Bonne nouvelle ! Les économistes, ingénieurs, urbanistes, climatologues du think-tank The Shift Project, Jean-Marc Jancovici en tête, ont un plan pour que la France puisse respecter ses objectifs de réduction carbone. Allez hop, on décrypte tout ça.
Pour tenir nos promesses, il faudra ramer un peu… Et pédaler beaucoup !
Devant une tâche immense, deux attitudes sont fréquentes : l’idéalisme (“On a déjà gagné !”) et le cynisme (“On a déjà perdu !”). Ces deux stratégies ont l’avantage de nous épargner l’effort de réfléchir et d’agir concrètement. Face à l’urgence climatique, pourtant, il serait grand temps de trouver une position intermédiaire.
C’est justement ce créneau modéré, mais déterminé, que le Shift Project entend occuper. Sous la direction de Jean-Marc Jancovici, cette association vient de publier le “Plan de Transformation de l'Économie Française” (PTEF), un livre grand public pour détailler ses propositions, sans éluder un point fondamental que les discours politiques “oublient” souvent : le coût d’une telle transformation. Coûts en termes d’efforts humains, d’habitudes à changer, de budget, d’emplois…
Car nous n’aurons pas le beurre et l’argent du beurre.
Il faut s’y préparer.
Diagnostic d’une société malade
Nous sommes drogués.
Dépendants aux énergies fossiles. Accros au fioul, au gaz, au charbon.
Sans abondance énergétique, pas de société moderne. C’est l’énergie qui rend possible la machine et la révolution industrielle. Elle qui vide les campagnes. Elle qui fait pousser les métropoles comme des champignons. Elle qui nous baigne dans le confort, le loisir, la consommation… Pas facile de renverser la vapeur !
Et pourtant, dans son introduction, Jancovici rappelle que les mécanismes du réchauffement climatique sont bien compris depuis… les années 1850 ! Las, les énergies décarbonées “ne fournissent toujours que 20% de toute l’énergie que mobilise le fonctionnement de l’économie mondiale” - un pourcentage qui n’a pas bougé depuis 1974…
Pour comprendre l’ampleur de la tâche, Janco donne un chiffre éloquent. Avant d’être utilisées (dans les bâtiments, les infrastructures, l’agriculture…), toutes les pièces d’acier sont taillées par des laminoires - des machines énormes et puissantes. S’il fallait remplacer un seul laminoire par de l’énergie humaine, il faudrait 10 millions de paires de bras - soit 40% de la population active française… C’est dire si l’énergie coule à flot ; on ne la voit pas, on y pense même plus…
C’est pourquoi le PTEF ne propose pas la lune, ni même une société zéro carbone, mais seulement le respect de nos propres objectifs nationaux - soit ne produire “que” 85 millions de tonnes équivalent carbone, par an, d’ici 2050 (ce que l’on fait en deux mois aujourd’hui). Et pour atteindre cet objectif modeste, il va déjà falloir se retrousser les manches ! Le PTEF propose une réforme globale, cohérente, dont les ramifications (énergie, industrie, agriculture, etc.) sont toutes solidaires les unes des autres. Voici les principales propositions.
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L’énergie : du vert et du nucléaire
Pas le temps. Pas l’espace. Pas les moyens.
Les équipes du Shift Project sont formelles : nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs sans l’aide du nucléaire. D’autant que selon leurs calculs, notre consommation globale d’électricité devrait augmenter de 20% d’ici 2050, surtout si nous voulons privilégier les véhicules propres. Il faudrait donc investir massivement dans ce domaine pour construire une paire de réacteurs EPR tous les deux ans à partir de 2035, et atteindre le mix énergétique suivant : 65% de nucléaire et d’hydraulique (en conservant nos barrages actuels), 35% d’énergies renouvelables.
Par ailleurs, il faudra “réduire drastiquement” nos importations de gaz et de pétrole, et lancer de grands travaux dans le sens inverse des Trente Glorieuses, en supprimant les réseaux gaziers puis en remplaçant dans chaque maison, chaque quartier, les appareils fonctionnant au gaz par des appareils électriques. Idem pour les stations service qui ne vendront plus d’essence, puisqu’il faudra développer deux grands réseaux de recharge pour les véhicules : un réseau lent chez les particuliers et sur les lieux de travail, pour les recharges quotidiennes, un réseau rapide, le long des nationales et des autoroutes pour des recharges en 30 minutes.
L’industrie : des efforts à poursuivre
Les émissions de carbone proviennent surtout de l’industrie lourde : la chimie, la métallurgie, les matériaux de construction… Pour ces secteurs, le PTEF prévoit trois types de solutions : 1/le recyclage, notamment des matières plastiques, 2/la baisse de production, pour s’adapter à la sobriété des autres secteurs, 3/le progrès continu.
Le progrès continu, c’est le nom qu’on donne à toutes les petites améliorations technologiques, les changements de méthodes, les optimisations et la réduction du gaspillage… Selon le Shift Project, le progrès continu devrait permettre à l’industrie de faire 40% du chemin.
Ce ne sont pas des vœux pieux. Par exemple, les vieilles usines de béton-ciment consomment 10% à 15% d’énergie en plus que les nouvelles. En chimie, la rupture hydrogène pourra potentiellement révolutionner les procédés (pour l’explication physique, vous rappelez votre prof de SVT ?) notamment pour produire engrais azotés. Idem pour sidérurgie, où la réduction directe du fer par hydrogène ne génère que de l’eau, plutôt que du dioxyde de carbone lors du traitement des oxydes de fer.
Enfin, la capture et le stockage de carbone (par les cheminées) promet également une belle marge de progression pour nos usines.
