Le jour où j’ai perdu 6 tonnes en 2h30

Le jour où j’ai perdu 6 tonnes en 2h30

Pour mettre mon empreinte carbone à la diète, j’ai testé l’atelier 2 tonnes, un serious game pour limiter le changement climatique.
07 October 2021
par Irène Colonna d'Istria
6 minutes de lecture

Plus dur que le régime Dukan ? Pour mettre mon empreinte carbone à la diète, j’ai testé l’atelier 2 tonnes, un serious game pour comprendre les actions à mettre en place pour limiter le changement climatique.

À toi qui es parti en Corse en avion, qui a enchaîné les côtes de bœuf au barbecue, qui n’a pas rattrapé ton sac plastique à temps lorsqu’il s’est envolé vers la mer, ou qui a préféré te plonger dans une grille de mots fléchés plutôt que dans le dernier rapport du GIEC... Je sais que l’année a été difficile et que parler climat, ça n’aide pas vraiment à décompresser. Mais j’ai une bonne nouvelle pour t’aider à te climactiver à la rentrée : j’ai testé 2 tonnes, l’atelier collectif qui permet de simuler des décisions individuelles et collectives pour limiter le réchauffement à +1.5°C degrés d’ici à 2050. Et je suis formelle : c’est LE régime incontournable pour compenser tes excès de l’été, sans tomber dans l’éco-anxiété !

Commençons par un petit rappel de base : pour limiter le réchauffement climatique à 1.5°C (et ainsi espérer préserver des conditions de vie acceptables sur Terre, youpi) il faut que chaque habitant.e de la planète émette moins de 2 tonnes équivalent C02 par an en 2050 - d’où le nom de l’atelier, tu l’as ? Or à l’heure actuelle, un.e Français.e émet en moyenne 10,8 tonnes équivalent CO2 par an. 

Si on ne fait rien, on est sur une trajectoire de réchauffement bien au-delà de +3°C en 2050, impliquant - entre autres - une perte de 30% de la biodiversité, le déplacement forcé de plus de 300 millions de personnes… Alors, on s’y met ?

Je cherchais à perdre le poids… de ma culpabilité ? 

Après avoir fait une Fresque du Climat, j’avais bien compris le problème mais je flippais à fond, d’autant plus que j’ignorais quelles actions privilégier pour avoir un vrai impact. Je me suis donc inscrite au programme « ré_action : chauffe-toi pour le climat ! » pour m’inspirer et m’aider à passer à l’action avec d’autres personnes qui se posent les mêmes questions que moi. Dès la première semaine, on me propose plusieurs créneaux pour participer à l’atelier 2 tonnes, apparemment hyper complémentaire de la Fresque du Climat. Je prends donc rendez-vous un lundi soir, bien installée derrière mon ordinateur, avec Sophie, l’animatrice, et 6 camarades futurs-ex-pollueurs, comme moi.  

Pendant 2h30, grâce à des fiches informatives et aux conseils de Sophie, nous discutons, débattons et prenons des décisions concernant nos comportements individuels et les politiques gouvernementales en matière de climat. Une décision est prise à chaque tour - qui représente un saut dans le temps de 3 ou 4 ans - et l’outil en ligne permet de découvrir l’impact des décisions prises sur l’évolution de l’empreinte carbone de chaque participant·e et sur l’empreinte carbone moyenne des Français·es. La difficulté principale étant qu’à chaque tour, nos ressources pour passer à l’action ne sont pas illimitées : il va donc falloir faire des choix et aller au plus efficace pour réduire. Réussirons-nous à passer sous la barre des 2 tonnes en 2050, individuellement et collectivement ? 

J’ai d’abord dû me battre un peu contre moi-même …

Avant l’atelier, j’ai effectué mon bilan carbone individuel en ligne, je prends donc des décisions sur la base de mes vraies données personnelles. Je suis à 6,8 tonnes par an en 2020, en dessous de la moyenne des français, mais tout de même assez loin de l’objectif – alors même que j’avais déjà l’impression de faire des efforts… Dans mon groupe je suis dans la moyenne : 2 personnes sont déjà sous les 4 tonnes (!!), 2 autres à peu près au même niveau que moi, et 2 sont au-delà des 8 tonnes.

