Mai 2018. Une vidéo intitulée #Ondéborde, lancée à l’époque par les youtubeurs écolos en vogue (Partager c’est sympa, Et tout le monde s’en fout, Osons causer…) illustre une période pré-covid, pré-gilets jaunes, où les médias et donc les politiques (et vice-versa) semblent accroître leur intérêt pour le sujet de la crise climatique, les Fridays for Future, les Greta, les actions d’Extinction Rebellion, etc. Et puis quelques années ont passé. Et à l’aube de 2025, tout cela semble si loin. L’espoir de remettre l’urgence écologique au centre des débats semble s’être évaporé. Y a-t-il encore un moyen d’en faire la star des plateaux télé et radio ? Sûrement.
Ingrédient 1 : ne plus jamais parler d’écologie
Les récents sondages Ipsos tentant de classer les préoccupations des Français et Françaises placent sur le podium l’inflation (à 37%), la criminalité et violence (32%), la pauvreté et les inégalités (29%).
Soyons d’emblée très prudents avec ce type d’information, très volatile et dépendante des événements extérieurs, du traitement médiatique et donc du bon vouloir de ceux qui pèsent sur nos télés et nos radios. Toujours est-il que ces thématiques mises en avant nous forcent à “coller au réel” et à sortir de la stratégie écologiste traditionnelle.
Étape 1 : l’heure est donc arrivée de ne plus prononcer les mots fatigués et dilués par le temps du “climat”, de “l’écologie”, etc.
Étape 2 : de quoi parler ? De l’immédiat, de ce qui fait la pâte de nos jours, de l’évidence. Et pour beaucoup ces évidences sont aussi des urgences : le boulot, la bouffe, les sous.
Étape 3 : comment en parler ? Il y a la méthode CNews. Plus de peur. Plus de peur. (Et plus d’audimat). Figurez-vous, ô surprise, que ce n’est pas cette voie que nous souhaitons développer ici. Tentons de suivre la méthode “des besoins”. Autrement dit d’extirper, derrière chaque thématique valise, le besoin qui correspond. Inflation ? Pauvreté et inégalités ? Besoin de bases : bien manger, bien dormir. Besoin de justice sociale, besoin d’un travail digne et épanouissant. Criminalité et violence ? Besoin d’un voisinage paisible, besoin de lien, de sécurité donc de liberté.
Étape 4 : Complexifier pour simplifier.
C’est l’étape la plus… complexe. Creuser ce qui nous échappe, à nous petits cerveaux qui aiment placer dans des cases, trier, séparer le noir du blanc, se raconter une histoire avec les méchants et les gentils. Creuser pour comprendre.
Cette étape consiste ainsi à remonter le courant pour appréhender, ne serait-ce qu’un peu, la complexité qui sous-tend ces détails du quotidien. Ce morceau de gruyère a augmenté de 0,60€ en une semaine. Quelle est la marque de ce fromage ? De quelle exploitation provient-il ? De quel groupe dépend l’éleveur ? De quelles politiques ? Qui fixe ces politiques ? Sur les 4,30€ de morceau de gruyère, qui gagne quoi ? À quel stade de la chaîne y a-t-il un truc qui cloche ? Et là vous l’aurez compris, cela devient 1) chiant 2) décourageant 3) très complexe (donc facilement instrumentalisable, fakenewsable dans un sens ou dans l’autre).
Ingrédient 2 : ne plus jamais parler “des gens”
“Les gens en ont marre! ” - “Les Françaises et les Français veulent savoir! ” - “La population souffre! ”.
Dans la bouche de certains et certaines, la France est un bout de terre sur laquelle une seule grande entité humaine de 70 millions de petits membres s’exprimerait de sa grande et belle voix : “j’en ai marre”, “j’ai peur”.
Là encore, le piège de la simplification est dans l’air. Non des humains ne forment jamais un groupe uniforme, non, nos vies ne sont pas comparables, même lorsqu’on a l’impression de connaître l’autre, on est finalement très loin (et on le restera toujours) de toucher à son for intérieur, à son essence. Faites d’ailleurs un tour sur le dernier Philosophie Magazine qui creuse cette vertigineuse question de l’Autre et de notre (in)capacité à le connaître réellement.
Quel rapport avec la choucroute me direz-vous ? L’écologie, c’est un enjeu par définition global, mondial, macroscopique. Et c’est une des raisons pour lesquelles on abandonne si facilement le sujet. Aucune prise, aucune possibilité de cerner un mastodonte pareil. Si en revanche on passe “des gens”, de “la population mondiale” à “mon frère Mehdi”, “ma collègue Lena”, là on descend 321 étages et on revient au réel, au palpable.
