Les braves gens n’aiment pas que l’on parle politique. Tout le monde le répète, tout le monde en est convaincu depuis bien longtemps : la politique n’a plus la cote, pire, elle débecte la majorité d’entre nous. Tentons donc de creuser un peu cette idée bien ancrée en nous. La démocratie, la politique, à bout de souffle ?
Nous et la politique : Error 404
Le désamour est total. Enième preuve lors des régionales de 2021 : le taux d’abstention a atteint 66% au premier tour. 2 personnes sur 3 n’ont donc pas voté. Et c’est un cercle vicieux, moins de vote, moins de légitimé de nos élus, moins de légitimité, plus de défiance, plus de défiance, moins de vote…
À cela s’ajoute la non-représentativité criante de nos élus et élues : d’après les récents chiffres du ministère de l'Intérieur, 4,5% de nos députés élus ou réélus les 12 et 19 juin 2024 sont des employées et employés (représentant pourtant 16,1% de la population active) et 0,9% appartiennent à la classe ouvrière (chiffre s’élevant à 12,1% au niveau national). Et c’est logique, pour faire de la politique, il faut du temps, du réseau dans les sphères d’influences, de l’argent…
Et alors, me direz-vous ? Est-ce grave de ne pas avoir une représentativité parfaite à l’Assemblée ? N’est-ce pas même une saine chose que de laisser les professionnels de la politique gérer tout ça, tout comme on laisse le plombier gérer la tuyauterie de notre maison les yeux fermés ?
Dangers au tournant
Derrière ce constat, derrière les chiffres, derrière les articles à droite et à gauche se cachent des dangers, des vrais, concrets et plus graves qu’une fuite dans votre salle de bain.
D’une part, un danger pour notre portefeuille. Notre système démocratique peu représentatif sert logiquement ceux et celles qui le tiennent : disons, avec d’importants guillemets “les élites”, plutôt que notre système économique lui-même. Dans ses travaux, Thomas Piketty illustre que prospérité rime avec égalité. Exemple frappant : la grande période de prospérité des États-unis (de 1930 à 1980) correspond à un impôt sur l’héritage de 80 à 90% selon les états.
D’autre part, plus grave encore, il semble qu’en délaissant l’espace de la cité, une petite musique s’installe tranquillement dans les rangs de notre pays : il faut changer, il faut tenter autre chose. Oui, mais quoi ? En 2018, il y a 7 ans déjà, 41% des Français et Françaises étaient favorables à l’établissement d’un "pouvoir autoritaire" capable "d'éviter le déclin" et de "réformer le pays en profondeur". Sondage IFOP à prendre avec des pincettes... Néanmoins, quelle serait la tendance si on rééditait ce sondage, aujourd’hui en 2025 ? Y a-t-il de plus en plus d’aspiration à un pouvoir fort, quitte à restreindre nos libertés ? À l’image de nombreux pays alentour livrés aux mains de régimes autoritaires, notre pente semble être la même.
Bref, à ce stade de l’article vous êtes peut-être déjà en train de souffler, peut-être connaissiez-vous déjà très bien ces chiffres, peut-être avez-vous envie de crier “paroles, paroles” mais alors on fait quoi bordel de m* ?
Une idée tirée au sort
Commençons par nous tordre le cou à nous-même, un auto-ninja qui ne nous fera pas de mal. Et si on se trompait ? Et si l’abstention illustrait non pas un désintérêt pour la politique mais bien un rejet du système démocratique dans sa forme actuelle ? Cette idée ouvre déjà quelques horizons. Notre appétit est peut-être encore là.
Changer donc de forme et de système démocratique… Un chiffre intéressant allant dans ce sens : 59% des Françaises et Français préfèreraient être représentés par une personne ordinaire plutôt que par un ou une politicienne professionnelle. Seul hic : tirer au sort pour tirer au sort, sans dispositif travaillé et réfléchi de formation, entraîne inévitablement un échantillon sans expertise adaptée, sans vision globale, etc.
En 2019, les Rencontres nationales de la participation voyaient les professionnels du secteur affirmer : “il faut laisser les citoyens proposer les sujets qui sont ensuite mis en délibération”. Existe-t-il alors un dispositif permettant de laisser les citoyennes et citoyens proposer, décider, délibérer ?
Dans le vif du sujet politique
La grande star du mouvement des gilets jaunes s’écrit en 3 lettres : R-I-C. Référendum d’Initiative Citoyenne. Ce dispositif permet à des citoyens et citoyennes réunissant un certain nombre de signatures de saisir la population par référendum sans que soit nécessaire l'accord du Parlement ou du Président de la République. Voir le RIC s’inviter sur les ronds-points a été enthousiasmant. Attention cependant à nuancer les solutions-parfaites-sur-le-papier. Notamment : le référendum pose une question qui attend un oui ou un non comme réponse, poussant ainsi à restreindre le débat, à le simplifier et donc aussi à cliver au lieu de rassembler. Le référendum, on l’a vu notamment lors du référendum de 2005 contre la ratification de la Constitution européenne, est souvent un exercice-test pour celui ou celle qui pose la question. Le référendum du président devient un “pour” ou “contre” le président. C’est cependant certainement moins présent quand il y a à l’initiative du référendum (ce qui serait le cas pour le RIC) un association, un collectif citoyen, etc. Point non-négligeable : un référendum est très coûteux (estimé à plus de 40 millions d’euros d’organisation par le rapport Le Fur en 2005).
