Un drive qui reprend les avantages du supermarché mais où l’on ne trouve que des produits de qualité, locaux pour la plupart, et surtout, sans aucun emballage ? C’est possible ! Le Drive tout nu le prouve, et depuis quatre ans déjà…
Pierre et Salomé, le couple de fondateurs,
tout habillés devant le Drive tout nu.
En défense du naturisme
Les aliments naturistes ont la vie dure. Dans la plupart des commerces, on ne les accepte que s’ils se couvrent de plastique, de carton, se cachent dans des conserves ou des barquettes sous-vide… Certes, il existe des camps naturistes garantis sans emballages, mais alors, les produits s’y retrouvent généralement peu nombreux, entre fruits et légumes frais, au seul bénéfice d’une clientèle de niche…
Pourtant, tous les produits peuvent être achetés en vrac ou dans des contenants réutilisables ; c’est d’ailleurs ce que nous avons fait pendant une majeure partie de notre Histoire. Si la boîte de conserve apparaît au début du XIXe siècle, l’emballage des aliments ne devient la norme que dans les années 1970 avec l’avènement du supermarché.
L’emballage se généralise pour des raisons sanitaires, certes, mais surtout pour des raisons commerciales. Le contenant standard sert au consommateur de repère stable. Avec son code-barres, il est facile à vendre, facile à transporter. Et puis, c’est l’emballage qui permet aux marques d’exister et de communiquer avec leurs clients.
Une planète bientôt sous-vide ?
Sauf qu’aujourd’hui, c’est le système tout entier qui s’emballe. La production de déchets plastiques, par exemple, a triplé depuis l’an 2000. Et 40% de ces déchets sont issus des emballages¹. Et ce qui vaut pour le plastique vaut pour les autres matériaux, car la plupart du temps, nos emballages finissent dans la nature ou les décharges. Ils sont parfois incinérés, très rarement recyclés (une opération d’ailleurs loin d’être neutre au point de vue écologique). D’ailleurs, c’est en voyant de leurs propres yeux la pollution plastique au Népal, à Madagascar ou au Mali que Pierre et Salomé ont eu l’idée de lancer un drive tout nu.
“Dans ces pays, les déchets sont visibles, explique Salomé. Mais chez nous, ils sont simplement cachés. En moyenne, un Français produit chaque année 590 kilos de déchets plastiques !” Si les emballages posent un problème écologique, ils posent aussi des problèmes de santé, car ils contiennent souvent des substances pouvant migrer dans nos aliments, comme des perturbateurs endocriniens (bisphénol, phtalates), toxiques (microplastiques), neurotoxiques (aluminium) ou cancérigène (hydrocarbures)... Bref, ça coupe l’appétit !
En France, même le gouvernement prend le chemin du zéro-déchet. Nous sommes le premier pays à proposer une sortie complète des emballages plastiques à usage unique d’ici 2040. C’est bien tard, et c’est trop peu. Pourquoi seulement les plastiques ? Et pourquoi 2040 ? Pierre et Salomé, eux, en avaient marre d’attendre.
Un supermarché mais en mieux ; un super-supermarché ?
Salomé l’assume. Son but n’est pas de lancer une énième “alternative”, un ixième “concept pour CSP+”. Non. Ce qu’elle veut, c’est changer à grande échelle notre façon de consommer. Et pour ça, il faut convaincre le plus grand nombre du fait que le zéro-déchet n’est pas une régression en termes de confort ou de praticité.
“On se disait : il faut garder la simplicité d’usage de la grande distribution, mais avec des produits tout nus, locaux si possible et toujours de qualité.” Le résultat ? Un site web avec plus de 1500 produits référencés, dans toutes les catégories (fruits et légumes frais, fromages, viandes, produits vétérinaires, soin corporel, hygiène domestique, etc.). Le client fait son panier en ligne et peut le récupérer quand il le souhaite, dès l’heure suivant son paiement, du lundi au samedi, de 10h à 19h. “Simple et pratique, insiste Salomé, comme un vrai drive de supermarché !”
Toutes les activités de l’entreprise se concentrent en fait dans des entrepôts. Dans chaque entrepôt, plusieurs salariés travaillent à temps plein pour recevoir les livraisons, préparer les paniers des clients, et stériliser les contenants usagés… Car au Drive tout nu, pour protéger les denrées sensibles, on utilise le verre, qui remplace toutes les autres matières utilisées traditionnellement pour le packaging. Habituez-vous donc à voir la viande sous vide par exemple.
“On est convaincu par l'économie circulaire, dit Salomé. Chez nous, le verre n’est jamais refondu. Il est réutilisé. L’ADEME montre qu’un contenant réutilisable est 4 fois moins énergivore qu’un emballage recyclable. Et ça, pour chaque utilisation !” D’où l'intérêt d’ériger la consigne en nouvelle norme.
Tout nu, mais pas tout d’un coup
Trouver certains produits relève du défi. Salomé nous raconte par exemple le calvaire du papier-toilette : tantôt suremballé, tantôt sur-chimique - sans parler de l’inutile petit rouleau de carton du milieu… Il a fallu faire des pieds et des mains pour trouver le producteur parfait.
S’approvisionner en lait, également, s’avère très compliqué. Salomé raconte… “C’est une vraie lutte selon les régions… On avait une ligne spéciale, en direct des producteurs, mais c’est galère, il faut un équipement de lavage, donc il faut de gros volumes…” Ce qui explique, par exemple, que les Drive Tout Nu de la région toulousaine soient actuellement à court. Mais Salomé ne baisse pas les bras : “On va recréer la filière !”
Et puis il y a les produits encore impossibles, notamment tous les aliments pour bébé, qui répondent aux normes drastiques de l’industrie pharmaceutique - et non celles, plus souple, de l’industrie alimentaire… Salomé ne désespère pas, un jour, fédérer suffisamment de demande pour faire bouger les producteurs.
Un modèle bientôt dominant ?
On ne serait pas surpris si ce type de grande distribution, plus écologique et plus responsable, devenait à l’avenir un nouveau standard à l’échelle nationale. Il suffit de voir à quelle vitesse le projet s’est développé… Il a fallu attendre 2014 pour qu’ouvre, à Bordeaux, la toute première boutique française² “sans emballage”. Pierre et Salomé, quant à eux, ont ouvert leur premier Drive Tout Nu en novembre 2018 dans le Nord de Toulouse. Depuis, la formule a fait florès : 6 autres drives ont ouvert dans les régions de Toulouse-Bordeaux, de Lille et de Chambéry. L’idée, à chaque fois, étant de se développer régionalement en recréant patiemment un tissu de producteurs locaux.
L’entreprise Drive Tout Nu, accompagné par le fonds makesense Seed1 compte aujourd’hui 33 salariés, affiche une croissance de 95% sur l’année 2021, et honore déjà près de 1000 commandes par semaine. Pourtant, Salomé voit plus loin : “Le système fonctionne. Notre rêve, maintenant, c’est de le démocratiser. On veut ouvrir plus de boutiques, proposer encore plus de produits différents. Il faut convertir les gens, aller chercher les clients de la grande distribution !”
Bref : mettre enfin la grande distrib’ à poils !
1. OECD.org, Plastic pollution is growing relentlessly as waste management and recycling fall short, says OECD, 22 février 2022
2. Le Monde, A Bordeaux, l’épicerie « La Recharge » relève le défi du sans emballage, 14 juillet 2014