Un tour sur deux, on est invité à prendre des décisions pour réduire nos principaux postes d’émission au niveau individuel, à savoir : l’alimentation, les transports, le logement, la consommation d’objets… Alors, selon mon mode de vie actuel, qu’est-ce qui est le plus efficace entre devenir flexitarien et acheter local et de saison ? Entre prendre les transports publics et acheter un véhicule électrique ? Entre l’achat d’une pompe à chaleur et la rénovation de son logement ? Au fil du jeu, on apprend à répondre à ces questions et identifier les principaux leviers d’action individuels. 

Mais alors que nos empreintes respectives diminuent, deux terribles constats s’imposent à nous : 

  • Notre progression est trop lente et nos progrès individuels n’ont que peu d’effet sur l’empreinte moyenne du reste des Français. Comment faire pour accélérer et embarquer le reste de la population avec nous ?
  • Les personnes qui ont déjà une empreinte assez faible ont beaucoup plus de difficultés à réduire significativement leurs émissions. Pourquoi - comme dans un régime alimentaire - les dernières tonnes seraient-elles les plus dures à perdre ? 

On estime que l’action individuelle ne peut en fait réduire que de 25% l’empreinte carbone des individus. Pour les 75% restants, tout se joue au niveau collectif. Il faut donc prendre des décisions structurelles ambitieuses et engager l’ensemble de la population dans la transition. Alors, on s’y met tous ensemble

… Avant de comprendre que le climat, c’est avant tout un sport d’équipe. 

En France comme dans bon nombre de pays développés, les infrastructures collectives et systèmes productifs sont responsables de la majeure partie des émissions. Nous voilà donc dans la peau de décideurs politiques pour prendre des décisions d’investissement ambitieuses et rendre nos systèmes alimentaires, nos transports, nos industries et notre énergie compatibles avec la trajectoire des +1.5°C. A l’aide des précieuses fiches explicatives, nous discutons pratiques agricoles, bioénergies, parc automobile, transports publics, quotas carbone, économie circulaire, solidarité internationale, boycott, relocalisation… Nous découvrons au passage de nouveaux modes de décision et initiatives tels que le consensus, le jugement majoritaire, la Convention Citoyenne pour le Climat. Si l’on veut une transition juste, la question n’est pas seulement de savoir quelles décisions prendre, mais aussi comment les adopter pour susciter l’adhésion du plus grand nombre. 

Nous prenons également conscience qu’une des clés pour faire baisser l’empreinte carbone moyenne des Français est de choisir de faire jouer notre pouvoir d’influence personnel et d’investir massivement dans la sensibilisation et l’éducation au climat. Le but est d’atteindre un “social tipping point”, idée théorisée par Thomas Schelling selon laquelle une minorité d’individus bien organisés peut suffire à faire basculer l’ensemble de la société. Il appartient donc à nous tous et toutes d’influencer et d’inviter les autres à suivre ce nouveau régime (décarboné). C’est aussi le message “puissance 10” de makesense, incarné par ré_action : pour changer les choses, il faut donner les moyens à chaque personne engagée d’engager 10 personnes, qui à leur tour engageront 10 personnes… Coïncidence ? 

Nous voilà déjà en 2050 et à la fin du jeu, c’est l’heure des résultats  : en tant que groupe, nous avons réussi à atteindre une moyenne de 2,5 tonnes, mais la moyenne des Français·es émet encore 3,4 tonnes par an. C’est une belle progression, mais force est de constater que nous avons pris du retard et que nous n’avons obtenu des réductions drastiques qu’à partir de 2040. 

La bonne nouvelle, c’est que tout ceci n’était qu’un échauffement. Mais alors que nous nous partageons nos ressentis sur l’expérience vécue, l’heure est à la prise de conscience : 

  • Atteindre l’objectif des 2 tonnes, c’est un peu comme courir un marathon au rythme d’un 100 mètres : un effort intense qui demande à la fois de la vitesse et de l’endurance. En d’autres mots, il nous faut agir massivement ET rapidement. La décennie à venir sera cruciale et la seule chose certaine c’est qu’on n’a aucune chance si on attend 2040 pour s’y mettre.
  • Même si je vous ai présenté 2 tonnes comme un régime, à l’échelle individuelle, ce n’est surtout pas l’éloge de la privation mais bien celui de la sobriété des modes de vie. Tandis qu’à l’échelle collective, il appelle à des investissements massifs (et surtout pas de l’austérité !)
  • Ca semble être une montagne à gravir, mais nous disposons de nombreux leviers d’action et plusieurs chemins sont possibles. On ne part pas tous du même point de départ, mais ce qui compte vraiment c’est que tout le monde franchisse la ligne d’arrivée. Alors on s’entraide, et on s’entraîne !