Il n’a que 23 ans, son association Delivraide 20 ans de moins et les deux ont déjà tout des grands. Yovann Pigenet et les membres de son Équipage solidaire revisitent les codes de la solidarité pour réchauffer les cœurs et les assiettes des étudiants en galère.
Casque de moto dans une main, Pom’pote dans l’autre, Yovann arrive à grandes enjambées avec un sourire aussi large que sa détermination. Aujourd’hui, il enchaîne les interviews. En ce début d’après-midi, il était sur le plateau de France 3, là il est à la Gaîté Lyrique, dans quelques heures on le retrouvera sur Instagram, TikTok ou Youtube sous les pseudos de Yova2n. Ici, il est un peu chez lui. La Fabrique de l’époque, nouveau projet pour les 5 prochaines années de la Gaîté lyrique porté par Arte, Actes Sud, Aryt Farty, Singa et makesense fait se rencontrer création, engagement et passage à l’action. “On a déjà organisé 8 distributions de Dressed, la première boutique de vêtements 100% gratuite pour les étudiants dans le besoin.”
Quand les étudiants soutiennent les étudiants
Dressed ? C’est la petite sœur de Delivraide, une plateforme de livraison gratuite et solidaire de repas et de produits d'hygiène à destination des étudiants en situation de précarité, lancée par l’Association d'intérêt général Équipage Solidaire en octobre 2020. “En 2022, on a distribué 50 000 repas grâce à 2300 bénévoles dont 1600 livreurs. Ça fait un million d’euros de courses livrées,” se félicite celui qui vient de terminer son master de droit et qui s’apprête à poursuivre sur un programme Grandes écoles de 2 ans. 50 000 repas, ça fait aussi pas mal de soirées à rallonge, de partenariats à négocier avec des grands groupes, de remplissage de paniers dans des entrepôts, de relations publiques et de vidéos sur les réseaux sociaux pour rameuter du monde.
“J’ai commencé les vidéos lorsque j’avais 13 ans et je me suis mis à percer quand j’étais en prépa ENS D1 à Paris, témoigne le vingtenaire. Je montrais mon quotidien d’étudiant, je partageais ce que j’apprenais, l’idée était de démystifier les classes prépas.” Dans ses reels, Yovann a du flow, manie parfaitement les codes des youtubeurs, dit “wesh l’équipe” tout en citant George Orwell dans le texte, “plus vaste est la compréhension, plus profonde est l’illusion.” L’idée de ses productions audiovisuelles est avant tout de rassurer sur les études, de partager des tips, de créer une communauté qui échange et qui dialogue et de montrer que réussir c’est toujours possible.
Gènes solidaires
“J’ai grandi à Montreuil, dans la cité de l’amitié du quartier de la Boissière, témoigne le grand blond pour qui la trajectoire n’était pas forcément toute tracée. Jusqu’en troisième j’étais bon élève mais je me contentais du minimum. Lorsque je suis arrivé au lycée à Paris, je me suis pris une énorme claque, j’avais un retard de dingue, j’ai mis plusieurs années à remonter la pente.”
L’année de terminale, Yovann dont le prénom lui vient de sa mère serbe arrivée en France au moment de sa naissance (il devait naître en Serbie mais l’hôpital où sa mère devait accoucher a été bombardé), marche dans les pas de son père très engagé. Il distribue des vêtements pour primo-arrivants porte de la Chapelle avec l’association Utopie 56, prend part à des maraudes gare du Nord avec le Secours populaire… “Ma mère qui donnait toujours une pièce aux personnes sans-abri m’a aussi transmis les valeurs de partage.”
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La vraie vie
Yovann fait des vidéos, Yovann mène des actions solidaires. Un jour, il se dit que ses 8000 abonnés sur Youtube pourraient en faire autant. C’est pile à ce moment qu’Ismaël qui suit ses aventures sur Youtube le contacte au sujet de la prépa ENS. Quelques semaines plus tard, ils se retrouveront autour de la prépa de commandes… Ensemble, ils créent l’association Équipage solidaire pour organiser des maraudes à Montreuil avec les invendus du quartier. Rapidement, trente personnes les rejoignent et le covid fait le reste. “Je voyais le gaspillage alimentaire augmenter dans mon quartier et dans le même temps la précarité étudiante monter. Comme on est tous branchés H24 sur nos téléphones, je me suis dit qu’il fallait créer quelque chose de différent.”
Ce quelque chose c’est Delivraide une plateforme numérique sortie en mars 2021 qui permet d’un côté aux étudiants dans la galère de se faire livrer à domicile des produits frais et de première nécessité ; de l’autre à des livreurs volontaires de proposer leurs services. Il suffira d’un tweet de Yovann sur son compte pour que l’appli s’embrase. “Le tweet a fait 3000 likes, 150 000 vues, on a reçu des messages de partout, des propositions de livreurs, des mails de commerçants qui avaient des invendus…”
Engouement médiatique
Et puis après il y a eu un reportage Brut, le prix et l’accompagnement de la Fondation Cognacq-Jay (par makesense), une campagne d’affichage gratuite dans le métro, des médias qui viennent tout seuls et McFly et Carlito qui s’en mêlent aussi. “C’est l’explosion à nouveau, les gens nous contactent, on a plein de nouveaux partenaires, on développe le service dans 14 villes. Ça devient compliqué de gérer tout ça avec mes études de droit, mon alternance, la vie de mes réseaux. Je dormais hyper souvent au local. Il y a plein de moments où je me suis dit que c’était trop, notamment en période de partiels. J’avais envie de rappeler aux partenaires, « attention je suis étudiant » mais je me disais aussi qu’on n’avait pas le droit de craquer.”
Missionnaire de la solidarité
Les soirs de fatigue ou de doute, Yovann se remémore cette étudiante qui, un jour, les avait contactés en détresse absolue. Opérée du cœur, elle avait redoublé plusieurs fois, s’était fait retirer la bourse et n’avait plus aucun revenu. “Quand je suis arrivé pour la livrer, elle avait les larmes aux yeux, elle m’a dit que sans nous, elle n’aurait sans doute pas mangé ce mois-ci.”
Aujourd’hui Delivraide c’est 20 entrepôts en France, 30 000 étudiants bénéficiaires en 3 ans, des partenaires poids lourds comme Carrefour, Kayzer, Monoprix, Bio c bon, Naturalia mais aussi des commerçants locaux, un premier salarié embauché prochainement, des tournées en camion en fin de semaine pour faire reculer les statistiques selon lesquelles “un étudiant sur deux dit ne pas pouvoir manger décemment”.
De son côté, Yovann qui s’est fait une expérience en béton armé a déjà mille autres idées en stock dont une qui devrait éclore à l’automne. Quand il sera grand ? Il travaillera peut-être dans un grand groupe, “enfin je verrai bien”. Il s’imagine surtout poursuivre ce qu’il a commencé, changer le monde à son échelle et tisser le plus de liens possibles. Les soirs de fatigue ou de doute, il se remémora cette étudiante en détresse et se répétera en boucle : “Si on se décourage, il y a des gens qui ne mangent plus.”