Alors que le bâtiment est le troisième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre, à Saint-André-des-Eaux, à deux pas de Dinan, le lotissement du Hameau léger du Placis se veut aussi écologique qu’économique. Bienvenue dans cette bulle de vert et de vie où l’on construit un nouveau monde.
©️ Myriam Boyé
À hauteur de vol de goélands, le hameau du Placis laisse entrevoir au milieu d’une végétation luxuriante quelques toits de panneaux solaires, des tâches rondes appartenant aux dôme géodésique, yourte ou petits bassins d’eau… Beaucoup de vert, de bois, cerclé par une route où les voitures ont oublié de passer. À hauteur de Maël, un des trois enfants du hameau à ce jour, le lieu n’est que détours, cachettes, maisons en A ou en T, roulottes, cabanes/toilettes sèches, bassin de roselière, arbres fruitiers, un genre d’Eden réversible sur pneus sans une goutte de béton.
Ici sur 4700 m2 appartenant à la commune, soit l’équivalent d’un terrain de foot, treize adultes et trois enfants bâtissent un nouveau style de vie. Il y a quatre ans, Clément, Thibault, Pauline, Clémence, Xavier, Clémentine, Thomas et Nolwenn ont construit avec leurs petits bras, leurs 8 habitats réversibles et de nombreux espaces communs (buanderie, chambre d’amis, salles de réunion, abri vélo, local bricolage). Chaque habitation est différente mais toutes reposent sur des fondations légères (beaucoup sont sur des pneus lestés de gravats), sont faites de matériaux locaux et biosourcés - bois, paille, chanvre, chaux, métisse (isolant fait de tissus recyclés) - sont de petite taille et n’ont généralement pas coûté plus de 20 000 euros. Aussi, elles doivent pouvoir être démontables ou compostables, c’est-à-dire être en mesure de quitter l’espace sans laisser de traces.
“Un hameau léger est un lieu de vie participatif accueillant un petit nombre d’habitats réversibles, accessible aux foyers à ressources modestes, réalisé en partenariat avec la commune qui l’accueille.”
“Personne n’était vraiment spécialiste de la construction mais on avait les bonnes compétences dans le collectif pour mener ce genre de projet,” raconte Thibault un pied dans le collectif d’habitants, un autre dans l’association nationale Hameaux Légers, une main dans la coopérative l’Éprouvette qui regroupe bistrot, épicerie associative, restaurant, espace de coworking…
La bande du Placis s’est formée autour de l'association Hameaux Légers, au sein de laquelle tous et toutes étaient bénévoles ou salariés pour permettre aux foyers à ressources modestes d’accéder à la propriété d’un habitat respectueux de l’environnement. À eux huit, toutes les compétences étaient réunies pour mener à bien cette entreprise en dehors des sentiers urbanistiques battus : réglementation, cultures, paysagisme, gestion de projets, restauration… “Et surtout une vraie volonté d’y aller et d’y arriver,” rappelle Nolwenn ex-chargée de développement à Grenoble qui a construit sa maison en un mois et demi de chantier après avoir tout conçu à la vis près sur son ordinateur.
Aujourd’hui, selon l’Insee, le logement représente 26,7 % de la dépense de consommation finale des ménages, contre 12 % au début des années 1960.
Bâtir le futur avec la collectivité
Le projet immobilier a été concrétisé en un temps record et a commencé en 2020, année de la pandémie. La mairie de Saint-André-des-Eaux, 387 âmes, cherche à construire de nouveaux logements pour redynamiser son village. Le maire imagine un lotissement comme le pays en connaît déjà trop. Maël Piriou, adjoint à l’urbanisme plutôt dans la catégorie des élus engagés, propose 1/la solution Hameaux légers, 2/ le collectif des larrons ayant testé la cohabitation plutôt spartiate pendant 9 mois à Lancieux à 30 kilomètres de là pour y habiter.
