Un printemps toujours plus silencieux, quand la loi Duplomb pourrait bien mettre un coup fatal à la biodiversité

Un printemps toujours plus silencieux, quand la loi Duplomb pourrait bien mettre un coup fatal à la biodiversité

Réintroduction de pesticides interdits, assouplissements pour les élevages industriels, la loi Duplomb en discussion au Parlement pourrait bien encore faire reculer l’agriculture qui ne détruit ni nos assiettes ni la planète.
28 May 2025
par Vianney Louvet
4 minutes de lecture

La proposition de loi Duplomb veut réintroduire des pesticides interdits, dont les néonicotinoïdes. Plus de 1 000 scientifiques s’insurgent. Au cœur du désastre à venir : les insectes, invisibles et méprisés, mais indispensables. Alors  que leur disparition s’accélère, cette loi pourrait bien leur porter le coup de grâce

Vous l’avez peut-être découvert dans la presse avec effroi : “Réintroduction de pesticides interdits : plus de 1 000 médecins et scientifiques dénoncent la proposition de loi Duplomb”. Encore une splendide catastrophe ? Oui. Le projet prévoit de réintroduire des pesticides interdits, dont des néonicotinoïdes. Comment est-il possible d’en arriver là ? À chaque jour ne suffit donc pas sa peine ? Attaquons ce problème par un seul prisme : les insectes. Vous l’avez remarqué : nous n’avons pas écrit le mot “insectes” dans notre titre et à dessein. Ce n’est plus vendeur du tout les insectes. Ils n’ont pas voix au chapitre depuis bien longtemps. Ils sont petits, souvent moches, ils piquent et nous attaquent. Moins on en parle, mieux on se porte. Et pourtant leur extinction est vertigineuse, et la loi Duplomb envoyée le 26 mai en commission mixte paritaire ne fera que l’accélérer, de manière terrifiante.

Les études défilent, les chiffres deviennent de plus en plus effarants et rien ne se passe. Une réduction des populations d’insectes en Europe de l’ordre de 80 % au cours des deux décennies écoulées. Il y a 20 ans, vous vous baladiez et restiez, les yeux dans le vague, face à une dizaine d’abeilles en pleine java au milieu de fleurs mellifères. Aujourd’hui, de cette dizaine de bourdonnantes il n’en restera donc plus que 2. Simple dommage esthétique ? Pied de nez futile aux poètes et autres romantiques ?  Vous vous doutez bien que c’est bien plus grave. “Si les abeilles disparaissent de la surface du globe, l'homme n'aurait plus que quatre années à vivre". Ce n’est pas Einstein qui a dit ça, d’ailleurs si vous connaissez l’auteur ou autrice de ces mots faites-nous signe, mais l’idée est là : les insectes sont des géants minuscules indispensables au prodige de la Vie terrestre. 

Ne les accusons plus de gâcher nos nuits : c’est notre civilisation qui les privent d’une tranquillité vitale, le cauchemar de ces petits êtres, c’est l’être humain. Et tout ce qui va avec. 

Cauchemar numéro 1 : notre agriculture

Quel est le point commun entre des céréales servant de nourriture animale ou les betteraves pour les agrocarburants ? Ce sont des cultures aujourd’hui non pollinisées par les insectes. Qui laissent derrière elles un silence lourd. Et une agriculture décimée. Dépourvus de leur ouvrier principal, les rendements chutent et les agrosystèmes deviennent des cimetières où toute production devient impossible. Et on peut jouer autant qu’on veut avec la chimie, rien ne remplacera l’insecte : un champ de colza, même en conventionnel, perd 30 % de productivité faute de pollinisation.

Cauchemar numéro 2 : l’autre insecte  

Au-delà du désastre agricole et de l’impact sur nos assiettes, les grandes parcelles uniformisées en monoculture, sans diversité dans le paysage, “attirent toujours en masse les mêmes insectes agresseurs. C’est une loi quasi physique de l’écologie, totalement ignorée des agriculteurs industriels”. C’est Philippe Grandcolas, écologue, directeur de recherche au CNRS, qui l’explique au Monde récemment. 

Cauchemar numéro 3 : la chimie humaine

“Des insectes agresseurs ?” Pas de problème, on rajoute un peu plus de chimie ! Mais pas de panique, ce sera “ciblé”. Le discours des industries agroalimentaires pour tenter de limiter les dégâts occasionnés par leurs pratiques ne tient pas debout. Certes, un insecticide est synthétisé à la base pour nuire uniquement à certaines espèces d’insectes, c’est sa mission. Néanmoins, une étude internationale parue dans Nature Communication, l’affirme : “Les pesticides ont des effets négatifs sur les organismes non-ciblés”. Surprise. Et on ne parle pas d’une étude anecdotique : 12 auteurs et autrices, 1 700 études analysées en laboratoire et en plein champ, prenant en compte 471 types des pesticides différents : insecticides, herbicides et fongicides. Conclusion : 800 espèces différentes sont impactées, 800 espèces représentatives d’une palette de biodiversité très large. “Impactées” entendez ici une mort directe ou des effets dits “sublétaux”, c’est-à-dire qu’ils vont impacter la croissance, la reproduction, la capacité à se nourrir, se déplacer et provoquer une mort indirecte. Philippe Grandcolas, encore lui, résume l’utilité de cette étude ainsi : “le dogme du pesticide ciblé est complètement faux, c’est une excellente réponse à tous les lobbyistes qui tentent de dire l’inverse”. 

Cauchemar numéro 4 : nos pare-brises

Non, on ne va pas dire que nos voitures et leur pare-brises écrabouillant les insectes sont responsables, à un même degré, que l’agriculture ou le climat de l’extinction des insectes. Cependant, ils permettent de confirmer que les chiffres récents et de tirer un peu plus le signal d’alarme. Récemment une enquête baptisée “Bugs Matter”  déclare que 60 % de la population des petits volants aurait disparu Royaume-Uni… en trois ans, entre 2021 et 2024. 60% en 3 ans. Pour faire ce calcul, l’indicateur utilisé est “l’effet pare-brise”. En gros, c’est près de 10 000 britannique qui, via une application, enregistrent leur trajet en voiture et prennent une photo, avant-après, pour compter le nombre de cadavres d’insectes sur leur véhicule. Étonnant mais inventif. Créatif mais sinistre. 


Cauchemar numéro 5 : le monde d’après 

Si le constat actuel est terrifiant, ne parlons même pas des projections. On parle bien ici d’une crise environnementale, à ce stade, les effets des dérèglements climatiques, eux, vont être ressentis à moyen termes et se conjuguer à la situation actuelle. Le futur n’existera que si les humains adoptent un fonctionnement à deux vitesses : une grande vitesse d’action et en même temps une vraie lenteur pour constater les premiers impacts. Deux raisons à cela :  

  • Les pesticides ne disparaissent pas du jour au lendemain parce qu’on arrête leur utilisation. La chimie intense de notre agriculture et les molécules saupoudrées partout restent dans les milieux naturels, même sous forme de produits dégradés. Ils continueront donc d’impacter le vivant, notre santé, nos paysages pendant une durée certaine. 
  • Le climat, donc, va également ajouter son grain de sel. Le réchauffement climatique et les dérèglements à venir impacteront la population des insectes et il est difficile d’en connaître l’ampleur dès à présent.