Train de nuit : joie de la lenteur et passion des chaussettes sales

Train de nuit : joie de la lenteur et passion des chaussettes sales

Faire 2 177 km en train pour manger des arancinis : caprice ou engagement ? Entre culpabilité plastique et gloire carbone, récit d’un trajet aussi long que notre bonne conscience signé Louise Pierga.
22 October 2025
par Louise Pierga
6 minutes de lecture

Louise est notre climato-testeuse. Elle ne renonce à rien. Même pas à se taper 2 177 km en train pour se faire dorer en Sicile. Joies, peines, renoncements et concessions : la vérité rien que la vérité rien que pour vous.

L’autre jour, j’étais grave lassée des arancinis médiocres vendues à prix d’or en bas de chez moi donc j’ai décidé de me rendre en Sicile. Pour pimenter ce voyage - qui jusque-là ne justifie pas non plus une autobiographie en douze tomes -, j’ai fait le choix de m’y rendre en train. Deux raisons principales à celà : 1/ montrer à tout le monde que je suis très écolo et juger mes proches sur leur choix de transports non-éthiques à très haute empreinte carbone. 2/ Me ruiner le livret A. Eh oui, ça coûte parfois cher de faire des choix décarbonés mais à l’heure où les grands trajets en trains de nuit sont menacés d’extinction, il est plus que temps de remettre le wagon-couchette au milieu du village.

Sicilia ma qué

Par souci de transparence, revenons sur le coût financier et énergétique d’un Paris-Catane sur les rails en nous basant sur ce calculateur de l’ADEME bien pratique pour donner du sens à l’amenuisement de mon compte en banque.

D’abord on décolle (enfin, on déraille) depuis Paris pour Turin en TGV. 2,27 kg de CO2 émis pour 776 bornes et 5h37 de pur kif en wagon bar. En toute logique, on aurait plutôt dû faire escale à Milan mais apparemment il faut vendre plusieurs organes vitaux sur le marché noir pour se payer une nuit en dortoir et bizarrement j’adore mes reins. Escale de 24 heures pour arpenter des rues de la ville puis on se remet en route. On prend un RV (sorte de TER local) pour Gênes. 1,54 kg de CO2 pour deux heures de trajet (selon les estimations de l’ADEME, l’intercité émet trois fois plus que le TGV). Et c’est là qu’on rentre dans le dur du sujet : Gênes > Catane, 16 heures à bord de l'InterCity Notte. Une cabine de 4 couchettes qu’on partage donc avec un couple d’inconnus aussi muet qu’une carpe. 

Les couchettes sont d’abord relevées de manière à former deux banquettes qui se font face. Idéal pour se regarder dans le blanc des yeux avec nos voisins taiseux avant que l’un de nous ose engager le move couchettes. Conseil avisé : préférez toujours la couchette du haut. Il y a plus d’espace pour ranger son bordel et on se sent moins menacé par les pieds du voisin. Pas de douche, ni de repas prévu. Selon votre tolérance au manque d’hygiène vous pourrez quand même laver vos chicots dans un lavabo crade et gagner le respect de vos colocataires. C’est pas le grand luxe mais la compagnie ferroviaire offre tout de même un kit de literie : masque pour les yeux, drap, couette, oreiller et lingette hydroalcoolique qu’il ne faut PAS utiliser pour se laver le visage (seule une personne demeurée ferait ça… bref,  je vous le dis, ça pique la peau). Le tout suremballé de plastique ce qui fout en l’air la naïveté de mon voyage 100% éthique mais en même temps, entre un oreiller suremballé et un oreiller douteux, j’avoue opter pour un maximum d’emballages polluants (on a tous nos failles, surtout Gaël). 

De 23h à 8h on dort du sommeil du juste. Le contrôleur fait un passage au petit matin pour nous filer un jus absolument dénué de goût, un biscuit sec et un ristretto qui m’a fait saigner du nez. Il faudra se satisfaire de cette collation de taulards pour tenir jusqu’au ferry. Eh oui car, à 10h30, arrivée à la pointe de la Calabre (Villa San Giovanni) au bout de laquelle la fascinante manœuvre débute : le train est inséré wagon par wagon sur une plateforme flottante (appelée traversier-rail en bon québécois). Les quatre wagons se retrouvent les uns à côté des autres et la mini croisière met les voiles. On peut alors sortir se dégourdir les pattes et prendre l’air sur le pont en ingérant une focaccia moyenne. 3 km nous séparent du port de Messine, 30 minutes pour traverser le détroit et remettre les wagons dans le bon ordre des choses une fois revenus sur la terre ferme. On déboule à Catane à 14h avec au compteur : 1279 km et 11,5 kg de CO2. 

