“Une ombre s’avance dans le noir. Nous ne pouvons plus sortir. Ils arrivent”. Tel Gandalf dans le premier volet du Seigneur des Anneaux, il fallait que quelqu’un vous prévienne. Ils arrivent. Les sujets de conversation qui assommeront votre été. Toujours les mêmes. Sujets qui vous donnent l’impression que la vie est un jour sans fin. Cette année, il vous faut les vaincre. Et voici le plan.
Les bouchons, la circulation, bison futé et l'A11
Probabilité d’apparition dans vos vacances : 63%
Il vous faudra pas moins de 3 étapes pour éclipser les mots “chassé-croisé”, “aire d’autoroute” et “bande d’arrêt d’urgence” ou encore pour forcer votre oncle Jacques à freiner sur l’anecdote du péage.
Étape 1 : Balancez la statistique suivante. Chaque seconde, à cause des routes notamment, 20 m² de terres agricoles disparaissent en France. Cela devrait suffire à casser l'ambiance et à obtenir un silence apaisant.
Étape 2 : Tapotez sur l'épaule de votre oncle en lui disant "la voiture perso, c'est le monde d'avant mon vieux". Avant qu’il n’ait pu rétorquer quoique ce soit, posez votre index sur ses lèvres et offrez-lui la BD “Un monde sans fin” de Jancovici en inspirant avec sagesse.
Étape 3 : Si malgré cela dans les jours qui suivent vous le surprenez en train d’écouter autoroute FM 107.7, roulez-lui dessus à vélo. C’est malheureusement parfois nécessaire d’être un peu radical.
Les "actus" : la covid, le climat, la politique, ambiance BFM
Probabilité d’apparition dans vos vacances : 70%
Les débats estivaux sur le monde, les crises du moment, l’avenir de la nouvelle génération sont d’une richesse inversement proportionnelle au nombre de personnes qui débattent autour de la table. En gros, plus il y a de monde, plus la qualité des échanges est pourrie.
Il va donc vous falloir être courageux et courageuse et suivre à la lettre nos conseils. Lorsque vous entendrez les mots : “Tiens, je sais pas si vous avez vu mais apparemment…”, la seule solution à votre disposition est la suivante : repérez le thème de conversation qui se profile, criez instantanément le nom d'un ou une philosophe pertinente et partez en courant. Cette action coup de poing devrait éloigner la menace pour 24 heures au minimum. On parle de rapport à soi et aux autres ? Criez Marc Aurèle ou Levinas. La démocratie ? Hannah Arendt et Rousseau feront l’affaire. Les réflexions métaphysiques, le temps, la vie, la mort ? Heidegger et Bergson, direct. Le sens du travail, Dieu ? Simone Weil.
Votre absence de bronzage
Probabilité d’apparition dans vos vacances : 72%
Même si vous êtes un peu une ou un winner niveau pigmentation, vous trouverez toujours meilleur que vous. Lucien qui surfe 4 fois par jour, toute l’année, tout nu sur l’île d’Oléron, un soir collera son avant-bras au vôtre afin de vous laminer en public et de lancer le sujet du bronzage pour pouvoir dire des trucs du genre “je crois que ça vient surtout du côté de ma mère”, “je pèle jamais moi c’est fou” - le tout accompagné d’un sourire dentifrice. Action, réaction. Pour ne pas perdre de précieuses minutes avec lui, étalez votre culture comme de la crème solaire, sans vous arrêter jusqu’à obtenir un silence admiratif contre lequel sa mélanine ne pourra rien.
Mon bon Lucien, tu sais que durant des millénaires, la classe c’était la peau blanche ? Au temps de la Grèce dominante t’aurais mangé tout seul à la cantine tu sais. À Athènes on s'enduisait la peau du visage avec du blanc de céruse. Plus tard, idem, l'aristocratie voyait la peau mate comme un truc de roturiers.
Et ce n’est que récemment qu’on a commencé à trouver le bronzage sexy. À partir de la fin du XIXe siècle, le courant hygiéniste prescrit des “bains de lumière” aux personnes anémiées et rachitiques. S’en suivent les découvertes des chercheurs sur le lien entre soleil et synthèse de vitamine D. Enfin en 1936, le Front Populaire adopte les congés payés et a fortiori, la nouvelle norme : plus t’es bronzé, plus tu pars en vacances, plus t’es censé avoir la classe. Tu savais tout ça Lucien ? Bah non.
Votre situation de couple trop floue, le CDI que tu vous n’avez pas
Probabilité d’apparition dans vos vacances : 84%
On n’aime pas ceux et celles qui sortent du rang. Alors toi l’original ou l’originale, baisse d’un ton. Tu peux pas suivre le même chemin que tes parents tranquillement ?
Ici, c’est simple comme bonjour. Pratiquez la technique de la psychologie inversée avec votre interlocuteur (mettons que c’est un mec, par exemple…). Assommez-le de questions pour le renvoyer à sa vie à lui : ça le stresse que vous n'ayez pas de CDI ? Pourquoi ? Y aurait-il un lien avec son enfance et son éducation ? Ça lui fait peur même peut-être ? D'ailleurs quelle place à la peur chez lui aujourd'hui ? Non, plus largement, quelle place pour les émotions dans sa vie ?
Quand sa voix commence à trembler, n'hésitez pas à faire mine de prendre des notes pour qu'il commence à paniquer et remette en cause le sens de sa vie pendant la nuit qui suit.
Les moustiques
Probabilité d’apparition dans vos vacances : 96%
C’est LE pire sujet de conversation. Signe de souffrance nocturne et de colère froide. Le moustique glacera l’ambiance, les corps, les silences. Il faut trouver très rapidement une idée pour que ce mot n’apparaisse plus dans vos apéros de vacances. Trois idées :
1 - Prenez conscience que le verlan de ce mot est "tiques mous", et que oui la tique, c'est encore pire, et que finalement le moustique ce n’est pas non plus horrible et que j’ai un pote qui a été piqué par une tique “bonjour les problèmes” et que hop, on enchaîne sur la tique, nouveau sujet, nouvelles sensations, nouvelle vie.
2 - Faites un concours d'imitation du bruit du moustique pour évacuer vos tensions. Rapidement vous trouverez ce jeu peu hilarant et surtout votre petit cousin fera des bruits de bouche qui n’ont rien à voir avec le son de l’insecte. Cela devrait convaincre tout le monde de changer de sujet.
3 - Écrivez "un moustique peut piquer et faire se cabrer un cheval, mais l'un demeure un insecte et l'autre est toujours un cheval” de Jules Renard sur votre journal intime. Relisez la phrase. Constatez qu’elle n’a aucun sens. Enfin si, qu’elle en a un mais que vous n’avez aucune envie de le trouver. Déchirez la page. Adieu les moustiques.