Il a l’âge de Greta Thunberg et la même détermination : empêcher l’emballement climatique. Féris Barkat se bat pour éviter à la planète quelques dixièmes de degrés supplémentaires. L’art oratoire est son arme, les réseaux sociaux ses alliés. Rencontre.
«Une armée de virus pire que le covid arrive. Je vous parle de la plus grande menace pour l’humanité. (…) Ce que je vais vous raconter, ça a été mon premier choc. Des scientifiques du monde entier se sont trompés, ils n’avaient pas prévu un dégel du permafrost avant 2080 sauf que ça a déjà commencé. (…) C’est une bombe climatique, dans la glace il y a le triple de ce qui a été émis en terme de gaz à effet de serre depuis 1850. Les scientifiques ont peur parce qu’il y a tellement de gaz à effet de serre qu’on pourrait arriver à un scénario fournaise. (…)»
Le 27 juin dernier, Féris Barkat, 20 ans, publie une vidéo d'une minute sur la fonte du permafrost sur Tik Tok qui dépasse les deux millions de vues et déclenche une avalanche de commentaires ambiance fin du monde. «Beaucoup de personnes ont eu peur. Les gens mettaient en commentaire «on va tous mourir » et là j’ai commencé moi aussi à paniquer. C’est comme si j’avais mis de la distance avec le sujet en publiant ma vidéo et qu’ensuite j’avais été repris par mon propre contenu.»
Féris Barkat - dans son clip Belle au bois brûlant
L’école de la vie
Féris Barkat, influenceur aux 52 000 abonnés sur Tik Tok est le fils unique d’un père ouvrier algérien et d’une mère marocaine qui n’ont rien du couple bobo-zéro déchet-végane-bio. Né en 2002, l’année précédant la première grande canicule meurtrière, il grandit entre les quartiers populaires et résidentiels de Strasbourg et, longtemps, préfère le foot à l’école, le fond de la classe aux premiers rangs. «Jusqu’au lycée et la découverte de l’éloquence, rien ne me passionnait vraiment. Je n’avais pas de conscience écologique mais plutôt une conscience sociale parce que je voyais mon père aller à l’usine et s’abîmer la santé.»
Le déclic écologique se fera en plusieurs étapes, par la philosophie d’abord à la suite d’un cours sur la technique et les limites du progrès. Ensuite, par une rencontre avec l’attaché parlementaire de Vincent Thiebaut qui lui parle de permafrost. «En terminale, j’ai eu un gros coup d’éco-anxiété, je ne voulais plus étudier, je me disais à quoi bon si dans 5 ans il n’y a plus rien.» Comme au collège quelques années auparavant, un professeur trouve les mots et la formule qui lui permettront de ne pas décrocher. Féris est admis à la London School of Economics qui, avec seulement 8 heures de cours par semaine, lui laissera du temps pour son engagement. Les premiers mois, le jeune strasbourgeois expatrié prend le temps de lire, de se former, organise un cycle de conférences sur la nécessité et les défis de la sauvegarde de la planète, écrit des articles…
Mais rapidement, face à l’urgence d’un monde qui se meurt, Féris trouve plus de sens dans son existence à travers l’engagement qu’en suivant des cours sur Platon. Il décide donc d’interrompre la deuxième meilleure université du monde en sciences sociales, qui faisait pourtant la fierté de sa famille. Bien sûr, cette décision a suscité l’incompréhension et l’inquiétude de ses parents «mais face à un monde qui n’a jamais aussi vite périclité, il y a paradoxalement une chance immense de faire face à l’absurdité de l’univers, de se battre structurellement pour la dignité de tous, je dois saisir cette chance,» confie-t-il.
De retour en France, Féris postule au Collège citoyen de France réservé aux acteurs du changement, est admis et profite des 200 heures de formation pour se faire accompagner par des mentors (Léa Moukanas présidente de l’association Aïda et Maryline Gygax, médecin général dans l’armée), rencontrer un maximum de personnes et affiner son idée de sensibilisation aux enjeux du changement climatique. «Encore une fois j'ai eu de la chance de croiser des gens formidables comme mes super mentors ou Marco Berrebi.»
Parmi les 44 membres de la promotion, je devais avoir le projet le plus flou, je suis le seul à avoir deux mentors.
Slamer pour avancer
Lorsque l’on a 20 ans, un des médias les plus impactants pour faire passer ses idées comporte 6 lettres. Au printemps 2022, Féris qui s’est initié à l’art oratoire au lycée publie sur Tik Tok ses premières vidéos et partage ses prises de parole lorsqu’il était encore à Londres. Il aborde la place du climat dans les médias, la disparition des coraux… On le voit ensuite en tenue d’avocat sur les planches du Grand Rex plaider pour le Roi Arthur organisé par la Fédération francophone de débats. C’est véritablement à partir du 8 avril 2022 que le jeune influenceur trouve son style et son public en déroulant les questions, les réponses, en s’appuyant sur les tweets ou les propos publics pour rétablir la vérité en une minute chrono.
En moins de deux mois, plus de 40 000 personnes le suivent. Il se lance aussi sur Instagram et se met à buzzer le 26 juin avec sa lettre aux influenceurs en forme de slam qui vous prend au cœur et aux tripes : «On me voit comme quelqu’un d’engagé / c’est le mot à la mode en ce moment mais quand vous réaliserez ce qui se passe vous verrez que c’est juste une réaction appropriée / partout des parents, des jeunes, des scientifiques ont eu le déclic / avec vous ça pourrait tellement, tellement aller plus vite.»
Féris Barkat - dans son clip Chacun pour toutes
Aller plus vite que le changement climatique, toucher un maximum de monde, rappeler à la fin de chaque vidéo qu’il faut qu’on soit une communauté soudée (donc abonnez-vous) pour éviter le mur sont les mantras de Féris qui n’arrive plus à concevoir l'effondrement qui «devient moins concret comparé à la souffrance du vivant autour de nous.» «Ce qui réveille parfois mon éco-anxiété et me révolte, c’est le syndrome du Titanic que l’on doit à l’économiste Gaël Giraud, explique-t-il. Devant la situation, les plus riches fuient et vont déménager dans des pays plus au nord. Ça me fait chaque fois un petit coup, mais ça m'a permis d’engager une réflexion sur la résilience notamment des banlieues pour lesquelles il n’y a pas d’échappatoire.»
Le chantier climatique est gigantesque et Féris regrette qu’une journée ne fasse que 24 heures, même si en théorie ça fait quand même 1440 minutes soit autant de vidéos potentiellement publiées sur Tik Tok. Les prochaines semaines, il aimerait embarquer ses amis d’enfance dans une lutte qui n’opposerait plus fin du monde et fin du mois, «parce que c’est le même sujet», sortira un nouveau slam sur la biodiversité et un autre sur les violences faites aux femmes, poursuivra ses nouvelles chroniques sur RCF, interviendra dans les écoles avec les ateliers éco-écoliers qu’il a créés, dispensera des conférences, reprendra un rythme soutenu sur les réseaux sociaux, continuera de s’intéresser à tout, tout le temps.
«Je vais essayer de m’arrêter là mais récemment, j’ai lu une enquête sur les pompiers et la santé qui est hyper intéressante et pourtant n’a été reprise nulle part. Faire un reportage sur le sujet, ça me dirait vraiment.» Il confie aussi chercher un regard extérieur pour accompagner son projet d’écriture qui vise à guider sa génération dans cette nouvelle ère d’incertitude. Quand le monde brûle, Féris ne regarde jamais ailleurs.