L’hôpital public réanimé par la générosité privée

L’hôpital public réanimé par la générosité privée

Quand les entreprises, les makers et les citoyens viennent à la rescousse de l'hôpital public, la solidarité recouvre la santé.
27 April 2020
par Hélène Binet
4 minutes de lecture

Depuis 6 semaines, les soignant.es sont en première ligne de la générosité. Jamais on n’avait vu une telle mobilisation de la part des citoyen.nes, des entrepreneur.ses et des entreprises pour pallier le manque de moyens du monde hospitalier. Cécile Monteil, médecin urgentiste à Robert Debré, AP-HP Directrice Médicale d’iLumens, département de simulation universitaire Paris Descartes et experte en e-santé revient sur ces 42 jours de mobilisation inédite.

C’est son premier jour de vrai congé depuis le début de l’épidémie. Un dimanche 26 avril où elle peut enfin se poser. Depuis plusieurs semaines, elle est devenue l’un des maillons du secteur covid+ aménagé dans une partie de l’Hôpital Robert Debré, paquebot pédiatrique du Nord de Paris. En temps normal, sa spécialité c’est le mineur, le bambin. Nous sauvons la vie de certains enfants, c’est vrai, mais on ne va pas se mentir, on voit habituellement beaucoup de piqûres de moustiques, d’ampoules aux pieds ou de morve au nez, explique-t-elle le 9 avril sur son compte Medium. Depuis la mi-février 20 lits de réanimation adultes et 14 en soins intensifs ont pris la place des interventions non urgentes des enfants repoussées à plus tard.

Des bras, du chocolat

42 jours comme autant de kilomètres d’un marathon où l’on doit franchir la ligne d’arrivée avec le moins de victimes possible. Sur le bord de la piste, des milliers de spectateur.rices sont venu.es soutenir les athlètes en blouse blanche. Le premier élan de générosité a tourné autour de la nourriture, explique Cécile. C’était la folie. On a reçu des paniers repas, des chocolats, des petits plats de grands chefs. Les livraisons arrivaient directement aux urgences, on nous apportait des gâteaux faits maison par les enfants. C’était touchant et en même temps parfois un peu gênant. Nous les soignant.es, on cravache beaucoup mais on n’a pas perdu notre travail. Il y a des personnes qui sont dans une situation beaucoup plus critique que la nôtre et qui ont vraiment besoin d’aide pour manger. En réalité, cet afflux de victuailles a surtout été réconfortant symboliquement, ça nous a fait chaud au cœur. Sur un plan plus pratique, j’ai apprécié de pouvoir être prioritaire dans les magasins pour ne pas faire la queue après des gardes de 24 heures. 

On a de la chance, dans certains hôpitaux, ils utilisent des sacs poubelles en guise de blouses.

Bas les masques

En revanche, ce qui a été d’emblée critique, c’est le matériel de protection. Les masques d’abord. Pour aller vite, Cécile particulièrement connectée, notamment depuis qu’elle a créé le réseau eppocrate pour fédérer la communauté des médecins qui s’éveillent aux transformations technologiques, a utilisé son réseau. Un post sur Facebook et voilà un don de 7000 masques du Centre du Don des Corps de l’Université Paris Descartes, avec lequel elle travaillait via son activité de simulation en santé universitaire. On a aussi reçu des visières de protection de Michelin, c’est fou, avec cette crise l’humain ressort. 

Quand le service a besoin de sur-blouses, Cécile contacte directement une amie à la direction de Chanel. On a eu un don de sur-blouses jetables, de sur-chaussures et de charlottes. On a de la chance, dans certains hôpitaux, ils utilisent des sacs poubelles… Depuis quelques jours, les dons de blouses en tissu via des initiatives comme « Fais une blouse » affluent.  C’est une super nouvelle mais on commence déjà à saturer notre système de lingerie. Les machines à laver tournent toute la journée.  Là ce dont on a vraiment besoin ce sont des blouses jetables. 

Impression 3D de matériel médical à l'hôpital Cochin.

Makers à l’hôpital

Alors qu’à l’accoutumée, chacun défend son pré carré, le covid semble avoir transmis le virus de la coopération. Les grands groupes et les makers, soutenus par les collectivités territoriales se sont largement mobilisés pour aider les soignant.es. La greffe a pris. En quatre semaines, Makers for Life, a rassemblé plus de 250 personnes confinées, entrepreneur.ses, makers, professionnels de la santé, chercheur.ses ou ingénieur.ses, pour concevoir, un respirateur adapté à la prise en charge de patients atteints de formes graves du covid-19. Le MakAir est quasiment prêt. Le projet Covid 3D, la plateforme qui met en relation professionnels et bénévoles pour la création et la distribution de matériel de protection a fait aussi de belles choses, explique Cécile. Soixante imprimantes 3D offertes par le groupe Kering (soit plusieurs centaines de milliers d’euros) ont été installées à l’hôpital Cochin. Grâce au détachement d’ingénieur.ses des start-up françaises Bone 3D et Capvision, elles impriment des visières, des connecteurs et tout le matériel manquant. Je suis époustouflée par ce que nous avons pu accomplir tous ensemble en joignant nos efforts. 

Par-delà le covid

Jeudi 23 avril, devant la décrue des entrant.es en réanimation dans la région parisienne, l’unité de soins intensifs de Robert Debré a fermé. Dans mon service toute cette période a été dure mais hyper belle, on s’est serrés les coudes, on a continué de trouver des moments pour ne pas oublier de rire et souffler. Cet élan de solidarité a été superbe, il ne faut pas le perdre après la crise. Toute la société a changé d’état d’esprit, plus bienveillant et tourné vers la prise d’initiative. Chacun.e s’est demandé ce qu’il.elle pouvait faire pour l’autre. On est sorti de l’individualisme. Les mots de Jean d’Ormesson ont enfin trouvé un écho. Puissent-ils résonner pour toujours : «  Le bonheur n’est pas un exercice narcissique et solitaire. Il tombe, comme par hasard, sur la tête et dans le cœur de ceux qui, loin de s’occuper d’eux-mêmes, s’occupent plutôt d’autre chose — et des autres. »

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