Pour la commune, il s’agit de concéder pour 80 ans un bail emphytéotique à un collectif d’habitants (moyennant un loyer global de 5000 euros par an, ce qui revient à environ 50€ par mois et par foyer) et de lui laisser le soin d’aménager le terrain et de financer les espaces communs. Aujourd’hui, chaque foyer paie une redevance de 150 à 250€ au collectif (selon la composition du foyer), incluant le loyer du terrain (quote par du bail emphytéotique), le remboursement des emprunts pour l'aménagement et la construction des espaces communs, les charges communes (eau, électricité, taxe foncière, entretien, assurance, etc). Dans son cahier de redevabilité, la mairie avait aussi une autre exigence, que le collectif reprenne en coopérative le dernier commerce du village, le café-restaurant l’Éprouvette.
“Au début, si le maire était enthousiaste, pas mal d'élus et d’habitants étaient réfractaires au projet d’habitats légers, se souvient Thibault, ils avaient peur de l’arrivée de hippies. Il y a même eu une pétition contre le projet.” De concertations en explications, de diplomatie en preuves de bonne foi, le collectif finit par obtenir la clé des champs en 2021 et met en œuvre sur le terrain sa raison d’être : “cheminer ensemble en confiance pour incarner librement nos valeurs au sein d’un lieu de vie sobre et partagé.” Ils installent une scierie mobile, organisent des chantiers participatifs, voient les murs se monter, les terrasses se construire, le lotissement léger prendre forme. Clément qui a longtemps vécu dans la maison commune, sous une tente ou dans son van parce que “le confort rend fort con”, finit par se créer son sweet home, 28 m2 pour 10 000 euros.
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Un bistrot, une épicerie, un projet collectif
Pendant ce temps-là, Clémence et une petite équipe se chargent de reprendre la coopérative l’Éprouvette, un bistrot, une épicerie et un restaurant qui jouxtent le terrain du Placis. “Dans les années 70, le bar existait déjà, se souvient Hervé bénévole et premier soutien du collectif, il s’appelait Au Bout d’un Verre.” “Pour nous, il fallait que le projet soit cohérent avec nos valeurs, poursuit Clémentine, membre du collectif des habitants, c’est pour cela qu’on a monté une épicerie coopérative. Moyennant une part sociale de 50 euros et deux heures de bénévolat par mois, chaque sociétaire peut accéder à des produits locaux, à prix quasi coûtants.” L’épicerie s’appuie sur la solution nationale Monepi qui permet à près de 500 épiceries coopératives de monter et faire vivre un commerce alternatif en France. À Saint-André des Eaux, plus de 200 personnes adhèrent et font tourner la boutique.
Le soir et le week-end, le bistrot se transforme en salle de spectacle, de concert ou des fêtes. Clémence avec l’aide d’une équipe de 8 salariés et plein de bénévoles met les bouchées doubles et organise 250 événements chaque année, du stand-up tartiflette aux soirées folk. L’objectif ? Faire vivre le village, provoquer les rencontres, proposer une offre culturelle dans la région. “Le vendredi soir, c’est la soirée sans rien, juste pour se retrouver, explique la trentenaire. C’est une demande des habitants, que l’Éprouvette soit un café “normal” de temps en temps.”
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Le chantier du lien
Parce que Clément, Thibault, Pauline, Clémence, Xavier, Clémentine, Thomas et Nolwenn ont beau mettre tout en œuvre pour se fondre dans le paysage, à Saint-André-des-Eaux, n’est pas du cru qui veut. “On nous a longtemps observés de loin, rappelle Nolwenn, on nous considérait comme une seule et même personne, on a dû faire nos preuves.” “Même si on est très ouverts sur l’extérieur, ce n’est pas forcément facile de créer des liens avec tout le monde, ajoute Clémentine. On a l’étiquette écolo engagés et certaines personnes ne viennent pas nous voir pour cette raison-là. Faire lien n’est pas une mince affaire mais on s’y emploie au quotidien.” Et si le vrai chantier, pour les 75 prochaines années, c'était désormais de construire et consolider des relations en béton avec tous les habitants du canton ?
L’association Hameaux Légers, créée en 2017 promeut un mode d'habitat collectif durable, accessible et résilient. D’un côté, elle accompagne les communes volontaires pour accueillir des projets de hameaux légers sur leur territoire ; de l’autre, elle soutient les collectifs de citoyens du début jusqu’à la fin de leurs projets. Aujourd’hui une trentaine de hameaux légers sont en cours ou finalisés.