Le bonheur est-il soluble avec les années ? Alors que plus d’un quart de la population française a dépassé les 60 printemps, les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses à souffrir de la solitude. Afin de prendre soin de nos aîné·es, des entrepreneur.ses misent sur le lien intergénérationnel.
“Très cher monsieur, c’est dans cette lettre que je vous fais un câlin. C’est dans cette lettre que je vous fais un bisou. C’est dans cette lettre que je vous envoie des millions et des millions de trésors.” Voici le début de la missive attendrissante de la petite Elina Paulic destinée à une personne âgée isolée, en EHPAD ou en maison d’accueil spécialisée. Cette idée de correspondance intergénérationnelle vient tout droit de l’association 1 lettre 1 sourire qui s’attache à briser la solitude des seniors grâce aux relations épistolaires avec d’autres générations. En plein premier confinement, l’initiative est partie de dix cousins de la région lilloise qui décident de réagir face à la détresse palpable des résident·es des maisons de retraite à qui le gouvernement avait interdit les visites. Au début, les dix cousins envoient des lettres à des papis et mamies qu’ils ne connaissent pas. Depuis, plus de 950 000 correspondances ont été échangées. Ce n’est pas pour rien qu’en 2021, ils raflent le prix coup de cœur de Générations+, l’appel à projet de la France Mutualiste.
En près de 2 ans, l’association Share Ami a formé 700 duos de papis, mamis et jeunes apprenant de français en ligne. Les leçons dispensées par les aînés deviennent presque une excuse pour créer du lien entre générations.
Deux millions de Français·es isolées
“On a des retours d’animatrices qui nous disent que c’est dingue de distribuer nos lettres à des personnes qui sont là depuis 3 ans et qui n’ont jamais reçu de courrier”, raconte Stephanie Delepoulle, directrice d’1 lettre 1 sourire. “Elles nous confient les voir à leur bureau en train d’écrire une réponse. Cela leur donne un but à leur journée, et un sens à leur journée.” Un nouveau goût de la vie ? Selon le baromètre 2021 Solitude et isolement, 2 millions de Français·es de 60 ans et plus sont isolé·es des cercles familiaux et amicaux. Pire encore, 530 000 aîné·es vivent dans une situation de mort sociale, soit d’isolement extrême.
“Au moment de la retraite, on peut tout à fait avoir une attitude de repli qui peut être délétère en matière de bien vieillir”, explique Jean-François Capo Canellas, directeur adjoint en charge de l’action sociale de la CARSAT Normandie. Il existe à l’inverse de nombreuses solutions qui permettent d’inverser la tendance et de prendre des bonnes habitudes. Parmi celles-ci, le directeur déroule sa liste : “la bonne nutrition, la lutte contre la dépression qui peut être une source d’entrée à terme dans le vieillissement prématuré, l'entretien de son capital cognitif, (car il faut toujours apprendre, être curieux)... Il y a également le lien social. L'intergénérationnel fait partie des ces comportements protecteurs.”
« L’intergénérationnel ce n’est pas un aidant d’un côté et d’un aidé de l’autre. »
Contrairement aux idées reçues, l'intergénérationnel ne semble pas être un bénéfice à sens unique. “Une élève un peu chahutée à l'école criait tout son mal être dans une lettre”, se souvient Stéphanie Delepoulle. “L'animatrice de l’EHPAD a transmis la lettre à une ancienne institutrice qui lui a donné des conseils.” Des histoires de partage, il n’en manque pas.
“Ces générations qu’on met en relation ont très peu d’espaces communs au quotidien. On pense que ces deux générations ont énormément à s’apporter. Il ne s’agit non pas d'un aidant d’un côté et d'un aidé de l’autre”, affirme Anne-Lou Villeminot, responsable du développement chez Share Ami, partenaire de la CARSAT. Également créée durant le confinement, Share Ami est une plateforme qui met en relation des seniors vivant en France et des jeunes qui apprennent le français. C’est un échange de bons procédés. Le jeune gagne “de la compagnie, une activité et un repère dans la semaine.” Et pour la personne âgée, c’est l’opportunité de transmettre “son savoir de la langue et de sa culture, son patrimoine et ses expériences de vie.”
Pour Jean-François Capo Canellas, ce qui a motivé la collaboration avec Share Ami, c’est la possibilité d’offrir aux retraités un échange avec une personne plus jeune, à distance. C’est une ouverture sur le monde, interculturel et intergénérationnel. “Lors du bilan, on s’est rendu compte que les seniors ont surtout eu le sentiment d’avoir donné et d’avoir été utiles. Ça renforce l'estime de soi. Ce n'était pas l’impact immédiat recherché, ça a été la surprise mais c’est très bénéfique.”
Aujourd’hui, la perception de la vieillesse en France reste bien loin du glamour. Pourtant, comme le rappelle Clément Boxebeld, cofondateur de Share Ami, “il faut arrêter de se définir par l'âge et de s'y réduire. Changer de regard sur la vieillesse c’est aussi permettre de résoudre les défis de la transition démographique.“ Comme quoi, les vieux aussi c’est l’avenir.