L’art de vivre à la low tech, bienvenue dans l’appartement du futur

L’art de vivre à la low tech, bienvenue dans l’appartement du futur

Un appartement low tech, design, accessible à tous et respectueux des limites planétaires, ça existe ? Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz l’ont imaginé et testé à Boulogne-Billancourt. Visite.
18 November 2024
par Hélène Binet
5 minutes de lecture

Vivre dans une maison zéro déchet, archi-économe en énergie, autonome et qui donne envie, Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz l’ont fait. Pendant 4 mois, ils ont conçu, aménagé, testé et vécu dans un appartement du futur à Boulogne-Billancourt. Mi-novembre, le dernier week-end de leur expérience, ils ont ouvert leurs portes au public pour mieux les refermer. Rencontre.

“Qui veut des grillons grillés ?” Dans l’entrée vestibule de leur cocon du futur, Caroline Pultz, designer belge, compagne de Corentin de Chatelperron, ingénieur fan de low tech, offre les protéines à 6 pattes qu’elle a soigneusement préparées. “Ils sont au curry, c’est bon aussi simplement avec du gros sel, ça a un arrière-goût de noisette.” Derrière elle, la source de notre apéro a commencé à chanter. Dans des boîtes en verre remplies de palettes d’œufs alvéolées (format 20 à 30 œufs), les insectes se frottent les ailes et se baladent dans leur élevage low tech. “Véritables bombes nutritionnelles, les grillons domestiques sont excellents pour leurs apports en vitamine B12 mais surtout pour leur quantité de protéine similaire à celle des produits carnés conventionnels, expliquent les deux explorateurs du futur sur leur site Biosphere experience. Élever des grillons domestiques émet 100 fois moins de gaz à effet de serre que la production de viande bovine tout en nécessitant 25 fois moins de nourriture, 2000 fois moins d’eau et 15 fois moins d’espace.”

Vivons heureux, vivons low tech

Réduire son impact sur la planète pour mieux vivre dans le futur, voilà ce qui animent Caroline et Corentin qui n’en sont pas à leur premier coup d’essai. En 2018, Corentin a essayé de répondre à la question “qu’apporteriez-vous sur une île déserte ?” en embarquant seul pendant 4 mois à bord d’une plateforme flottante ancrée au large de la Thaïlande.

Sa réponse ? 30 low-technologies pour répondre à ses besoins vitaux. En 2023, seconde expérience à deux cette fois en milieu aride, dans le désert mexicain pour concevoir un écosystème de 60 m2 autonome qui ne génère plus de déchets, mais des ressources : la Biosphère du désert. Été 2024, rebelote, les deux GéoTrouvetout posent leur ingéniosité low tech à Boulogne-Billancourt, 120 000 habitants, 19 417 au km2.

Dans leur 26m2 prêté par la mairie, Caro et Coco ont tout mis en œuvre pour que leur sweet home ne produise pas de déchets, divise par 10 la consommation d'eau, réponde aux objectifs 2050 de l'ONU pour les émissions de gaz à effet de serre, et soit à la fois séduisant et accessible à tous. Pas d’éclairage à la bougie donc mais plutôt des trouvailles et des aménagements à la fois durables et désirables.

La douche brumisateur où poussent les pleurotes. Crédit photo : ©Boulogne-Billancourt

Trouvailles à tous les étages

Pour commencer, le couple a travaillé l’isolation en installant des plaques de chanvre du sol au plafond qu’ils ont recouvertes d’une toile blanche de coton qui feutre l’ambiance à la manière des yourtes ou des studios d’enregistrement. Ils ont ensuite divisé l’appart en trois espaces. D’un côté, le bloc champignons/sanitaires avec douche brumisateur comme à la Nasa où une douche = 5 litres (contre 30 et 60 habituellement) et ressemble à un crachin breton mais en plus chaud. Où des gros sacs de mycélium installés dans l’espace profitent de l’humidité ambiante pour faire éclore et pousser les pleurotes. Juste à côté, les toilettes sont forcément sèches mais en plus à deux bacs (une cloison sous la lunette sépare urine et grosse commission). Des larves de mouches soldats noires se chargent de déguster tout ça (en plus des déchets alimentaires) pour produire un compost irréprochable.