SAUF QUE en fait je triche un peu. Quid des 3 km en ferry ? Figurez-vous que c’est pas chose aisée d’éclaircir cette zone d’ombre : les calculs d’empreinte carbone restent très flous pour les trajets en ferry. Ils dépendent effectivement du type de voyage (croisière de luxe ou simple bac). On me basant sur le simulateur qu’a essayé de mettre en place de média Bon Pote, il semblerait qu’on avoisine les 40g de CO2. Mais le calcul ne prend pas en compte ce cas spécifique (et assez rare) qui consiste à transporter non pas des voitures mais carrément un train. 

Bilan des courses : 2177 km, 24 heures de route et 16 kg d’empreinte carbone (j’ai arrondi à la décimale supérieure car trop de culpabilité sur les emballages plastique de la literie) pour un coût total de 150 euros par tête l’aller simple (pour obtenir le tarif A/R, n’hésitez pas à doubler ces chiffres par le truchement du calcul mental).

 À titre indicatif, en avion on aurait peut-être payer trois fois moins cher - quoiqu’on aurait dû payer deux nuits d’hôtel en plus - (car on le rappelle, les trajets aériens ne sont pas taxés thanks to la convention de Chicago) mais on aurait atteint 601 kg d’émission (A/R). Heureusement, avec ces 570 kilos de carbone économisés j’ai pu faire le tour de la Sicile en quad et jetski avec une côte de bœuf au bec.

Crédits photographiques : MICG - Tous droits réservés

Je t’aime moi non plus

La chanson Jane Birkin et Serge Gainsbourg résume très bien notre rapport au train de nuit. Des années 50 aux années 80, il a connu un âge d’or avec un pic de fréquentation en 1981 qui cumule 9 millions de passagers ! Paradoxalement, cette année-là on drague, on danse mais on voit surtout naître le futur pire ennemi du train de nuit : le TGV (la SNCF s’est mise à électrifier ses lignes en réponse au premier choc pétrolier de 73). Le train de nuit s’est popularisé avec les congés payés ; la SNCF lâche même son slogan le plus éloquent en 75 “pour voyager heureux, voyagez couchés”. Pourtant, le train-couchette est d’abord associé au luxe, on a tous en tête l’Orient-express ou le Transsibérien qui sont loin du combo : cabine-couchette telle qu’on la pratique aujourd’hui. Au cœur du XXe siècle c’est un moyen de transport populaire et les voyageurs de première classe en train de nuit seront aussi les premiers à quitter le navire pour le TGV ou l’avion.

Aujourd’hui, deux précieuses lignes - Paris-Berlin et Paris-Vienne - fermeront en décembre 2025. Ce choix s’explique principalement par leur faible rentabilité. La compagnie autrichienne ÖBB qui les exploite en partenariat avec la SNCF et la Deutsche Bahn bénéficiait depuis leur relance (en 2021 et 2023) d’une subvention annuelle de l’État français (entre 5 et 10 millions) qui s’était engagé sur trois ans. Comprenez : ciao les tunes pour 2025. Le constat est sans appel, les trains de nuit coûtent trop cher. Ils ne circulent qu’une fois par jour, nécessitent plus d’équipage à bord, avec moins de places assises (et un taux de remplissage qui ne dépassait toutefois pas les 70 % en 2024). 

Mais l’erreur est justement d’appréhender ce moyen de transport par le prisme de la rentabilité. Les trains sont censés être un service public. La logique de rentabilité ne peut être invoquée car en France, le service public s’inscrit dans un principe de péréquation : un système de redistribution qui doit assurer les zones de dépense déficitaire, dans le cas des trains, les lignes très rentables doivent donc compenser avec les plus déficitaires et surtout… plus écolo. Le train émet 27 fois moins de carbone que l’avion (peu importe qu’il soit de nuit ou de jour).  Alors oui, le TGV fait la misère au train de nuit mais il reste une alternative incontournable au transport aérien. Quant au train de nuit, pour qu’il existe, il faut le prendre, et pour le prendre, il faut qu’il existe. C’est simple en fait ?

→ Pour préserver le reste des voies de nuit existantes, vous pouvez signer les pétitions du collectif Oui au train de nuit (qui porte hyper bien son nom).