Le bon sens paysan de Fermes d’avenir a encore frappé. Considérant que 10% des personnes réfugiées accueillies en France ont une expérience agricole qu’elles souhaitent poursuivre et que 50% des agriculteurs français seront en âge de partir à la retraite d’ici 5 ans, l’association a lancé avec SOS solidarités un programme d’inclusion qui forme les réfugiés à l’agroécologie. La preuve que, sur comme sous la terre, la survie est affaire de solidarité.
Anne-Lore Leguicheux, vous pilotez le programme Compagnonnage Réfugiés, de quoi s’agit-il ?
C’est un programme de formation en itinérance qui permet d’initier une nouvelle génération d’agriculteurs au maraîchage agroécologique, mais aussi de permettre aux réfugiés une insertion socio-professionnelle dans les métiers agricoles. Pour favoriser le partage d’expériences et accélérer l’insertion socio-culturelle, la personne réfugiée travaille en binôme avec un compagnon français. Pendant 8 mois, 32 compagnons, dont 12 personnes réfugiées, vivent en immersion totale dans l’une de nos 16 fermes partenaires partout en France. Au final, leur apprentissage porte autant sur l’agriculture française que sur nos codes socio-culturels !
Ce programme est-il né dans les choux ?
Cette formation est née d’un double constat. D’abord, 50% des agriculteurs seront en âge de la retraite d’ici 2025 et une exploitation sur deux ne trouvera pas de repreneur. D’autre part, on observe une hausse des demandeurs d’asile en France. Parmi eux, 10% étaient agriculteurs dans leur pays d’origine et veulent continuer à l’être en France. Fermes d’avenir et SOS Solidarités ont donc imaginé ce programme à la croisée des mondes agricoles et de l’insertion.
Quelles graines Compagnonnage Réfugiés souhaite t-il semer ?
Les réfugiés se heurtent souvent à la barrière de la langue. Notre formation étant basée quasi exclusivement sur la pratique, elle est accessible même aux personnes qui ne maîtrisent pas bien le français. Cependant, on leur donne l’opportunité de progresser : chaque compagnon réfugié bénéficie du suivi d’un professeur formé au Français Langues Etrangères. Les cours portent principalement sur le vocabulaire du milieu maraîcher et sont adaptés au niveau de chacun. Aussi, dans leur expérience passée, les réfugiés ont souvent connu des climats souvent plus chauds. Au vu du réchauffement climatique que l’on connaît en France, leur savoir-faire nous est précieux.
Et toi, tu es plus bitume ou fleur des champs ?
J’ai été travailleuse sociale pendant 10 ans, principalement dans l’insertion et l’immigration. J’aidais les personnes à la rue et dans les centres d’hébergement d’urgence. J’ai ensuite rejoint Fermes d’avenir il y a 2 ans pour mettre le programme Compagnonnage Réfugiés sur pied et le piloter au niveau national.
Pourquoi avoir choisi la transmission par la permaculture ?
L’agroécologie, c’est penser l’agriculture selon des pratiques respectueuses de l’Homme et de l’environnement. L’Homme et la nature sont indissociables ! Ils doivent prendre soin l’un de l’autre pour que ça marche : c’est un fonctionnement systémique. Intégrer une dimension solidaire à cet environnement donnait tout son sens au programme. Le compagnonnage, c’est la transmission de compétences, la formation de pair à pair… Tout ça est à l’image de la nature finalement !
Lauréats du Prix Cognacq-Jay en 2020, vous bénéficiez d’un accompagnement depuis bientôt 9 mois. Sur quels enjeux spécifiques vous a t-il permis de progresser ?
Le Prix nous a donné un beau coup de projecteur et nous a permis de rencontrer d’autres porteurs de projets avec qui on a créé des synergies intéressantes ! On a également bénéficié d’un accompagnement qui s’est avéré très utile. Avec makesense, on a effectué un travail de fond sur les pistes d’amélioration du programme : on a réfléchi aux façons de le rendre plus efficient, plus qualitatif et rentable, tout en conservant sa raison d’être.
Quelles sont vos ambitions pour Compagnonnage Réfugiés ?
Les perspectives sont nombreuses ! En ce moment, on effectue les démarches de certification du programme pour qu’il soit reconnu dans le cadre professionnel. On fait également partie d’un réseau européen d’associations avec lesquelles on réfléchit sur la transmission des pratiques agro-écologiques. C’est très enrichissant ! En parallèle, on se penche sur la question de la mobilité de nos compagnons sur les territoires ruraux, à l’accès au numérique…
Votre programme a t-il souffert de la pandémie ?
La formation n’a pas été ralentie pendant la crise, au contraire ! La pandémie est venue confirmer le fait que les circuits courts et les exploitations à taille humaine sont plus résilientes que les structures conventionnelles. On a montré à nos bénéficiaires que l’agro-écologie était un système viable et qu’ils s’engageaient dans un métier d’avenir. Au final, aucune ferme ne s’est retrouvée en difficulté.
Quels conseils donnerais-tu à une personne qui souhaite lancer un projet innovant au service des personnes en difficulté ?
Pour moi, il y a trois indispensables. Premièrement, avant de vous lancer nourrissez-vous de l’expertise des projets existants. Allez regarder ce qui se fait déjà, constatez ce qui fonctionne bien et moins bien. Cela vous permettra non seulement de déceler les besoins qui sont peu ou mal adressés mais aussi de construire le projet en réseau, ce qui est essentiel. Deuxièmement, il faut mettre en place un modèle économique viable. Quand on veut accompagner des personnes fragilisées qui ont traversé tant de tempêtes, on ne peut pas se contenter de l’à peu près : on doit leur donner un socle solide. Enfin, il faut s’assurer que notre idée colle à la réalité de notre public. C’est important de prendre le temps de vérifier leurs besoins réels pour ne jamais tomber dans l’interprétation.
Raconte-nous ta plus belle histoire d’accompagnement
Abdelrem, un réfugié soudanais que j’avais accompagné dans sa demande d’asile il y a 5 ans, a rejoint le programme Compagnonnage Réfugiés l’année dernière. Lorsque son père a dû quitter le foyer familial, Abdelrem est devenu le chef de famille, ce qui a mis énormément de pression sur ses épaules. Il a fallu faire en sorte qu’il s’autorise à être heureux malgré les difficultés familiales qu’il continue de gérer à distance. Au milieu de la formation, il m’a dit ces mots qui m’ont beaucoup touchée : “J’ai trouvé ma place dans ce métier car la terre est universelle et honnête. Plus tu la travailles, plus elle te donne.”. Malgré toutes les souffrances traversées, il se sentait enfin apaisé et légitime. Abdelrem a aussi noué un lien fort avec son compagnon français, Clément. Aujourd’hui, il s’est installé dans un appartement près de Grasse entouré de ses amis. Je suis heureuse de voir ce qu’il a accompli ! À mon sens, la priorité dans l’accompagnement est de permettre à la personne de retrouver du désir, du plaisir dans ce qu’elle fait et de la projection à titre personnel autant que professionnel. Ces personnes sont déplacées comme des pions depuis des années. On leur demande très peu leur avis : elles ont été soit ignorées, soit infantilisées. Là, pour la première fois peut-être, on leur donne la possibilité de faire quelque chose qui leur fait du bien et qui leur donne le sentiment d’être utile à la société. Elles sont considérées comme des individus à part entière, sont enfin reconnues.