De l’autre,  la cuisine/lieu de vie/jardinage où l’on se sent particulièrement bien. Un bar à feuilles côté fenêtres fait pousser en bioponie, c’est-à-dire sans terre mais avec un liquide nutritif bio (dont l’urine en proportion infime), plantes aromatiques et jeunes pousses comestibles. Le piano comporte comme pièce maîtresse une cocotte du futur imaginée avec les étudiants de l’ICAM qui est chauffée par des résistances, parfaitement isolée et se programme pour avoir son plat mijoté dans les temps. “Elle consomme 5 à 10 fois moins d’énergie qu’une cocotte classique,” se réjouit Corentin qui a mangé mijoté pendant 120 jours.

Enfin, dans un coin, un lit-clos à la mode bretonne, cabane qui donne envie de s’y lover, conserve la chaleur humaine dans un appartement où le chauffage n’existe pas. Parce qu’ici les dépenses d’énergie sont comptées. 4 m2 de panneaux solaires ont été installés sur le toit de l’immeuble pour faire chauffer l’eau de la douche, alimenter la cuisine, recharger les smartphones ou éclairer les deux leds de l’appartement. Le tout est relié à un tableau de bord proche de celui des bateaux où l’on peut, selon la météo, actionner l’une ou l’autre des sources d’approvisionnement électrique.

Faire écosystème

Pour le gaz, c’est Albert qui s’en occupe. Albert ? Un biométhaniseur installé dans le jardin de l’immeuble produit du gaz à partir de déchets organiques. “Pour le démarrer, il a fallu qu’on aille glaner du crottin de cheval glané dans un poney-club voisin,” explique Caroline dans l’une des vidéos postées chaque semaine sur les réseaux sociaux de Biosphère experience et de Arte.  L’été, Albert a fonctionné du tonnerre (contre 3 à 5  litres de déchets quotidiens, il produisait 45 minutes de gaz) mais quand les températures ont commencé à chuter, il a pris froid et a arrêté de produire. “On aurait dû l’isoler ou le mettre dans la cave,” conclut Caroline.

Quand 124 plantes poussent dans l'appartement. Crédit photo : Corentin de Chatelperron ©Biosphere Experience

Des apprentissages pendant ces 4 mois, il y en a eu plein et c’est d’ailleurs tout l’intérêt de la démarche reliée à un écosystème d'une vingtaine d'acteurs de différents domaines. Rien n’est laissé au hasard. Tout est documenté via des rapports techniques et des publications grand public, l’idée par la suite étant de pouvoir essaimer cette approche prospective et réaliste. Cet été, 800 volontaires ont également été mis à contribution. Un programme de sciences participatives a été lancé pour tester les 8 missions low tech présentes dans l’appartement : se lancer dans la bioponie, élever des grillons, cultiver des pleurotes, transformer ses ressources organiques, installer des toilettes vivantes… “Au début, on avait un peu de mal à trouver des volontaires pour l’élevage des grillons, confie Emma Bousquet-Pasturel qui a coordonné le volet de sciences participatives. La culture des pleurotes et la douche brumisateur ont été les expériences les plus retenues. Plusieurs écoles ont aussi participé au programme.”

Après 4 mois passés en 2040 dans une ville restée en 2024, où chaque pas de porte est une incitation à la consommation quand leur appartement est une ode à la sobriété et la simplicité, Caroline et Corentin ont le sourire. Lui repart en Bretagne pour une nouvelle expérience à bord d’un bateau, elle dans sa Belgique natale pour analyser les données de l’expérience et produire des rapports. “Je ne me vois pas vivre dans un appartement classique comme avant, je vais reproduire pas mal de choses qu’on a testées ici.” Il reste encore à nos deux voyageurs du futur à recevoir leurs bilans sanguins et les résultats de leurs tests à l’effort pour confirmer qu’un appartement et un mode de vie bon pour la planète l’est aussi pour la santé. Vous reprendrez bien un peu de grillons grillés ?

Caroline devant le lit-cabane, Corentin et Emma sur le canapé. Crédit photo : Lilou Evenou Diamant ©Biosphere Experience