Et si l’écologie partait aussi des quartiers populaires ? À Saint-Denis, des jeunes ont mijoté un programme aux petits oignons : cuisine nomade, invendus et smoothies au Conseil de l’Europe. Résultat ? Une écologie concrète, joyeuse… et contagieuse.
Quand on met Banlieues Climat, Unis-Cité 93 et makesense dans le même bateau, ça fait des choca… des soupes bio réalisées par des jeunes du 93 à partir d’invendus et distribués dans l’espace public. Avec le soutien de leurs partenaires respectifs et grâce à une coopération encouragée par la fondation EGIS, les trois organisations ont co-construit en 2024 un programme d’engagement concret et complet autour de la résilience alimentaire dans les quartiers populaires.
L’écologie par le concret (et le kif)
Le constat de départ ? L’accès à une alimentation de qualité n’est pas la même pour tous et toutes. La précarité alimentaire - soit le manque d’accès à une alimentation nutritive, saine et diversifiée - est plus forte pour les habitants et habitantes des quartiers populaires et est renforcée par le dérèglement climatique en raison de risques sur l’approvisionnement, de prix élevés, voire de pénuries. Les habitants de ces territoires achètent moins de produits frais, de fruits, de légumes et sont les premières victimes de maladies liées à leur alimentation, ce qui les rend également plus fragiles face aux pics de chaleur et la pollution.
Pour lutter contre ces risques et participer au mouvement en faveur d’une alimentation durable et écologique, 18 jeunes en service civique à Unis-Cité Seine-Saint-Denis (93) ont agi chaque semaine pendant 8 mois. Ce temps d’action régulier a permis aux jeunes participants de se sentir petit à petit devenir plus experts du sujet, en expérimentant concrètement et en multipliant les rencontres avec des entrepreneur·euse·s, politiques, activistes du sujet. Ils ont également pu mettre à profit les connaissances acquises dans leurs autres missions de service civique sur le territoire.
“Avant de faire cette expérience, je savais que l’écologie c’était important, que tout le monde en parlait mais j’étais très peu intéressée par ce sujet, explique Amina* une participante. Depuis le travail avec Makesense et Banlieues Climat, j’ai réalisé que c’était hyper important, surtout car pour nous, les quartiers populaires, (...) c'est plus grave, surtout sur l'alimentation. Autour de chez moi il n’y a aucun magasin bio et adapté à notre santé, on voit plutôt des fast foods. Je me dis que ce serait cool de demander au maire d'avoir des magasins bio et aussi d'avoir davantage d’associations.”
Mangez bougez : le projet de cuisine nomade
Être ambassadeur ou ambassadrice de la résilience alimentaire, cela signifie être capable de sensibiliser et mobiliser les habitants de quartiers autour d’actions concrètes. Pour se former et s’informer, la joyeuse équipe a appuyé sur le champignon (des transports en commun) et s’est rendue à divers événements. La visite du Salon de l’Agriculture a permis de discuter avec des agriculteurs et agricultrices, ou encore avec des responsables politiques comme le président de l’ADEME, Sylvain Waserman. Les jeunes ont également échangé avec des artisans, des responsables d’associations et ont découvert des méthodologies de concertation citoyenne.
Photos : visite du Salon de l’Agriculture
Mais la résilience alimentaire, c’est aussi mettre concrètement la main à la pâte. Outre un atelier pain, le gros projet des jeunes a été de construire et d’animer une cuisine nomade tout au long de l’année. Grâce à cette cuisine, les jeunes ont organisé des Banquets populaires un peu partout, c'est-à-dire des repas joyeux et délicieux préparés à partir d’invendus récupérés dans les commerces d’un quartier. Cette cuisine nomade est devenue LA vitrine de mobilisation dans l’espace public du programme.