Le RIC est donc intéressant par le souffle nouveau qu’il comporte, intéressant quand il s’agit de refondre des gros bouts de notre machine démocratique. Mais quid des sujets plus fréquents ? Existe-t-il d’autres outils, plus facilement déployables et prenant tout autant en compte l’avis de chaque citoyen et citoyenne ?
Évoquons donc une autre solution. L'Assemblée de co-décision, sorte de superconvention citoyenne.
Un panel de citoyens et citoyennes tirés au sort et formés tout au long du processus, à l’image des 150 de la Convention Citoyenne pour le Climat, qui en plus co-construit avec les corps intermédiaires puis co-décide avec des parlementaires et le gouvernement.
Le tout en Interaction avec un panel de 1000 citoyens en consultation numérique, jouant le rôle de sondage grandeur nature et intervenant régulièrement, aux étapes clés du processus.
Parmi les outils imaginables, les techniques d’intelligence collective en sous-groupes, plus restreints, permettent de doper la créativité et d’entrer dans un niveau de complexité réel, au-delà du manichéisme oui-non d’un référendum.
Ce processus de démocratie en intelligence collective a été conçue et experimentée dans de grandes villes, avec un succès étonnant par l'association www.lescrd.org. Cet objet démocratique nouveau est donc une jolie salade composée de convention citoyenne, de grenelle, de jury citoyen. Le fonctionnement vous est détaillé ci-dessous :
L’ombre de la Convention Citoyenne pour le Climat
Je sais ce que vous pensez : et je vous ai compris. Et comprises. La récente aventure de la CCC s’est terminée en jus de boudin. Le parlement n’a pas repris les propositions des 150 et le président Macron est passé à autre chose après les avoir reçus et reçues dans son palais. Expliquons peut-être cela par un point important, les objections des services ministériels et des parlementaires n’ont pas été intégrées au processus décisionnel de la CCC. Ainsi, au lieu d’enrichir le débat, de le nourrir, leur réponse a été un rejet de la quasi totalité du travail des 150. Là encore, une voie est envisageable : les conventions citoyennes “nouvelle génération” pourraient intégrer nos élus et élues mais aussi les hauts fonctionnaires et agents concernés dans le processus de décision.
Tout cela prendra du temps dites-vous ? Exactement. Et c’est cela que l’on attend du travail politique : de la distance, de la lenteur et donc des décisions vraiment réfléchies au bout du chemin.
Money, money, money
Pas question de conclure un article qui parle de renouveau démocratique sans aborder la question cruciale de l’argent. Plus de 120 millions d’euros sont dépensés chaque année par les seuls lobbyistes de la finance.
Faire de la politique, mener une campagne, militer, lancer des objets démocratiques nouveaux, cela coûte cher. Au-delà de la nécessaire volonté politique (qui passe donc par des victoires électorales de ceux et celles qui défendent ce renouveau démocratique), il y aussi des enjeux de financements de la vie politique, au fil de l’eau. Pour cela, comment ne pas vous renvoyer vers les travaux de Julia Cagé et ses “Bons pour l'Égalité Démocratique” (BED) permettant d’assainir le financement des partis politiques. Le fonctionnement en deux mots : flécher nos impôts vers tel ou tel parti politique pour lui attribuer nos BED.
Et maintenant, on va où ?
Ce n’est pas toujours agréable de le conscientiser mais si nous faisons partie de la solution, nous sommes aussi une part du problème. Citons Samuel Beckett : “à cet endroit, en ce moment, l'humanité c'est nous, que ça nous plaise ou non”. Il va donc nous falloir avancer humblement, conscients et conscientes que le changement de ce système à bout de souffle est aussi un changement de notre propre souffle.
On vous propose donc deux manières concrètes de s’engager :
- La Coalition pour un renouveau démocratique (coordonnée par les CRD, les “Citoyen.ne.s pour le Renouvellement de la Démocratie") organise un débat public pour répondre à la question "Quelle démocratie voulons-nous?". Ce débat repose sur l'organisation de réunions par chacun et chacune, citoyen, citoyenne et organisation pour déposer les conclusions de la réunion sur une plate-forme de participation citoyenne. Ce débat de six mois sera lancé le 15 septembre prochain, journée mondiale de la démocratie. Pour rendre cette opération massive et incontournable pour la suite de nos aventure démocratiques Françaises, vous pouvez soutenir l'organisation en rejoignant ce fil WhatsApp (pas de panique : vous y recevrez un seul message par semaine, pas plus, pas moins) : https://chat.whatsapp.com/KapMNcMPuAUCKAm9pBybnR
- Sur ce même thème, il peut être intéressant de suivre les travaux récemment présentés de “Démocratiser la politique”.
Ne nous mentons pas. Ces travaux et rapports sont les prémices de quelque chose. Et ce quelque chose sera tout sauf un long fleuve tranquille. Le plus dur et le plus passionnant s’annonce : le réel (à l’image de l'Assemblée de co-décision qui a fait ses preuves au niveau local). La sortie de l’entre-soi, dans la vraie vie, le passage des idées à l’action. A 1 an des municipales, et 2 de la présidentielle, ne serait-ce pas le moment de faire notre part ?