Il y a des choses comme ça dont on entend parler depuis des années, parfois tous les jours, sans avoir jamais vraiment compris ce que c’était. Ce fameux « par rapport aux normales de saison » qui vient ponctuer chaque phrase de Marie-Pierre Planchon en fait partie. Mais c’est quoi ces « normales » ? Comment sont-elles calculées ? Est-ce qu’elles sont vraiment normales
Aujourd’hui, il fait ce qu’on appelle communément un temps pourri. La pluie arrose le passant par intermittence, le soleil perd la bataille contre les nuages et des feuilles orange tapissent les trottoirs. L’automne est bien là, l’ambiance est morose. Les pulls en laine et les cirés colorés sont de mise, on hésite à rallumer le chauffage. Tout porte à croire que la météo est particulièrement rude, et pourtant, il n’y a pas un seul endroit en France où les températures sont en-dessous des normales de saison. +2,1°C à Bordeaux, +3,4°C à Dijon, +2,2°C à Paris… Cette journée s’ajoute à la très longue liste des journées plus chaudes que les normales de saison. Depuis un an, elles ont été 289 au total, soit près de 80 % de l’année.
Plus chaudes par rapport à quoi, qui, quand ?
La météo, telle que nous la présente Evelyne Dhéliat depuis 32 ans, c’est le temps qu’il fait à un endroit et un moment donnés. Elle est susceptible de changer toutes les minutes – coucou la Bretagne. Le climat, quant à lui, correspond à l’ensemble des météos possibles à un endroit et moment donnés, sur une période bien plus longue – 30 ans par convention. Autrement dit, le climat c’est le dé à 6 faces, et la météo est une de ses faces.
Les normales, c’est un peu le lien entre la météo et le climat dans la mesure où c’est un outil qui permet de mettre en perspective la météo du jour par rapport aux températures observées sur une échelle de temps bien plus large.
Rentrons dans la partie technique. Pour calculer ces « normales », Météo-France établit localement une moyenne des relevés d’une station météorologique sur trente ans. Quand on parle de la température nationale, la « normale » repose sur la moyenne des températures relevées dans les trente stations météorologiques de référence réparties sur le territoire métropolitain. La moyenne de ces relevés a d’ailleurs un petit nom, c’est l’indicateur thermique national. Depuis juin 2022, les températures du jour sont comparées aux normales calculées entre 1991-2020.
Pourquoi 30 ans ? Les climatologues estiment que cette période est à la fois suffisamment longue pour que les fluctuations journalières n’aient pas d’influence sur la moyenne et suffisamment courte pour témoigner du climat actuel.
Des normales pas très… normales
Depuis 1970, chaque nouvelle décennie est plus chaude que la précédente.
Écart thermique à la normale 1981-2010 en France par décennie depuis 1901 – Via Météo France
Pour rester représentative, la période de référence décale d’une décennie, tous les dix ans. Les « normales » de saison ne sont donc pas à prendre comme la normalité du climat, car elles intègrent le changement climatique.
Mathieu Sorel, climatologue chez Météo France, le reconnait, « le mot « normales » est un peu maladroit. Il sous-entend un phénomène de normalité. Il faudrait le remplacer par « référence » ou « moyenne » ».
À cette ambiguïté sémantique s’ajoute un autre effet pervers lié au mode de calcul : les normales étant actualisées tous les dix ans, sur la base des températures observées sur les trois décennies écoulées, elles ont tendance à minimiser le changement climatique. En seulement trente ans, la température moyenne dite « normale » en France métropolitaine est passée de 11,82°C à 12,97°C. Les écarts aux normales annoncées aujourd’hui dans les bulletins météorologiques occultent cette augmentation de la température.
Évolution des normales de températures moyennes annuelles en France métropolitaine – Via Météo France
C’est pourquoi l’Organisation Météorologique Mondiale recommande d’utiliser la période 1971-2000 si l’objectif est de sensibiliser au changement climatique, les années 1980 marquant l’accélération du chamboulement des températures liée à l’activité humaine. Dans cette même veine, Christophe Cassou témoigne des interrogations de Météo France : « Nous sommes en train de questionner ce concept de 'normales' qui est pertinent dans un climat qui est stationnaire, mais qui ne l'est pas dans un climat qui change et qui change rapidement », comme c'est le cas aujourd'hui.
Des anomalies en pagaille
Bien que ces normales intègrent et cachent une partie du réchauffement climatique, les anomalies de températures restent affolantes. En témoigne le graphique ci-dessous, publié récemment par l’institut Copernicus. La température est pourtant comparée à la période de 1991-2020, donc environ le climat de 2005, et le mois de septembre affiche un écart record aux normales de quasi 1°C sur l’ensemble du globe.
Écart de température à la normale (période 1991-2020) au niveau mondial en septembre
Les normales concernent également la pluie, l’ensoleillement et le vent. À ces niveaux-là, le chamboule-tout fait également son œuvre. 10 à 40 % de cumuls de pluie en moins sur l’ensemble du pays en 2022, celle-ci se classe au second rang des années les moins pluvieuses depuis 1959. L’ensoleillement a lui été excédentaire de plus de 10 % sur une bonne partie du pays, sacrant 2022 année la plus ensoleillée que la France ait connue depuis le début des mesures. Une bonne nouvelle pour les vignes, une moins bonne pour tout le reste.
Alors, prêt.e.s à apprécier tous les jours « pourris » de cet automne ?
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