La fenêtre d'Overton ou comment rendre acceptable ce qui ne l'était pas

La fenêtre d'Overton ou comment rendre acceptable ce qui ne l'était pas

Parfois ouvrir des fenêtres permet de faire rentrer des idées qui devraient plutôt rester dehors. Overton est de celles-là et a fait le tour du monde. On vous raconte.
02 January 2025
par Vianney Louvet
6 minutes de lecture

Fenêtre d’Overton. C’est vraiment bien à placer dans une conversation. Et plus qu’utile à connaître en 2025. Surtout depuis les présidentielles de 2022. Et les législatives de 2022. Et celles de 2024. Et l’élection de Trump. Et de… Bref. Utile mais encore faut-il savoir de quoi il s’agit. 

La fenêtre d’Overton en une définition 

Dit très simplement, la fenêtre d’Overton, c’est le périmètre de ce qui peut être dit et discuté au sein d’une société. On crée une petite boîte à l’intérieur de laquelle on met toutes les idées qui sont jugées acceptables par la population. A l’extérieur, on passe dans le domaine du radical, voire de l’interdit, de l’outrance, tout ça. 

On entend pour la première fois parler de ce “périmètre” dans les années 1990 par la voix d’un juriste et lobbyiste américain, Joseph P. Overton. Pour lui, à l’époque vice-président senior du Mackinac Center for Public Policy, il est clair que prendre la parole entraîne une catégorisation immédiate : on est “acceptables” ou non dans le débat public. 

Le concept dépoussiéré par les uns et les autres

En reprenant les notes de ce cher monsieur Overton, le think tank américain super-libéral Mackinac for Public Policy, reprend cette idée et en fait un outil de lobbying pour promouvoir la liberté des marchés, et convaincre des donateurs potentiels de les soutenir financièrement. Bon. 

Retour à notre époque récente. Pourquoi donc “la Fenêtre d’Overton” est-elle devenue la star de cet “acceptable” ? Pourquoi ne sont-ce pas les mots “paradigme” du philosophe américain Thomas Kuhn, ou même celui “d’épistémè” de Michel Foucault qui ont pris le dessus ?

À l’origine de la récente Overtonmania, différentes possibilités parmi lesquelles une chronique de Clément Viktorovitch, docteur en science politique, spécialiste de l’analyse du discours politique, en 2019. A l’époque, Monsieur Rhétorique analyse cette grande déclaration de Julie Graziani : "Si on est au SMIC, faut peut-être pas divorcer". Face à ces propos (reprenez-les en globalité pour comprendre leur teinte pour le moins radicale), Clément Viktorovitch explique : “On est face selon moi à une véritable stratégie. Et pour le comprendre, on a besoin d’un concept crucial qui est celui de fenêtre d’Overton. C’est un concept forgé par le lobbyiste américain Joseph Overton. Ça désigne le spectre du dicible dans l’espace public." Et la lumière fut sur ladite notion. 

Les deux pieds dans le champ politique

Aujourd’hui omniprésente, notamment dans le champ politique, cette fenêtre d’Overton aide à décrypter ces petites phrases, polémiques et ce qu’elles révèlent de profond des courants de notre monde. 

Au départ à destination de lobbyistes, l’outil réapparaît de manière éclatante au milieu de la machine de guerre populiste. L'Alt-Right américaine - courant d'extrême droite qui rejette le conservatisme classique - se donne comme objectif de "repousser les limites du tolérable en utilisant des formes de "déconne provocatrice" (...). Par leurs propos outranciers, ils parviennent à faire passer des idées radicales dans la fenêtre d'Overton" explique Lynda Dematteo, anthropologue, chercheuse à l'EHESS et spécialiste des populismes. 

Les bouleversements que nous connaissons actuellement seraient ainsi les conséquences d’un travail acharné, en coulisses, pour rendre tolérables des idées autrefois jugées “intolérables”. On entend aussi dire que la gauche fait le contraire : rendre inacceptable des idées autrefois jugées acceptables. Par exemple, l'éditorialiste conservateur de la chaîne Fox News Glenn Beck, fan du Tea party, s’approprie la fenêtre d'Overton dans son roman The Overton Window. Addict aux fake news, soutien du président réélu Donald Trump, Glenn Beck fait partie de ces personnes qui craignent le retour au pouvoir de l’extrême gauche et de ses idées… considérées comme dictatoriales. 

La fenêtre, métaphore à l’épreuve de l’histoire

Les collègues de ce cher Joseph ont donc choisi ce terme de “fenêtre” que l’on comprend bien. Ce périmètre est mouvant : on peut le déplacer, l’agrandir, l’ouvrir ou le refermer. Et cette fenêtre est alors dépendante d’un nombre de facteurs incalculable : événement inattendu, découverte scientifique, élections, scandales, etc. 

