Vous aimez la nature, vous luttez contre le patriarcat ? Attention ! Vous dérivez contre vents et marées vers un monde étrange… celui de l’écoféminisme, deux combats pour le prix d’un, qui dit mieux ? Pour autant, ce courant de pensée est encore mal compris, notamment par votre oncle Gilbert. Un type sympa mais qui n’entrave rien à ces calembredaines. Pas de panique tonton, on t’explique ça en toute sérénité.
“C’est quoi votre écolo-machin truc là ?”
Tu te rappelles tonton de ce qu’on a dit sur le féminisme ? Le mot apparaît sous la plume du philosophe Charles Fourier en 1818 (à qui l’on doit aussi le néologisme “utopiste”, hasard ? coïncidence…?) mais il faudra attendre 1974 pour nous délecter du mot “écoféminisme” dans l’ouvrage de François D’Eaubonne Le féminisme ou la mort.
Il naît d’un constat d’une banalité étourdissante : le désintérêt de la société à l’égard des questions de genres et de l’écologie. Certains philosophes utilisent même l’image du ruban de Moebius pour illustrer cette double oppression : les femmes sont inférieures car elles entretiennent un lien plus intime avec la nature qui elle-même est considérée comme inférieure pour son lien (supposé) avec la féminité. Et si les militants féministes et écolo cohabitent depuis belle lurette, l’écoféminisme vient pointer du doigt leur interconnexion : le féminisme et l’écologisme ont besoin d’être complétés l’un par l’autre. Un peu comme la burrata et la crème de basilic. Ou comme le camembert et le vin rouge, si tu préfères Gilbert.
“Ouais mais dis donc les hommes et les femmes sont dans le même panier en ce qui concerne le réchauffement climatique, pour qui elles se prennent ces greluches * ?”
* ndlr, ces propos relèvent de la pure fiction, toute ressemblance avec une personne existante relèverait du simple hasard.
En principe oui Tonton Gilbert, mais dans les faits pas vraiment. L’écoféminisme va justement montrer comment le système économique actuel (oui, oui, on parle bien du capitalisme) repose à la fois sur l’exploitation des ressources naturelles mais aussi sur la force de travail des femmes. Dans cette logique, la crise climatique va accentuer les inégalités entre hommes et femmes. Il suffit de regarder comment fonctionnent les pays riches : les hommes consomment plus de viande, ils circulent plus souvent dans des grosses cylindrées… Leur empreinte carbone est en moyenne 16 % plus élevée que celle des femmes (selon une étude menée en Suède). Rien de surprenant puisque les hommes sont plus riches que les femmes (c’est pas moi qui le dis, c’est Titou Lecoq, et elle l’explique très bien dans son livre Le couple et l’argent). Et comme les riches polluent plus (c’est pas moi qui le dis, c’est Hervé Kempf, et il l’explique très bien dans son livre Comment les riches détruisent la planète), CQFD.
“Mouaif, encore une mode qui vient de sortir ça, non ?”
Eh non c’est bien plus vieux qu’il n’y paraît. Le mouvement a pris de l’ampleur dans les années 80 aux États-Unis après l’accident nucléaire de Three Mile Island en Pennsylvanie. Le 19 novembre 1980, 2000 femmes se sont ainsi réunies au Pentagone, parfois déguisées et maquillées en sorcières, pour une action anti-nucléaire. Eh oui tu verras cher tonton que la question du nucléaire est fondamentale dans l’écoféminisme. On part du principe qu’il incarne la verticalité (et l’opacité) de la domination masculine.
Si on parle davantage de l’écoféminisme aujourd’hui c’est sans doute “grâce” à la combinaison du mouvement #metoo et de l’accélération du dérèglement climatique dont les conséquences se font chaque année de plus en plus visibles.
Les marionnettes rouges, blanches et jaunes sont disposées devant le Pentagone avec une banderole "Les femmes contre le Pentagone" pendant l'action des femmes contre le Pentagone
“Et vous voulez changer quoi avec votre affaire d’écoféminisme là ?”
Vaste question tonton. L’idée c’est de se réapproprier les pouvoirs de production (à commencer par son propre corps) et de lutter contre la culture guerrière inhérente à la socialisation des hommes qui “entretient un rapport destructeur à la nature et contre les femmes” selon la philosophe Emilie Hache. Cette même culture dont est né le capitalisme et qui a toujours séparé nature et culture à l’instar du corps et de l’esprit. L’écoféminisme veut en finir avec cette dualité mortifère pour justement se réapproprier les valeurs injustement méprisées car considérées comme féminines.
“Ah c’est bien qu’est ce que je disais, vous les filles vous êtes plus proches de la nature avec vos ragnoutes et tout là”
Ah ça cher tonton… C’est effectivement le stéréotype qui fait couac. On a vite fait d'essentialiser les femmes en pointant leur proximité avec la nature (because on est trop douces, trop sensibles, et qu’on aime bien mettre des pâquerettes dans les cheveux). Mais si tu m’as bien écoutée, l’écoféminisme c’est justement une manière de dire OK il existe une sensibilité féminine mais elle résulte d’une construction sociale, et non de “l’essence” féminine. Ainsi, cette sensibilité peut être celle de tous (toi y compris tonton) et en aucun cas un moyen de faire porter le fardeau de la crise climatique aux femmes, parce que question charge mentale on en a ras la patate douce.
“Ah bah vous voyez vous aussi vous consommez de l’essence alors”
Non Gilbert. Rien à voir. Je parlais de l’essentialisme dont le mouvement peut être accusé. Mais tu sais quoi ? Dans le fond c’est pas grave parce que oui il y a des femmes qui se pensent en connexion avec la nature du fait de leur sexe (elles se rattachent plutôt à l’écoféminisme spirituel comme la poétesse Starhawk qui revendique un lien sacré avec la nature) ; d’autres non (et seront plutôt du côté du féminisme matérialiste qui voit un parallèle entre l’avènement du capitalisme et l’oppression de la femme).
Bonne nouvelle, il y a plein de façons d’être écoféministes tonton, et toi aussi tu peux t’y mettre, pour peu que tu sois prêt à remettre en question ta position dans la société, à reconnaître tes privilèges tout en les rejetant. Bref, ça te coûtera un peu plus que de repeindre ton SUV en vert et rose.
“Encore un truc de gaucho ça ?”
Ah oui c’est sûr que lutter contre toutes les formes d’oppressions, ça ressemble pas au programme politique du LR. Toutefois détrompe-toi tonton chéri, il y a plein de manières d’être écoféministe dans la mesure où il s’agit plus d’une perspective féministe théorique, une sorte de filtre que tu poses sur tes lunettes de vue pour mieux apprécier les rapport de domination patriarcale entre la société, la nature et les femmes… ou les zoulettes si tu préfères. Allez tiens essaie tu verras au pire ça t’ouvrira juste les lorgnettes.
En deux maux comme en sang, retiens une chose tonton “pubis et forêt, arrêtons de tout raser” parce qu’un bon slogan résume parfois le mieux une pensée.