Ils et elles sont de plus en plus nombreux à sortir leur tube écolo, à chanter en do mineur que l’on va vers des problèmes majeurs, à écrire sur leur mur facebook que l’on va droit dans le mur, à changer d’avis et de chemise en lançant leur marque de vêtements éthiques… Bel art qui fait bouger les lignes ou bobard quand on lit entre les lignes ? On se pose la question et on sait déjà qu’on ne trouvera pas la réponse.
Tu étais formidable, nous étions formidables
Faites l’expérience : tapez d’une main agile et dans votre moteur de recherche préféré le mot “écologie” et accolez-le délicatement au nom des stars les plus écoutées en France. Vous verrez qu’une très bonne partie a déjà parlé/chanté/scandé/revendiqué sa fibre verte.
Des exemples de la dernière décennie autres que Tryo ou Yannick Noah ? "Le réchauffement climatique, c’est dû à la chatte à ta mère, avec l’effet de serre". Superbe analyse de Booba dans “BB”, à deux doigts d’être publié par le GIEC. En 2010, Soprano chantait : "Oui on déconne avec l'écologie, faut réagir. Notre confort technologique a assassiné Haïti". Dans "Sur la lune", en 2015 Nekfeu s’attaquait lui à l’économie : "Le peuple est endetté mais ceux qui gèrent les banques ils s'font des couilles en or sur ta tête pendant que la banquise fond". Enfin Orelsan et Lorenzo dans leur éloquent "Toujours plus" disent ensemble : "Arrêtez d'manger du plastique. Le capitalisme est l'opium du peuple. Les influenceurs sont contrôlés par Monsanto. Et dans cinquante ans, les ours polaires seront des ours tout court ".
D’autres titres très récents qui nous repeignent les tympans en vert ? Avec plaisir.
- Pomme chante ici “Avant les arbres assassinés, Avant que tout soit emporté, Je veux retourner dans l'allée, Entendre les séquoias pleurer.”
- Orelsan de son côté est légèrement plus fleuri dans Baise le monde et L’odeur de l’essence.
- BigFlo et Oli sont eux au cœur du sujet dans Dernière, même si on n’a pas compris le lien avec leur clip.
- Angèle, queen d’instagram, se lance parfois dans des alertes improvisées.
- Et enfin même si on allait voir les super stars comme Billie Eillish on serait servis avec All the good girls go to hell : “Man is such a fool, Why are we saving him? Poisoning themselves now, Begging for our help, wow! Hills burn in California, My turn to ignore ya…”
C’est donc clair : les chanteurs, petits comme grands, poppeurs comme rappeurs mettent la lumière sur le sujet écolo. Et c’est une bonne situation ça ?
Orelsan et Angèle
Ne pas jeter l’eau du bain et le Booba avec
Plus ça va, plus on se méfie du tout rose, “tout est génial” ou du tout noir, “tout est à jeter”. Alors soyons nuancés, voulez-vous ? Oui, il y a du bon dans ces sons écolos qui fleurissent un peu partout.
Oui parce que ces stars suivies par des millions de personnes sont le signe clair qu’un changement culturel massif est là (et s’accélère ?). Oui parce que ce changement culturel, qui sexifie le combat climatique, est un ingrédient indispensable à la lutte. Oui parce qu’on ne sait jamais comment des micro graines par-ci par-là peuvent rejaillir. Oui parce que mine de rien cela donne parfois beaucoup de visibilité à des voix assez radicales : rappelez-vous des mots de Frah, le leader du groupe Shaka Ponk, lors des Victoires de la musique 2019 avec son fameux « C’est juste la fin du Monde ». Discours qui avait donné naissance à The Freaks, collectif d’artistes (avec notamment –M-, Zazie, Tryo, Christophe Willem) qui s’engagent à réduire leur empreinte environnementale.
Oui parce que tout est bon à prendre, de la brosse-à-dent en bambou de ton coloc jusqu’à un type qui grimpe dans un arbre pour combattre un projet autoroutier.
Une fois qu’on a dit ça, citons un type du milieu, Lord Esperanza : “La verbalisation c’est le premier pas. Le passage à l’acte c’est encore autre chose. L’être humain a du mal à agir tant que le problème n’est pas palpable. Pourtant tout commence par de petites actions”.
Passage à l’acte, la fausse note ?
