Il manque souvent deux ingrédients pour éviter aux jeunes en rupture familiale de se retrouver à la rue : le soutien financier et le lien social. La jeune association Tirelires d’avenir incubée chez makesense a trouvé la recette qui permet aux moins de 25 ans de se lancer dans leur vie d’adulte sans se retrouver à découvert.
Livia a 20 ans. C’est dur d’avoir 20 ans en 2021. Ça l’est plus encore quand on a un CAP cuisine et que tous les restaurants sont fermés depuis un an. C’est encore pire quand on a grandi en foyer et qu’on ne peut pas compter sur ses parents pour sortir un billet de temps en temps. C’est carrément le parcours du combattant quand l’aide sociale à l’enfance a arrêté de vous nourrir et de vous loger le jour de votre majorité. Livia a 20 ans et a perdu son emploi, puis son logement, a squatté chez des potes ici et là. En mars 2021, la Mission Locale de Marseille lui a retrouvé un toit. Mais sans salaire comment payer son loyer ? Et sans logement comment avoir l’esprit disponible pour chercher un emploi ? « Un tiers des personnes sans domicile fixe sortent de l’aide sociale à l’enfance, explique Louis Falga fondateur avec Benoit Floquet de l’association Tirelires d’avenir. L’objectif de notre association est d’éviter aux jeunes sans attaches familiales de glisser vers l’exclusion. »
Entre 18 et 25 ans, il n’existe en France aucun dispositif de soutien inconditionnel aux personnes fragilisées.
Pour sortir la tête de l’eau, Livia n’a pas besoin de mille et des cents, juste de 2400 euros pour payer un loyer de 400€ pendant les 6 prochains mois et rester concentrée sur la construction de son avenir et sa recherche d’emploi. « Tirelires d’Avenir verse une aide financière à des jeunes majeurs en rupture et sans ressources, suivis au quotidien par nos partenaires (dans le cas de Livia, la Mission Locale), raconte Louis à la voix aussi grave que la situation. Nous soutenons les jeunes lors de périodes de fragilité où l’absence de ressources pourrait les faire décrocher de leur parcours et les faire glisser vers la précarité. L’argent récolté leur sert à manger, se déplacer, s’acheter du crédit téléphonique… Les sommes requises ne sont jamais astronomiques mais offrent la sécurité qui leur permet de se projeter dans leur vie d’adulte. »
Rompre le cercle vicieux de la pauvreté
Milo Quardel, logé dans un appartement du Refuge, l’une des structures partenaires de l’association en charge de la protection des jeunes LGBT+, a pu bénéficier d’une cagnotte Tirelires d’avenir. 150 euros pendant 4 mois. « Mes parents m’ont abandonné quand j’avais 17 ans, j’ai été placé dans une famille d’accueil puis à ma majorité j’ai souhaité me débrouiller. Il y a quelques mois, je n’avais plus de travail et encore aucune aide de la mission locale, je ne pouvais même pas aller à la pharmacie. Aujourd’hui cette somme me permet de me débrouiller, j’arrive même à faire des économies. » Récemment Milo a été mis en contact avec Jean pour changer d’air et partager des moments de complicité. « Je n’ai pas beaucoup d’amis et je n’aime pas sortir seul, confie-t-il. C’est super cette action de binômage. » « Au-delà de l’aide financière on a voulu créer du lien en créant des duos entre nos bénévoles et nos bénéficiaires, explique Louis. Les jeunes que l’on accompagne ne côtoient presque personne en dehors de leurs cercles d’exclusion, l’exil, l’aide sociale à l’enfance, LGBT… Il faut sortir de cette verticalité, c’est un vrai frein à l’inclusion. » Louis et Benoît inventent des jeux, lancent des défis à leurs binômes pour rendre les échanges plus faciles. « L’autre jour, il fallait qu’on retrouve une statue à Paris et qu’on aille se prendre en photo ensemble, la dernière fois on avait une chorégraphie à réaliser. On se marre, on est à fond, » s’enthousiasme Milo.
Tontines à la française
Pour récupérer les deniers qui pourront aider Livia, Milo mais aussi Tom, Assan, Sami, Roxane, l’association Tirelires d’avenir lance des cagnottes en ligne sur helloasso, cousines numériques des tontines chinoises ou africaines, s’appuie sur des influenceurs qui portent le message de soutien à leur communauté, sollicite les fondations d’entreprises mais récoltent aussi des micro-dons grâce à des partenariats développés avec des commerces et restaurants. En un an, l’association a accompagné 37 jeunes et reçoit chaque semaine une dizaine de demandes de la part des structures partenaires. Côté impact, les fruits sont là aussi, 80 à 90% des jeunes soutenus ont trouvé une source alternative de revenus avant la fin de l’aide de l’association.
Lorsque Louis raconte cette incroyable aventure qu’est Tirelires d’avenir on sent tout de suite l’émotion. Il se souvient de Sacha, le premier jeune aidé par l’association, un Malien arrivé en France à 14 ans. « C’est fou, il inspire le calme, l’élégance, il a un vrai charisme. On l’a aidé à payer son loyer pendant qu’il se battait avec la Préfecture pour obtenir sa régularisation. Il a passé un CAP, un Bac Pro cuisine et va commencer un BTS à la rentrée. C’est génial parce qu’il était à deux doigts de se retrouver dans la rue. En fait depuis le début de Tirelires d’avenir, il y a beaucoup de belles histoires, on va les suivre. » Celle de Louis n’est pas banale non plus. Après une enfance dans le 13e arrondissement parisien, une adolescence à Pékin, un premier emploi à Milan, il décide de quitter le secteur de la banque en 2018 alors qu'on lui promettait un salaire annuel à 6 chiffres à 40 ans. Avoir détourné sa route, il s’en réjouit tous les jours. « J’ai peur de la certitude, des chemins tout tracés. Aujourd’hui, je suis retourné vivre chez ma mère, je touche le RSA mais je n’ai jamais été aussi épanoui de ma vie. Je viens d’avoir 30 ans et je suis là où je dois être. À ma place. »