L’agriculture : du bio, du local, et surtout, des vrais salaires
Nous sommes en terrain connu, puisqu’ici, le PTEF recommande quelques grands chantiers déjà plébiscités par le grand public :
- Réorienter l’élevage animal vers la qualité et la diversité. Objectif : diminuer d’un tiers la production de lait et d'œuf, de moitié les produits issus de la mer, et d’un tiers la production de bœuf - porc - volaille.
- L’adoption de pratiques agro-écologiques (agroforesterie, rotation des cultures, polyculture, fin du labour), en insistant sur la diversification des productions agricoles qui rendra les agriculteurs plus résilients face au changement climatique.
- Réduire de 80% le flux de marchandises agricoles alimentaires à l’import/export, grâce au développement du circuit-court et des rééquilibrages entre régions (selon la densité de population et les aléas de production).
Enfin, le PTEF imagine un monde rural plus vivant et plus attractif. Pour cela, il invite les pouvoirs publics à revaloriser le foncier, simplifier les démarches administratives et financières des repreneurs d’exploitations agricoles.
Dans cette même idée, les prix pourraient être revus à la hausse, +1% pour les produits végétaux et +7% pour les produits animaux. S’il est garanti que ces augmentations profitent essentiellement au producteur, alors ce dernier verrait son salaire augmenter de 14% dans le premier cas et doubler dans le second. De quoi susciter des vocations.
La mobilité : fin du moteur thermique
Le secteur du transport est le plus émissif en France, avec environ 30% du CO2. Depuis 1990, c’est aussi le seul secteur à n’avoir fait aucun progrès en la matière.
Un tiers de ces émissions sont dues aux marchandises. Il faudra donc remettre au premier plan le transport ferroviaire et fluvial. Point positif : ce projet ne nécessite pas d’innovation, ni de grands travaux, puisque les réseaux sont déjà là, et qu’ils sont loin d’être saturés. Sur les routes, les quelques poids lourds devront être électrifiés, tandis que pour les livraisons et les “derniers kilomètres” (en centre ville), c’est le vélo qui prendra le relais. Naturellement, il faudra faire une croix sur les livraisons express en 24h, privilégier le stock sur la course de vitesse, et remplir au maximum tous les conteneurs.
Les particuliers comptent pour deux tiers des émissions liées au transport. Pour améliorer leur bilan, il faudra revitaliser les centres-villes (avec des commerces, des loisirs) pour que toutes les activités se fassent à pied ou à vélo. Et puis côté bagnole, ça devra bouger aussi en remplaçant progressivement tous les bolides d’aujourd’hui par des voitures électriques, légères et moins gourmandes en matériaux. Les foyers modestes bénéficieront de soutiens massifs pour basculer vers ces véhicules bas carbone.
Pour les voyages longue-distance (+80 km du domicile), il faudra de nouveau privilégier le train (et ce, dans toute l’Europe), rouvrir les petites les lignes, proposer des billets bon-marché et des wagons pouvant accueillir les vélos. Des cars électriques pourront assurer la liaison des plus petites communes entre elles.
Des sous et de la méthode
Les rapports du Shift Project couvrent un éventail de sujets beaucoup plus larges : logement, santé, culture, administrations publiques… Nous avons seulement donné les grandes lignes pour les secteurs cruciaux. Pour connaître tous les détails du PTEF, nous vous invitons à consulter le site du Shift Project (les rapports sont gratuits) ou commander leur livre de vulgarisation : Climat, crises. Le plan de transformation de l'économie française
Maintenant que nous connaissons les objectifs du PTEF, reste à savoir comment le financer et comment le mettre en œuvre. Pour répondre à la première question, les auteurs estiment que la transition écologique doit initier un cercle vertueux - rapportant plus qu’il ne coûte. Cette dynamique se transcrirait par exemple dans le domaine de l’emploi, car si le PTEF prévoit de détruire 800 000 emplois (dans le secteur pétrolier surtout), il prévoit aussi d’en créer 1,1 million (notamment via la création d’une puissante industrie du cycle, des deux roues et de la voiture électrique), soit un solde net de 300 000 emplois gagnés pour les Français.
De plus, le Shift Project évoque plusieurs nouvelles sources de financements potentiels :
- Une réforme de l’épargne française, visant à réorienter une partie des 1 200 milliards d’euros de l’assurance vie individuelle à travers un nouveau contrat
- Une baisse drastique des subventions aux énergies fossiles (335 milliards de dollars pour l’Europe en 2015).
- Une taxe sur les échanges financiers.
- Une vraie politique de lutte contre l’évasion fiscale.
Le Shift Project ne propose pas un pays de cocagne. Mais un pays légèrement différent du nôtre : agréable, accessible, et surtout, durable.
Il ont un plan !
Enfin, les auteurs du Shift Project préconisent une méthode : la planification, évoquant même l’ancien Commissariat Général au Plan, qui devint l’organe emblématique des Trente Glorieuse en accompagnant tous les grands chantiers nationaux (on lui doit le lancement des projets Airbus, Concorde, ou l’aéroport de Roissy).
Il faudra donc faire un choix. Transformer la société nécessite beaucoup d'interventionnisme, et donc, un marché moins libre. Bien sûr, le Shift Project n’entend pas transformer la France en pays autoritaire et compte laisser aux entreprises les mains libres, même si des “incitations intelligentes" (carotte et bâton) devraient les aider à prendre la bonne direction.
Notre société est malade. Mais désormais, nous avons le diagnostic, le remède, et la posologie. Finalement, c’est tant mieux ! Nous ne sommes ni perdus, ni condamnés par les dieux. Il faut juste reprendre de bonnes habitudes. Et se soigner.