Quelles questions noient Lena quand elle fait face à son petit écran dans un open space ? Quelles aspirations pour Mehdi quand il coupe les cheveux de ses clients ? Quelles souffrances, joies, idées, c’est ça qui nous intéresse ! Et il est là le terreau d’une politique qui a du sens. Écoutons parler des sociologues, des travailleurs sociaux, des aides soignants, écoutons les agriculteurs et agricultrices, écoutons les ouvriers, écoutons ces vécus et construisons une écologie collective mais bâtie sur l’individu tel qu’il traverse l’existence en 2025.
Ingrédient 3 : renouveler plutôt qu’imiter
Ceux qui tirent les ficelles aujourd’hui semblent être ceux (nous n’écrirons pas ceux et celles à dessein) qui crient le plus fort, qui repoussent les lignes rouges de plusieurs kilomètres chaque jour, qui accumulent vues, likes, propos haineux, polémiques et gros biceps.
Là encore, deux choix s’offrent à celles et ceux qui veulent faire exister la défense du vivant dans les échanges et ne pas laisser les fous nous rendre fous à leur suite.
Choix 1 : on imite, on surenchérit. On crée 8 comptes tiktok pour espérer le buzz, on planche 6 après-midis de suite pour pondre le tweet qui sera repris par 2 millions de personnes, on choque pour répondre au choc, on insulte pour répondre à l’insulte, on fait mal à ceux qui font mal. Bon courage à vous et à vos proches.
Choix 2 : on imagine un chemin de traverse, on croit qu’au fond de nous se trouve LA pièce inhabitée, celle dont on n’a pas encore la porte, celle qui recèle un truc nouveau. Une nouvelle manière de communiquer, d’embarquer, de faire rire, d’émouvoir, de créer du lien. On sort de l’ornière pour retrouver une terre ferme.
Alerte : le choix numéro 2 est souvent précédé d’une sorte de “traversée du désert”, une solitude qu’il ne faut pas fuir immédiatement. “Les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux” nous dit le brave Georges Brassens. Une fois cette phase de “dérangement de l’ordre établi”, il faudra tenir bon, faire face à une inévitable violence de ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que les sujets de la liberté et de la justice émergent.
La bonne nouvelle ? Il y encore des millions, des milliards même de cerveaux humains, d’âmes terrestres désireuses de ne pas poser les genoux à terre. Autant de possibilités d’idées, d’éclairs de génie, de créativité qui font chaud au cœur rien que d’en sentir les premiers frissons non ?
Ingrédient 4 : éviter l’erreur qui nous coûterait chair
Vous n’avez rien retenu à cet article ? Tant mieux, car c’est le but de ce quatrième et dernier point. Mettre nos neurones en RTT et laisser le corps prendre le relais. Comprendre par le corps, par la chair et laisser l’esprit suivre docilement derrière. Pour ça, on vous propose de faire de la poésie dans l’autre sens et de laisser les sens figurés devenir propres :
“L’écologie sera sur toutes les bouches”. Elle le sera effectivement si nos bouches ont la chance de goûter un légume fraîchement récolté, dans la parcelle d’à côté et de le comparer aux morceaux de carton sous barquette d’une grande surface. Autrement dit, elle le sera si la sécurité alimentaire et le soutien au monde paysan deviennent la pierre angulaire des politiques publiques actuelles.
“L’écologie dans l’air du temps”. Elle le sera effectivement si l’air, cet air qu’il est si bon de respirer sans pressentir les poubelles volantes et invisibles habituelles, devient réalité. Alors sortons de nos bureaux, de nos bitumes, et marchons, et mettons-nous en mouvement, laissons ce corps respirer et exigeons de nos élus une lutte radicale contre la pollution de l’air.
“L’écologie sur le devant de la scène”. Elle le sera effectivement si nous créons une société dans laquelle n’importe qui a la possibilité, la chance d’apprécier un corps qui se meut sur scène, de pleurer à l’écoute d’une mélodie jouée par quelque êtres virtuoses, de contempler le pouvoir de la création, sur scène, dans les rues. La vie en barres sous nos yeux.
L’écologie n’est pas un discours, ni une conférence scientifique, encore moins un rapport de 80 pages en anglais : c’est le plus haut degré du réel, celui qui touche n’importe quel être vivant, celui qui, en 2025, espérons-le, sera sous le feu des projecteurs médiatiques, politiques, artistiques, économiques et plein d’autres mot en “ique” et sans hic.