Le projet de loi Climat actuellement discuté à l'Assemblée nationale concerne notre quotidien. Notre façon de nous déplacer, de consommer, les emplois que nous occupons… Mais de nouvelles lignes dans la loi peuvent-elles vraiment changer le monde ? Sûrement selon Valérie Gramond, co-fondatrice de Greenlobby qui porte les considérations écologiques jusqu’aux décisions gouvernementales. Rencontre.
La loi et toi c’est une longue histoire, tu viens d’où ?
J’ai une formation d’économiste et de juriste de l’environnement. Pendant 25 ans, j’ai travaillé sur des sujets écologiques, en tant qu’attachée parlementaire, au gouvernement, à la commission européenne, à la Ville de Paris, dans le privé mais aussi dans des ONG. J’ai fait le constat que les lois respectueuses de l’environnement étaient très difficiles à faire adopter à cause de la toute puissance des lobbyistes industriels. J’ai eu envie d’inverser ce rapport de force en donnant une voix à celles et ceux qui militent pour la transition écologique.
Greenlobby, c’est le lobbying des écolos ?
Notre action est double. D’une part, nous sommes un cabinet de conseil au service des ONG et des entrepreneur·ses sociaux. On les aide notamment à rédiger des amendements sur le projet de loi Climat et à porter leur voix auprès des décideurs politiques. On a aussi tout un volet mobilisation citoyenne pour former la jeunesse et le grand public à l’interpellation du gouvernement sur des sujets qui les touchent.
Quel a été le déclic pour la création du projet ?
À l’été 2018, j’étais en vacances en famille quand j’ai entendu Nicolas Hulot annoncer sa démission sur France Inter. Ça m'a bouleversée. Il expliquait sa colère et sa désillusion face au fait que les lobbyistes soient au cœur de toutes les décisions alors que c’est l’intérêt général que la loi doit représenter. Or la transition écologique, c’est précisément l'intérêt général ! C’est à ce moment précis que je me suis dit que je me devais de monter mon projet.
Pourquoi la loi est-elle indispensable pour faire bouger les lignes ?
Aujourd’hui, il ne suffit plus de s’acheter une brosse à dents en bambou ou une gourde réutilisable. Sans changement de loi, il ne peut y avoir de changement de pratiques, et in fine d’impact systémique. L’exemple est particulièrement parlant pour le plastique à usage unique : tant qu’il n’y aura pas de date arrêtée sur son interdiction, les plasturgistes n’auront aucun intérêt à investir dans des chaînes de production plus vertueuses et la commercialisation de produits nocifs se poursuivra. Mais l’impact de cette non-décision ne s’arrête pas là : les start-ups du compostable n’auront pas de marché, les magasins en vrac auront du mal à se généraliser... En bout de chaîne, le consommateur n’aura que peu d’options pour consommer plus responsable.
Est-ce que le problème vient uniquement (du gouvernement et) des lobbyistes ?
Comme toujours, ce n’est pas si simple. Aujourd’hui les citoyen·nes croient de moins en moins en la politique - les taux d’abstention des dernières élections en témoignent. Mais sans la mobilisation des citoyen·nes, rien ne bougera. Mon associé Hugo et moi sommes convaincus qu’il faut reprendre le contrôle sur les questions qui nous concernent tous et ne pas laisser les députés en tête à tête avec les lobbyistes industriels. C'est pourquoi nous formons à la rédaction d’amendements et aux techniques de plaidoyer. Nous avons créé deux programmes gratuits :
- Graines de lobbyistes qui sensibilise en 2 semaines à la politique et la fabrique de la loi. À l’issue du programme, les participant·es envoient une lettre constructive et efficace à leur député·e.
- Greenvox qui a été lancé face au manque d'ambition du projet de loi Climat qui enterre notre avenir. Chacun peut faire entendre sa voix sur les sujets qui le préoccupent : alimentation saine pour tous, pollution plastique, qualité de l'air, nos emplois face au chômage de masse… Il mobilise autour de lui les citoyen·nes et acteurs importants de son territoire pour aider son député à défendre notre voix face à un gouvernement qui fait la sourde oreille. Seule une mobilisation locale des électeurs aura un impact sur ceux qui votent la loi !
Bientôt un an que vous êtes chez makesense. Que retiendras-tu de votre incubation ?
Cette expérience aura été tellement riche... En rencontrant les autres incubé·es, on s’est rendu·es compte qu’ils avaient monté leur projet parce que la loi a ou est en train de bouger dans leur secteur. C’est notamment le cas de maïa, SustainEcho et Vesto. Finalement, ils ont été nos premiers bêta testeurs ! On a également eu l’opportunité de transmettre notre savoir-faire aux entrepreneur·ses sociaux via un webinar Spotlight autour du lobbying positif. Enfin, le programme ré_action de makesense a été une grande inspiration pour la création de Graines de lobbyistes et Greenvox. Des techniques de création de communauté et d’intelligence collective pour mobiliser les citoyen·nes dans un esprit ludique : la recette fonctionne à merveille !
Aujourd’hui, c’est le début de l’aventure Greenlobby. Comment vois-tu votre projet dans 1 an ?
En ce moment, le projet de loi Climat est notre priorité absolue. On veut soutenir les acteur·trices engagé·es pour rehausser l’ambition de cette ultime loi du quinquennat. Ensuite, on se mobilisera pour s'assurer que les candidat·es aux campagnes régionales, présidentielles puis municipales, tiennent des engagements écologiques forts.
Qu’est ce qui te rend fière avec Greenlobby ?
Quand nos graines de lobbyistes nous disent qu’ils·elles ont envoyé un courrier à leur élu·e et que ça leur a pris dix minutes, qu’ils·elles se sentent utiles et puissant·es. De manière générale, voir cette jeunesse engagée répondre présent me donne foi en l’avenir.
Quel conseil donnerais-tu à quelqu'un qui hésite à se lancer dans l'aventure entrepreneuriale ?
Je lui conseillerais d'oser se lancer. D’un point de vue personnel, après 25 ans de salariat, je n’ai jamais été aussi heureuse qu’aujourd’hui, même malgré l’insécurité, les doutes... Alors lancez-vous, quelque soit votre profil ! Vous ne le regretterez pas et vous en entraînerez d’autres dans votre sillage. J’aimerais aussi qu’on sorte du carcan du jeune start-uper. Aujourd’hui, tout le monde peut et doit entreprendre, quels que soient l’âge, le genre, le milieu, le passé personnel ou professionnel. Tout comme nos représentants politiques, les entrepreneur·ses doivent nous ressembler. C’est comme ça qu’on réussira à changer le monde !