Dans l’histoire de nos sociétés, ces mouvements ont été constants mais aussi la conséquence de ruptures, marches franchies lors de tournants historiques. Un “I have a dream” enflammé d’un pasteur, une Rosa Parks, qui le 1er décembre 1955 refuse de céder sa place à un passager blanc dans l'autobus conduit par James F. Blake, un discours à l’Assemblée Nationale pour défendre la légalisation de l’IVG, etc tous ces événements créent un séisme dans la culture et l’idéologie des petits terriens et terriennes que nous sommes. “Un changement majeur touche l’acceptabilité du racisme et de la misogynie, attitudes autrefois acceptables et dominantes, et aujourd’hui jugées négativement par le collectif, dans la plupart des pays occidentaux” nous dit Cécile Alduy, spécialiste de l’analyse du discours politique. 

La question qu’il nous faut poser au regard des dernières dynamiques qui nous bercent : l’autrefois acceptable, devenu inacceptable, peut-il devenir, à nouveau, acceptable ? 

L’exemple du RN et de sa dirigeante Marine Le Pen est frappant. Autrefois occupée à assagir ses troupes, son père, ses discours, celle-ci est aujourd’hui presque dépassée par les Pascal Praud, Eric Zemmour et autres artistes de l’extrême. La fenêtre s’élargit puis se rétrécit. Le brûlant devient tiède. Et l’érosion opère, petit à petit, comme l’explique Cécile Alduy : “Transgresser les limites des normes politiques pour les faire exploser ou les assouplir. Plus des responsables élus ou des candidats haut placés répètent une opinion transgressive en la banalisant, plus ils l’acclimatent et la légitiment.” 

Vient alors la question de l'œuf ou de la poule. Sont-ce les politiques publiques qui forment cette fenêtre ? Ou cette fenêtre est-elle la base de décision d’un élu aujourd’hui pour définir ce qui sera acceptable par son électorat et sa population ? Cécile nous explique que “pour réussir à emporter l’adhésion du public, il est préférable de se situer d’emblée à l’intérieur de la “fenêtre” des propositions socialement acceptables”. Mais est-ce encore vrai aujourd’hui ? N’y a-t-il pas désormais une course à l’au-delà-de-la-fenêtre ? N’est-on pas plus en vue lorsque l’on s’éloigne un peu de la masse pour crier un peu plus fort que les autres ? 

Claire Nouvian dans l'émission l'Heure des pros sur Cnews, qui fait face à des remarques climatosceptiques.

La guerre culturelle ou rien

La question se pose donc à ceux et celles qui veulent continuer de mettre les questions de justice démocratique, climatique et sociale au premier plan. Comment exister au milieu de la cacophonie ? Faut-il tenter de sortir de la fenêtre, là aussi, de choquer, de transgresser pour exister ? 

Cette stratégie est déjà présente : sabotage, action coup de poing, réflexions sur la “dictature verte”, on pressent parfois cette volonté de choquer, d’aller loin pour, enfin, alerter, réveiller sur ce qui est aujourd'hui étouffé sur les plateaux télés et à l’assemblée. Mais alors, ne manque-t-on pas de grandes gueules dans nos mouvements écologistes, sociaux, etc ? La volonté de travailler en collectif n’efface-t-elle pas d’éventuelles vocations rhétoriques ? Rien n’est moins sûr. 

Mais une autre stratégie, peut-être plus efficace encore, pourrait bien exister. Celle de changer de logiciel. Et si la “fenêtre” qu’on nous propose aujourd’hui n’est plus du tout la bonne grille ? Le bon périmètre ? Et si on osait ne plus être à l’intérieur ou à l’extérieur de la fenêtre mais complètement ailleurs ? L’objectif est simple : prendre la parole ou agir de manière à ce que personne ne réussisse à vous “classifier” dans l’acceptable. Surprendre. Devenir un OVNI de la communication, des idées, apporter au débat une fraîcheur nouvelle inattendue, qui décale, déplace, oblige à réfléchir, en dehors des petites étiquettes. 

Concrètement, quelles armes sont à notre disposition ? Le rire, l’irruption du beau, le lien à l’Autre, la poésie… Mais aussi l’intelligence collective, la tactique, la ruse. Joseph Overton nous le rappelle, la force est de notre côté : “la fenêtre d’Overton ne décrit pas tout sur le fonctionnement de la politique, mais elle décrit une chose essentielle : les politiciens n'épouseront que des politiques qui, selon eux, ne nuiront pas à leurs chances électorales.” Encore faut-il donc parvenir à embarquer un électorat avec enthousiasme, dans le bon sens.