Déni de démocratie, déni écologique… On a même entendu parler de « déni de rentrée » quand la météo s’est brutalement mise au glacial dès le 2 septembre… On n’en finit plus de mettre ce mot à toutes les sauces. Mais au fait, quel est ce mécanisme psychologique, jusqu’où peut-il aller et faut-il à tout prix le briser ?
Un concept à la mode ?
Nouvelle formule choc, le déni est de toutes les conversations mais pourtant, loin d’être un néologisme, on retrouve trace de son emploi dès l’an 1250, c’est dire ! Le « déni de justice » est par exemple utilisé depuis des siècles dans le jargon juridique pour « désigner une entrave à l'exercice de la justice par l'une des personnes chargées de la représenter et de la rendre » selon le Code Civil. C’est probablement à cette référence qu’ont fait allusion les personnalités politiques qui ont dénoncé un « déni de démocratie » à l’occasion de l’absence de désignation d’un ou d’une première ministre cet été.
Mais depuis le milieu du XXe siècle, le déni traduit aussi officiellement en français le concept de Verleugnung théorisé par le fondateur de la psychanalyse Sigmund Freud. Et c’est désormais plus dans ce sens qu’il est utilisé.
Le gardien de notre sécurité mentale
Car dès la fin du XIXe siècle, ce bon vieux Sigmund avait décrit dans ses livres ce « mode de défense consistant en un refus de reconnaître la réalité d'une perception traumatisante ». Il avait mis le doigt sur un gros morceau.
Ce cœur brisé qui pense pouvoir reconquérir son amour perdu en la/le bombardant de SMS « comme si de rien n’était » ? Déni ! (et lourdeur).
Ce veuf qui continue inlassablement à mettre le couvert pour deux ? Déni (et tristesse).
Cette femme (très) enceinte qui n’envisage pas sa grossesse au point que son ventre ne s’arrondit pas ? Les médecins parlent de déni de grossesse…
On a tous son lot d’exemples en tête. Le déni est d’ailleurs répertorié comme l’une des toutes premières étapes du processus de deuil, venant après le choc et juste avant la colère... Une réaction utile, voire salvatrice, car elle nous permet de nous protéger d’une réalité qui nous met mal à l’aise, nous attriste ou nous angoisse trop pour la gérer ASAP. C’est une stratégie de survie : on s’offre instinctivement un répit temporaire avant de rassembler ses forces pour y faire face plus tard (ou pas).
Car le déni n’est en soi pas une maladie, et il n’est pas toujours obligatoire d’en sortir, encore moins de passer en force en mettant brutalement un proche face à une réalité qu’il refuse d’admettre. Est-ce que cela affecte indiscutablement sa vie ou celle d’autrui ? Cette personne a-t-elle les ressources pour affronter la réalité, et traverser la phase de down qui accompagnera fatalement la lucidité retrouvée ? Anne-Victoire Rousselet, psychologue au Centre Hospitalier Sainte-Anne à Paris, explique dans ce podcast glané cet été comment elle intervient (ou pas) auprès de ses patients.
Un mécanisme à double tranchant
Et si j’étais dans le déni ? Si vous vous posez la question, la réponse est probablement non. Impossible de se remettre en question quand on est trop dans le mal. Une personne plongée dans le déni est sur la défensive, prête à se mentir à elle-même et à se braquer si quelqu’un ose aborder le sujet (ou les sujets) sensibles : circulez, y’a rien à voir.
Mais là où le mécanisme commence à être préoccupant, c’est quand il atteint en même temps des groupes entiers de personnes… « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » avait déclaré Jacques Chirac au sujet de l’écologie dans son discours au Sommet de la Terre… Une belle métaphore pour le déni général climatique prononcée il y a… 22 ans (snif). Et si les psychologues savent aujourd’hui parfaitement l’expliquer, par sûr que l’on sache mieux y remédier collectivement. Pire, il devient désormais viral et conduit parfois jusqu’au complotisme.
Le psychologue Serge Tisseron a décortiqué ce phénomène dans son livre post Covid « Le déni ou le fabrique de l’aveuglement ». Il y explique comment le déni, à l’origine une saine réaction individuelle à l’insupportable, gagne simultanément des groupes entiers d’internautes parfois fortement désocialisés, trouvant en ligne des chambres d’échos à leurs fantasmes ou à leurs angoisses.
Un phénomène de mirage collectif amplifié par la circulation à haute fréquence de fausses informations et la bulle des algorithmes des réseaux sociaux qui valident nos certitudes. Parfois jusqu’à donner l’illusion que… la Terre est bien plate ( !) / Que le vaccin contre le Covid contient un dangereuse puce numérique ( !!) etc etc.
Bonne nouvelle, ce mécanisme d’illusion massive est peut-être à double tranchant, mais on peut œuvrer à le neutraliser par exemple en passant à l’action sur des sujets qui nous tiennent à cœur (en tous cas, plus qu’en angoissant solo devant ses écrans). Chiche !