“ Le programme a fait évoluer ma vision de l’écologie à 1000%, explique David*. Avant ma compréhension de l’écologie était de vraiment zéro, ce que je savais c’était juste qu'il ne fallait pas jeter des trucs par terre (…). Maintenant, je suis plus éveillé. Je dis pas que je suis un expert, mais… j’en parle beaucoup plus. Quand on me demande ce que je fais dans la vie, le premier truc qui me vient, c’est ça. (...) Je veux m’engager et aller dénoncer moi-même. Après y’a une façon de le revendiquer, si tu le fais bien ca peut interpeller les gens. Par exemple, la cuisine [nomade, ndlr] c’est bien, si on va en plein milieu d'un parc, on se ramène avec de la graille et tout, on leur explique qu’on a créé cette cuisine, les invendus, les marchés, la cuisine, etc. On va cuisiner, c’est gratuit, ça fait plaisir, et voilà régalez-vous et faites attention à votre façon de consommer. (...)”
Photo : construction de la cuisine nomade
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On ramène sa fraise au Conseil de l’Europe
Un moment particulièrement marquant pour les jeunes ? Avoir la chance de témoigner auprès de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe¹ afin de leur présenter les enjeux de la résilience alimentaire dans le 93. Avec leur cuisine nomade, les jeunes ont offert des smoothies aux parlementaires à Strasbourg juste le jour de l’adoption d’un rapport important sur le droit à l’alimentation. Assis sur des chaises de camping, les parlementaires ont pu écouter les demandes des jeunes en dégustant leurs boissons.
¹* Le Conseil de l'Europe est une organisation internationale basée à Strasbourg dont le rôle est de défendre les droits de l'Homme et la démocratie.
Photo : la cuisine nomade au Conseil de l’Europe.
“Le Conseil de l’Europe c’est le truc le plus huge qu’on pouvait faire, explique Kenza ! Même aller parler au Président de la République aurait eu moins d’impact que ça. (...) Cette année, j’ai l'impression d'avoir été vraiment acteur, réellement acteur des projets. Je sais que ma vie va forcément changer après ça. (...) Les 8 mois qu’on a fait comme ça, moi tout seul ça aurait été impossible. Makesense vous poussez pour qu’on y arrive.”
Photo : Les jeunes ambassadeurs de la résilience alimentaire au conseil de l’Europe.
L’appétit vient en mangeant
Si les jeunes ont fini leur parcours, la résilience alimentaire n’a pas fini d’entendre parler d’eux. Ils et elles continuent à mobiliser autour d’eux : “Aujourd’hui, je me sens en capacité de mobiliser mon entourage et de mobiliser avec d’autres personnes. Jeudi dernier, j’ai sensibilisé des jeunes collégiens sur le tri des déchets, se réjouit Morgane*. (...) Ce que j’ai aimé avec ce programme, c’est qu’on est vraiment acteur : on nous demande notre opinion et on l’écoute. (...) D’habitude dans la vie je ne me sens pas trop écoutée. Ici on est très autonomes, c’est carte blanche.”
Forts des succès du programme, makesense et Banlieues Climat ont réalisé une maquette pédagogique en quatre modules afin que la sensibilisation puisse être reprise et déployée plus largement. Chaque module compte une partie mise en action. Banlieues Climat utilise toujours la cuisine mobile pour des événements. Une nouvelle promotion de jeunes a repris le flambeau cette année au sein d’Unis-Cité 93 et à l’échelle nationale, l’association veut s’inspirer de cette expérience pour lancer un grand programme sur la résilience alimentaire qui pourra reprendre les principaux éléments de cette expérimentation. Prêts et prêtes à mettre les bouchées doubles ?
*Tous les prénoms ont été modifiés
Transition juste fête ses 3 ans
Trois ans que des milliers de jeunes issus des milieux populaires revendiquent leur place dans l’écologie via le programme Transition Juste ! Pour célébrer ces succès et mettre les jeunes et les associations à l’honneur, la campagne Juin Debout retrace dans une série d’articles les actions des organisations engagées au sein du mouvement. Chacune de ces organisations a noué une collaboration avec makesense - autour d’un programme, d’une formation, d’un contenu - que nous mettons ici à l’honneur.