C’est l’un des symboles des dérèglements climatiques en cours. Sorte de baromètre du réchauffement aussi simple à observer que compliquer à ressentir depuis notre petite vie. Ces géants blancs sont loin et pourtant la conséquence de leur disparition vertigineuse se fait ressentir ici, et de plus en plus. Prenons quelques minutes pour faire un bilan de ce qui se passe dans le grand Nord. État des lieux glacé-glaçant.
Quelques définitions à froid
Petite avalanche de définitions pour être sûr qu’on parle de la même chose. Le glacier (glace de terre, formée par un amas de glace continentale, elle-même formée à partir de la neige. C’est donc de l’eau douce) n’est pas la banquise (glace de mer issue de la congélation de l’eau de mer salée). Et si le premier fait augmenter le niveau de l’eau quand il fond, le deuxième n’a – si on se cantonne à ce seul paramètre – aucun impact.
Dans la famille des glaciers, on distingue une calotte glaciaire, d’une superficie d’au maximum 50 000 kilomètres carrés (exemple : l’Islande) d’un inlandsis (qu’on appelle aussi calotte polaire), un glacier de plus 50 000 kilomètres carrés (deux exemples : l’Antarctique ou le Groenland)
Vous en voulez d’autres ? Allons-y gaiement : les icebergs. Ils ne proviennent pas de la banquise mais bien du front des glaciers dont ils se détachent pour mettre des coups de boule à nos Titanic, notamment. Quand les icebergs fondent, ils contribuent, eux aussi donc, à l’élévation du niveau des mers.
L’Arctique, au pôle nord est un océan recouvert de banquise. Une partie de cette banquise est permanente et reste en place même pendant l’été. L’Arctique est entouré par des terres, dont le Groenland qu’on connait un peu mieux. De l’autre côté, au niveau du pôle sud, l'Antarctique est le continent le plus méridional de la Terre, d’une superficie de 14 millions de kilomètres carrés. 98 % de sa surface sont recouverts d'une couche de glace d’une épaisseur moyenne de 1,6km.
Et pour la poésie, sachez que les géographes de la Grèce antique connaissaient l’existence de l’ours blanc du Grand Nord (comment d’ailleurs ? Bravo camarades, vous me bluffez). Ours en grec vient « d’Arctos », d’où le mot Arctique. L’Antarctique (anti-arctique) sera jusqu’en 1821, la « Terre Australe Inconnue », imaginée par les Grecs.
Un glacier qui nous maintient en vie
La glace, c’est la personne sympa dans un groupe de rando. Celle qui encaisse un peu les tensions, joue les médiatrices quand certains râlent parce qu’ils ont des ampoules au pied.
Sans elle, on aurait beaucoup plus chaud : 80% des rayons du soleil qui se reflètent sur la glace sont réfléchis directement dans l’espace. En revanche dès qu’elle menace de quitter le GR et de lâcher le groupe, tout le monde panique et les catas se multiplient :
- les océans se retrouvent « à poil » et absorbent 90% de la lumière solaire et encaissent 25% du CO2
- sa fonte entraine l’émission du méthane (notamment celui coincé dans le permafrost) dans l’atmosphère, aggravant à son tour le changement climatique. Il fait chaud, ça fond, et plus ça fond, plus il fait chaud et plus les GES augmentent, plus il fait chaud, c’est la fameuse boucle de rétroaction positive, c’est formidable.
Le cauchemar des Celsius du cru 2022
Dans un rapport annuel paru l’année dernière, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) des Nations unies note que les glaciers ont fondu à une vitesse record sur l’année 2022, phénomène qui semble aujourd’hui impossible à endiguer.
Pourquoi ça fond ? La réponse de l’OMM, en début de rapport, est dramatiquement évidente et connue :
- la température moyenne de la planète en 2022 était supérieure de 1,15°C à celle de l’époque préindustrielle (1850-1900). Comme expliqué peu avant, cela entraine notamment l’augmentation de la concentration dans l’atmosphère des trois principaux GES (dioxyde de carbone, méthane et protoxyde d’azote), qui avait déjà atteint des niveaux record en 2021.
