Inaction climatique, pourquoi le monde brûle et on regarde encore ailleurs

Inaction climatique, pourquoi le monde brûle et on regarde encore ailleurs

On fonce à grande vitesse dans mur du réchauffement climatique et tout le monde s'en fout ? Explications à base de philo et de socio.
23 August 2023
par Louise Pierga
4 minutes de lecture

C’est fou quand même ! On fonce à grande vitesse dans le mur du réchauffement climatique et on n’appuie toujours pas sur la pédale de frein. Qu’est-ce qui cloche dans nos caboches ? Explications à base de philo, de socio et de bon sang c’est bien sûr.

Vous connaissez la fable de la grenouille ? C’est l’histoire d’une rainette qui nageait tranquillement dans l’eau tiède d’une casserole quand tout d’un coup un grand méchant loup (il n’y a pas vraiment grand méchant loup mais c’est pour les besoins de la narration) allume le gaz et commence à faire chauffer l’eau à feu doux. La grenouille se dit “Mh dis donc, ça se réchauffe pardi” (elle ne dit pas vraiment “pardi” mais c’est pour les besoins de la narration) tandis que l’eau continue de chauffer. Elle continue de nager non sans effort jusqu’à ce que l’eau frémisse... Mais il est trop tard, prise au piège de l'ébullition, la grenouille passe l’arme à gauche. Fin. Musique triste. 

Pas besoin d’être HPI pour capter la métaphore. On est en pleine casserole frémissante, on sait que l’eau va bouillir à moyen terme et malgré ce constat inéluctable, on continue notre petit bout de chemin sans (trop) se poser de questions. Alors oui, on se dit qu’on trie, qu’on mange moins de viande, qu’on prend l’avion qu’une seule fois cette année et qu’on est super anti-gaspi en shoppant sur Vinted, mais dans le fond on ne bouscule pas vraiment nos habitudes. Et tout ça s’explique très bien.

La dépendance au sentier

Ou comment ne pas sortir des sentiers battus… Rien de tel qu’un petit concept socio-économique de derrière les fagots pour nous mettre sur la voie. Comme son nom l’indique, la dépendance au sentier montre que nos choix sont avant tout influencés par nos habitudes (ce joli sentier tout tracé). Cette inertie nous rendrait peu favorables au changement car dans le fond, c’est plus simple de faire comme on a toujours fait.

→ Et du coup, qu’est-ce qu’on peut faire à la place ? Si on suit la logique de cette théorie, il faut changer nos habitudes pour ne plus avoir l’impression de changer nos habitudes quand on devra changer nos habitudes. Kapito ?

Notre addiction prononcée pour le capitalisme

Vous pensez qu’on enfonce une porte ouverte ? Dites-vous plutôt que notre nonchalance à l’égard du dérèglement climatique fonctionne un peu de la même façon que notre flemme de faire la nique au système en place. Tant qu’on est dans un tel système, on tourne en rond, c’est pas pour rien que le marxiste Fredric Jameson affirmait qu’il était plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. 

À ce titre, le sociologue Denis Colombi prend l’exemple du temps pour nous montrer à quel point cette mesure universelle est imprégnée du capitalisme. Naturellement habitués à un sommeil “biphasique” (s’endormir avec la tombée du jour puis faire une veillée de quelques heures au milieu de la nuit avant de se recoucher jusqu’au lever du soleil) l’arrivée de l’électricité dans notre quotidien aurait changé jusqu'à notre façon de dormir. “Cette grande transformation du sommeil s’explique à la fois par la diffusion des éclairages artificiels et, surtout, par une organisation nouvelle du temps, liée aux transformations du travail et donc aux impératifs de l’industrialisation… et in fine au capitalisme”. On peut donc changer ce qu’on veut, travailler moins, changer nos modes de vie, la toile de fond répond à une logique capitaliste qu’aucun de nos comportements les plus écolo ne sauraient remettre réellement en question.

→ Et du coup comment on abat le capitalisme ? En cramant toute la monnaie de la planète (non je rigole faites pas ça, personne va suivre et vous allez foutre en l’air toutes vos économies).

Un petit excès de culpabilité

Les campagnes de sensibilisation n’hésitent pas à taper là où ça fait mal pour faire peser sur nos frêles épaules le poids du dérèglement climatique et de ses conséquences. Et c’est normal, la culpabilité peut servir de moteur à l’action… jusqu’à un certain point. Un excès de culpabilité peut au contraire s’avérer contre-productif et on se sent vite dépassé par l’ampleur du désastre en cours. Un sentiment d’impuissance qui ne résout rien. 

→ Et du coup comment on fait pour plus être impuissant ? On fait les choses à notre échelle dans un premier temps et on essaie d’être dans l’action. La bonne nouvelle c’est que plus on s’implique, moins on déprime. Bon et puis sinon on peut aussi avaler une plaquette entière de Viagra.

Un striatum qui rend fou

Sébastien Bohler a puisé dans ce petit organe un véritable sujet de best-seller : Le Bug humain. Le journaliste part du postulat que le striatum nous déglingue le cerveau en nous soumettant à un objectif de satisfaction immédiate. Un outil tout à fait utile quand notre seul taf consistait à survivre mais beaucoup plus pernicieux dans le contexte actuel qui nous pousse à consommer à tire larigot. Voire à tire l’aligot, c’est dire.

On est complètement amnésique de la nature

Ou plus précisément, on souffre d’une “amnésie environnementale générationnelle” selon le psychologue américain Peter Khan. C’est-à-dire que nos ouailles se sont un peu trop acclimatées au concept de vivre dans un environnement dégradé (population urbaine biberonnée au béton). Difficile d’avoir envie de protéger quelque chose d’aussi abstrait qu’un arbre qui pousse quand on n’en voit pas. 

Est-ce qu’on ne fait vraiment rien ?

Si l’on en croit Pierre Bourdieu, l'opinion publique n’existe pas car les opinions ne se valent pas et elles ne sauraient se valoir sans un consensus concernant la question posée (en l'occurrence : se bouge-t-on assez le derche en matière d’écologie ?). Eh oui c’était un piège tout ça ! Parce que la question de l’implication personnelle et la connaissance d’une implication plus globale dans l’action climatique varie d’une personne à l’autre. Certains pensent qu’ils font beaucoup (et ne font pas assez), d’autres pensent qu’ils ne font pas assez (et il font le maximum), mais globalement on pense tous que ce sont surtout les autres qui devraient s’y mettre (à l’échelle individuelle ou étatique). C’est le serpent de l’inaction qui se mord la queue du climat ma bonne dame. Alors on fait quoi ? On continue, on persévère, on s’adapte, on partage, on s’informe, et surtout on fait ce qu’on peut.