De 12 heures par jour en 1848 à 35 heures par semaine en 1998, les derniers siècles ont vu progressivement le temps de travail diminuer. Alors que les gains de productivité continuent d’augmenter, la tendance du début du XXIème siècle a pourtant été d’inverser cette courbe. « Travailler plus pour gagner plus » qu’il disait. Une pandémie et une réforme des retraites plus tard, voilà que la question de la réduction du temps de travail refait surface avec une piste enthousiasmante à explorer : la semaine de quatre jours !
Cette idée n’est pas nouvelle. Poussée par un économiste dont le nom vous est sûrement familier, Pierre Larrouturou, la semaine de quatre jours a déjà été inscrite dans la loi ! Promulguée en 1996, la loi Robien exonérait de cotisations les entreprises qui passaient aux 32 heures réparties sur quatre jours, avec comme condition de maintenir les salaires et d’augmenter la masse salariale de 10 % en CDI. Près de 400 entreprises sont ainsi passées de 39 à 32 heures. Cette possibilité a cependant été stoppée nette avec les 35 heures, promulguées en 1998 puis 2000 par les lois Aubry I et II.
25 ans plus tard, la crise sanitaire a eu cela de positif qu’elle nous a amenés à repenser l’orchestration entre nos vies professionnelle et personnelle. Ce qui n’étaient que des exceptions – télétravail, temps partiel choisi – est devenu une lame de fond. En Belgique, en Espagne, au Royaume-Uni, des initiatives pilotes, encadrées, fleurissent çà et là pour expérimenter la semaine de quatre jours. En France, certaines entreprises passent le pas. C’est le cas de Welcome to the Jungle, une entreprise de la tech dédiée à l’emploi, et d’YZ, une agence de conseil en communication. La première valide la semaine de quatre jours depuis maintenant quatre ans, la deuxième, après une expérimentation de 18 mois, a décidé de revenir à cinq jours travaillés. On leur a demandé de nous raconter cette expérience.
Pas de recette miracle mais une tambouille collective
Chez Welcome to the Jungle (WTTJ), l‘objectif était clair : améliorer l’équilibre vie pro – vie perso de ses 60-70 cadres, déjà rompus au télétravail. Accompagnés par des intervenants externes, ils ont tout mesuré, de l’impact sur le bien-être des collaborateurs et collaboratrices à la performance de l’entreprise, pour s’assurer que cette nouvelle organisation leur permettait d’atteindre cette ligne de crête.
Car la semaine de quatre jours peut être synonyme de chaos. Chez WTTJ, « le premier mois a été le plus difficile », témoigne Camille Fauran, directrice générale, entraînant une baisse de 20 % de la performance de l’entreprise. Si une analyse fine des dysfonctionnements a permis aux équipes de WTTJ de redresser la barre rapidement, cela n’a pas été le cas pour YZ.
Lorsque Julien Le Corre, co-fondateur de l’entreprise qui réunit une vingtaine de salarié.es, décide de passer à la semaine de 4 jours, sans réduction de salaire, il appuie sa décision sur « l’idée un peu naïve que l’on pouvait gagner en productivité et récupérer deux heures de travail par jour ». Les premiers mois se déroulent sans accroc majeur, « nos clients étaient, au départ, assez favorables voire fiers de bosser avec une entreprise pionnière sur le sujet ».
La semaine de 4 jours, un risque économique pour l’entreprise ?
À chaque entreprise ses problématiques. En tant qu’agence de conseil, la question de la disponibilité devient vite un poids pour YZ. Six mois après la mise en place de la semaine de quatre jours, la rentabilité de l’entreprise est fragilisée. WTTJ observe la trajectoire inverse. Quatre mois après le lancement de la semaine raccourcie, l’entreprise a retrouvé sa forme économique. Et ce n’est pas un cas isolé ou l’arbre qui cache la forêt des déconvenues. La vaste expérimentation mise en place au Royaume-Uni aboutit à un résultat encore plus positif. Pour les 61 entreprises participantes, le chiffre d'affaires a augmenté de 1,4 % en moyenne au cours des six mois d'essai et les revenus de 35 %.
Travailler moins : les prémices du désengagement des salarié.es ?
C’est une idée reçue dure à cuire. Beaucoup éludent très – trop – rapidement le débat en étiquetant les partisans de la réduction du temps de travail de fainéants. La réalité est pourtant toute autre. Dans les entreprises qui ont implémenté la semaine de 4 jours, « le temps devient très précieux », observe Camille Fauran. Jérémy Clédat, co-fondateur et CEO de WTTJ complète « les journées ne sont pas plus longues, mais plus intenses ». Résultat, chez Welcome, 95 % des salarié.es se trouvent plus efficaces dans leurs missions. Une perception confirmée par l’étude britannique : 55 % des participant.es estiment avoir amélioré leurs capacités au travail. Enfin, et ce n’est pas négligeable, l’expérience outre-manche indique une baisse de 71 % des facteurs de burn-out et de 65 % des jours d’arrêt maladie posés. Cerise sur le gâteau, le nombre de départs a diminué de 57 % pendant la période.
De son côté, si l’entreprise YZ est repassée à la semaine de cinq jours, Julien Le Corre n’abandonne pas pour autant l’idée : « Je reste convaincu que c’est le futur. Les gains de productivité générés par la machine et l’intelligence artificielle permettront une réduction croissante du temps de travail, c’est inéluctable. » Alors, chiche ?