Et c’est là que les choses deviennent intéressantes. Des actes, on en trouve, certes : Nekfeu qui a signé une collaboration avec Bostem (une marque de vêtements écoresponsables), Lord Esperanza, encore lui, qui s’est rallié au mouvement #ChangeTaDate des copains de TooGoodToGo, Angèle qu’on voit en manif, etc.
Mais prenons un autre exemple que vous connaissez sûrement. Orelsan dans son dernier album “Civilisation” a prouvé que sa réflexion sur le monde avait évolué, que sa marque éthique “Avnier” n’était pas juste un business, que sa posture face au capitalisme et à ses excès était plus radicale. Néanmoins c’est ce même Orelsan qui dans le documentaire de son petit frère “Montre jamais ça à personne” explique qu’il enchaîne les trajets éclair en Amérique du Nord pour telle ou telle opportunité, qu’il relie la Suisse à Paris en avion en une soirée pour être présent aux Victoires de la musique. C’est aussi lui qui est récemment devenu la nouvelle égérie de Dior,...
Orelsan, on l’aime bien. Lui comme nous avons des incohérences, les siennes étant immédiatement plus visibles et médiatisées. Mais ce grand écart qu’il nous offre pose profondément question. Est-ce du greenwashing complet ? Est-ce une question de degré de sensibilisation ? En gros, Orel comme d’autres ne se rendraient-ils pas compte de certaines énormités dans leur comportement ? Est-ce juste impossible de chanter à ce niveau en étant écolo ?
Il y a de ça, sûrement. C’est dans la définition. “Être une star” aujourd’hui signifie, “être admiré par le système actuel et ceux qui le financent”, donc “Être une star” sans adhérer à l’idéologie de ceux qui décrètent que tu es une star… ça parait compliqué.
Mais il y a aussi quelque chose de plus profond, qu’on connaît tous. On sait que le chocolat, c’est bof mais on en achète. On sait qu’insta nous fait du mal, mais on scrolle. On sait que parler de ses émotions, c’est bien mais on n’y arrive pas. On sait que bouger c’est la vie mais on reste devant notre ordi. Cela demanderait l’écriture d’une petite centaine d’articles pour décrire de manière pertinente cet espace de combat permanent qu’on a en nous, combat entre confort et engagement, entre facilité et sobriété, entre paroles et actes. Combat qui touche tout le monde, y compris ceux et celles dont le métier est d’être regardés, scrutés, écoutés.
De gauche à droite : Gaël Faye, Ben Mazué et Grand Corps Malade, le 8 juin 2022, à Paris. © YANN ORHAN
Art engagé ou art tout court ?
Parfois on se dit que réunir des gens, leur permettre de chanter et de danser, ou de rire, ou de s’émerveiller ensemble, c’est déjà une révolution dans notre monde actuel. Et que ça suffit pour dire que l’art est engagé en tant que tel.
Mais c’est quoi le pire ? Un Orelsan qui chante “On s'bat pour être à l'avant dans un avion qui va droit vers le crash” ou un Orelsan qui, par souci de cohérence, n’aborde pas ses sujets ? On n’est pas sûr de la réponse.
La grande question perpétuelle est tellement d’actualité : l’artiste doit-il nécessairement s’engager ? Ces trois-là, Grand Corps Malade, Gaël Faye et Ben Mazué abordent joliment le sujet.
Résiste ou prouve que tu existes
Finissons cette réflexion avec 5 points pour prolonger la réflexion et l’ouvrir à vous, chers lecteurs, chères lectrices.
- Soyons humbles. Le système dans lequel nous évoluons et le jeu d’équilibrisme qu’il nous contraint à adopter ne peuvent que nous inciter à beaucoup d’humilité
- Humilité ne veut pas dire relativisme mou : quand Orelsan se plie aux millions de LVMH, ça nous scandalise et on peut le dire - et on espère que ça le poussera à ne pas récidiver.
- Nos artistes “célèbres” ont un double diplôme explosif : ils sont des influenceurs ultra suivis mais aussi créateurs de contenus artistiques pouvant réveiller des émotions, pensées voire actes très constructifs… ou pas. Tout pouvoir implique de grandes responsabilités disait un copain un jour.
- Exister par nos créations, sans avoir besoin des likes de 10 000 personnes pour nous convaincre que nos élans sont bons : voilà un sacré chantier à entreprendre dans nos petites vies
- L’art éveille en nous un truc profondément vivant et c’est cette vie-là pour laquelle on se bat, essayons de ne pas l’oublier.