnam Style du chanteur sud-coréen PSY ? Vue plus d’1,7 milliard de fois en un an, elle a consommé en électricité sur cette période l’équivalent d’une ville comme Troyes ou Issy-les-Moulineaux. Des villes de 60 000 – 70 000 habitants. 

Le numérique peut apporter d’immenses bienfaits, c’est certain. Entre réduction des trajets avec les nouveaux moyens de communication, amélioration des modélisations et prévisions, outil pour l’économie circulaire, la mise en réseau, le partage, il peut contribuer à une société plus écologique. Néanmoins, la trajectoire amorcée actuellement n’est pas celle de la sobriété. 

Piloté par les GAFAM, le numérique tend à monopoliser l’électricité (et l’attention, mais c’est encore un autre sujet) : en raison de leur développement, les centres de données réservent d’immenses quantités d’électricité que les opérateurs de service public sont obligés de leur délivrer, qu’importe la réalité de consommation, l’état du réseau et les conflits d’usage. Le tout à des fins capitalistiques. 

Bref, le tableau n’est pas joli joli mais il reste toujours un espace pour dessiner le numérique que l’on souhaite. La suite au prochain épisode.

Pour en savoir encore un peu plus


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