- les huit dernières années, de 2015 à 2022, ont été les plus chaudes jamais observées (et ce n’est qu’une conséquence parmi d’autres, de la «progression continue du changement climatique», prévient l’OMM)
Notons pourtant que les 3 dernières années sont censées être refroidies par le refroidissement de La Niña.
« La partie est déjà perdue pour les glaciers »
C’est en tout cas ce que dit Petteri Taalas, le secrétaire général de l’OMM, et malheureusement on n’a rien sous la main pour le contredire. Les conséquences d’une année dernière qui a soufflé le chaud et pas le froid sont désastreuses : la fonte de nos glaciers sur le continent européen a dépassé les records (les Alpes européennes ont battu toutes les maximales de fonte, avec des variations d’épaisseur de «trois à plus de quatre mètres») et l’Antarctique a atteint son niveau le plus bas jamais enregistré, avec une superficie à 1,92 million de km² relevée le 25 février 2022...
Finalement tout ça ressemble à la fin trop téléguidée d’un film mal écrit. La scène finale se joue en 4 temps :
- des températures qui explosent
- puis des glaciers qui fondent à un niveau spectaculaire. Les 40 glaciers suivis par l’OMM ont perdu 1,18 mètre d’épaisseur en moyenne, entre octobre 2021 et octobre 2022. «Cette perte est beaucoup plus importante que la moyenne des dix dernières années » selon l’OMM. Et si on cumule les pertes depuis 1970, on atteint le nombre vertigineux de 26 mètres. Pour finir cette overdose de chiffres : le taux de fonte des glaces a augmenté de 65% en 30 ans, passant de 800 milliards de tonnes par an dans les années 1990 à 1 300 milliards en 2017. Des chiffres difficiles à « concrétiser » dans nos petites têtes.
- puis le niveau de la mer monte deux fois plus vite que dans les années 1990. Le niveau des mers a augmenté de 4,62 mm par an entre 2013 et 2022. Elévation qui menace des villes côtières, et même des Etats, comme l'île de Tuvalu.
- et des eaux qui se réchauffent. Deux chiffres à retenir pour illustrer cela : 58 % de la surface des océans a connu au moins une vague de chaleur marine au cours de l’année 2022 et la température de la couche supérieure des 2 000 premiers mètres de profondeur a «atteint un niveau inédit» l’année dernière.
Et maintenant, on va où ?
Si les chiffres pour comparer 2023 à 2022 ne sont pas encore tous connus, la communauté scientifique le dit déjà : les concentrations de CO2 dans l’atmosphère et dans les océans sont déjà telles qu’un point de non-retour a été atteint pour une bonne partie des glaces présentes sur la planète. La perte de glace terrestre provenant des glaciers du Groenland et de l’Antarctique et le réchauffement des océans (par le biais de la dilatation thermique) condamne la hausse du niveau moyen de la mer à se poursuivre pendant «des milliers d’années».
Si à la mi-mai Antoine Rabatel, glaciologue à l’Institut des Géosciences de l’Environnement, déclarait que l’on était « moins mal parti que l’an dernier » - notamment parce que contrairement à la fin de l’hiver 2022, la neige était encore présente sur certains massifs, protégeant les glaciers du rayonnement solaire, il n’en reste pas moins que l’intégralité des projections concernant la fonte des glaciers à moyen termes est catastrophique.
Rester calme, surtout rester calme, et agir, pas tout seul.
Sources
We Demain - Fonte record des glaciers : 2022, annus horribilis, selon l’ONU
Libération - Climat : l’ONU alerte sur une fonte record des glaciers en 2022
WWF - Les causes et conséquences de la fonte des glaces
France Inter - La partie est déjà perdue" : la fonte des glaciers bat des records, alerte l'ONU
Numerama - Non, le niveau de la mer ne monte pas à cause de la fonte de la banquise
OMM - Le rapport annuel de l’OMM souligne la progression continue du changement climatique