Terre de Liens, l’agriculture en partage

Terre de Liens, l’agriculture en partage

Redonner le pouvoir aux citoyennes et citoyens de soutenir une agriculture bonne pour les assiettes comme pour la planète, mais quelle bonne idée ! C’est celle de Terre de Liens.
08 April 2024
par Vianney Louvet
6 minutes de lecture

Imaginez des terres agricoles dont l’acquisition est financée par des citoyens et des citoyennes, cultivées par des paysannes et paysans en agriculture biologique, le tout dans un esprit d’intérêt général et de bien commun… Terre de Liens l’a fait. Démonstration.

L’urgence pousse parfois des petits cerveaux à pondre la bonne idée au bon moment. C’est ce sentiment enthousiasmant qui vous traverse quand vous discutez avec les membres de Terre de Liens, un mouvement né il y a maintenant un peu plus de 20 ans.

Avec cet article, on vous fait deux promesses :

  • Vous permettre de comprendre ce qu’est « Terre de Liens »
  • Vous donner les 5 ingrédients qui font de ce mouvement un mélange diablement efficace et complètement essentiel.


Avant de nous lancer dans cette recette savante et savoureuse, notez tout de même la base de la base. Le mouvement Terre de Liens est aujourd’hui porté par 3 entités nationales :

  • une fédération qui fédère, comme son nom l’indique, 19 associations territoriales et met en œuvre la mission de Terre de Liens. Cette fédération et les 19 associations territoriales constituent le réseau associatif. 
  • une foncière, la première foncière solidaire dans le domaine agricole en France, qui collecte de l’épargne citoyenne pour racheter des terres,
  • une fondation reconnue d’utilité publique qui, elle, reçoit les terres en legs et donation.


Et c’est autour de ces 3 piliers que s’articulent des bénévoles, des actions partout en France et que la magie opère. Démonstration à travers les 5 sésames de la sauce « Terre de Liens ».

Ferme de la Motte - Alain Gautier

Ingrédient 1 : préserver les terres quoi qu’il en coûte

C’est le cœur de la machine, la raison d’être première de tout ça. Terre de Liens est né pour préserver les terres agricoles, les extirper du marché spéculatif, et les louer via des baux ruraux environnementaux. Le mot est long mais rapide à comprendre. Le bail rural environnemental est un bail qui inclut des clauses environnementales et qui assure donc Terre de Liens qu’en même temps que les terres sont louées, biodiversité, eaux et sols sont préservés. Grâce à Terre de Liens, les surfaces cessent donc d’être un produit de spéculation, voient leur biodiversité préservée, sont sauvées in extremis de l’artificialisation ou n’agrandiront pas les déjà-trop vastes exploitations pratiquant l’agriculture intensive.

Jusqu’à présent, 10 000 hectares de terres agricoles ont été acquises, dont 40% sorties de l’agriculture conventionnelle, c’est-à-dire fondée sur un accroissement de la production. Les 60% restants ont été maintenus en agriculture biologique. La grande classe. Mais tout reste à faire.  

Ingrédient 2 : partager les terres agricoles

Voilà un défi de taille, qui dépasse largement la question agricole. C’est la petite épice qui change tout, que vous gardez en bouche tout au long de la dégustation. Si Terre de Liens existe, c’est aussi pour tenter d’inverser le mécanisme qui fait que les privilégiés le sont de plus en plus et vice-versa. Nombreux sont les citoyens, citoyennes, potentiels agriculteurs et agricultrices qui souhaitent s’installer mais qui n’ont pas accès à la terre par héritage. En leur louant les terres via les baux environnementaux, Terre de Liens s’attaque à ce chantier qui facilite grandement l’accès au foncier.

La question de la restructuration des grandes exploitations agricoles est ultra-stratégique. Au lendemain de la guerre, le système a été pensé pour permettre à des grandes exploitations de naître, de se renforcer, et ce à partir d’une agriculture monoculturale intensive (c’est-à-dire qu’on produit une seule variété en utilisant pas mal de produits chimiques). Comment donc faire le passage de la grande ferme à la petite exploitation en agriculture biologique ? La réponse n’est-elle pas dans le collectif ?

Ingrédient 3 : préparer le futur

Quand on cuisine, on est tourné vers l’après, le moment où le plat sortira du four et où l’on pourra dire « c’est encore mieux que ce que j’avais imaginé ». Terre de Liens voit loin et à raison. En 2030, 25% des agriculteurs et agricultrices partiront à la retraite, ou plus exactement, atteindront l’âge légal de départ à la retraite. Justement. Beaucoup d’entre eux ne trouvent pas de repreneurs, beaucoup d’entre eux seront condamnés à vendre leurs terres à une exploitation pratiquant une agriculture très éloignée de leurs valeurs (ce qui renforce le processus d’agrandissement des exploitations), ou à continuer le travail, faute de successeur.

En tout, ce sont 5 millions d’hectares de terres qui vont arriver sur le marché du foncier, 5 millions d’hectares qui pourraient être artificialisés ou agrandir d’autres exploitations intensives, participant ainsi à l’agrandissement de fermes intensives alentour.

Le renouvellement des générations agricoles est un élément indispensable de l’équation. Sans cette étape, rien ne pourra avancer dans le bon sens. Aujourd’hui la majorité des personnes accompagnées par Terre de Liens sont non-issues du milieu agricole, c’est donc bien un renouvellement qui est amorcé, l’avènement – espéré – d’une nouvelle génération d’agriculteurs dans les territoires.

Il y a quelques années, l’enjeu pour Terre de Liens était de trouver des terres, les porteurs de projets ne manquaient pas. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les terres qui demandent à être reprises ne manquent pas, les porteurs et porteuses de projet, si. Et pourtant, la dynamique est là, les collectifs et les belles histoires fleurissent, et on a très envie de suivre l’élan et d’aider à le décupler. Il y a donc une bataille culturelle qui est lancée : comment re-susciter des vocations paysannes ? Comment rassurer et soutenir l’installation ? Comment imaginer des modèles où maraîchers, boulangers et éleveurs travaillent ensemble ?

Ferme du Canalet

Ingrédient 4 : la mobilisation citoyenne et le maillage territorial.

Pour que les citoyens et citoyennes s’approprient les questions agricoles, et la récente crise montre à quel point c’est crucial, l’organisation mène beaucoup d’actions de mobilisation citoyenne, et ce notamment grâce à ses 1 500 bénévoles partout en France. La montée en compétences de ces 1 500 personnes passe par des formations indispensables sur un sujet complexe et technique. Cela leur permettra notamment de faire du plaidoyer auprès de leurs collectivités territoriales. En tout, ce sont 50 000 citoyens qui s’engagent chaque jour avec Terre de Liens (sociétaires de la foncière, bénévoles, donateurs ou adhérents), une masse citoyenne qui différencie peut-être ce mouvement d’autres acteurs – tout aussi géniaux – comme Ceinture Verte.  

Le maillage territorial permis par tous ces volontaires s’appuie sur 150 salariés, ceux des entités nationales (une soixantaine travaillent pour la foncière, fondation et fédération) eux aussi éparpillés un peu partout sur le territoire, dont une majorité à Crest dans la Drôme. Petit à petit, la connaissance et la stratégie de Terre de Liens s'affinent et s’adaptent aux régions : il est par exemple très compliqué d’avoir accès à la terre en Alsace, où les terres ne se vendent pas et restent dans le giron familial.

Terre de Liens porte bien son nom. Le maillage humain est un pari : le lien peut décupler l’impact. Chaque ferme accompagnée est par exemple un lieu de rencontres, une vitrine qui donne à voir une agriculture alternative, qui dessine les contours d’un autre système, d’un avenir tout autre. L’envie d’embarquer plus de personnes, beaucoup plus de personnes, derrière le projet est là. D’où ces événements sur les fermes, un peu partout en France pour sensibiliser et créer l’étincelle.

Ingrédient 5 : la bataille politique

Ces jours-ci « le pacte loi d’orientation agricole », est discuté, pour les 10 prochaines années. Il se concentre, ô surprise, sur le renouvellement des générations agricoles, preuve que Terre de Liens est en plein dans le sujet brûlant, à la bonne place. Reste à tenter de ne pas rater le coche. Il semble qu’aujourd’hui le sujet de l’accès au foncier est délaissé par nos élus. Et vous l’aurez compris, tant que sera pas résolue cette question, rien ne changera.

Si la recette de Terre de Liens fonctionne, elle n’en reste pas moins en perpétuelle évolution. Le cœur du mouvement, qui est donc d’aider à l’installation, est en train, après 20 ans d’existence, de s’élargir. Et l’association commence à accompagner d’autres acteurs qui eux-mêmes ont pour mission de préserver les terres agricoles. Cela peut être par exemple des collectivités territoriales qui veulent protéger des exploitations agricoles biologiques pour alimenter leurs cantines scolaires, qui veulent éviter de voir les surfaces agricoles polluées pour préserver la santé de leurs habitants. Objectif : une démultiplication de l’impact.

Les outils à destination de nous autres, petites et petits citoyens, sont donc là : faire profiter, en quelques clics de notre épargne à Terre de Liens, devenir bénévole, adhérent, donateur, etc. Un soupçon d’engagement et la saveur ne sera que plus belle.

On y croit !

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