Ces chiffres sur l’eau que vous ne voulez pas connaître

Ces chiffres sur l’eau que vous ne voulez pas connaître

Et s'il y avait de l'eau dans nos smartphones et nos biftecks ? Petit guide pour identifier notre consommation d'eau, visible ou cachée.
04 April 2023
par Vianney Louvet
9 minutes de lecture

On a l’impression que les histoires d’économie d’eau, c’est un long fleuve tranquille, vu et revu. Détrompez-vous. Quand on se mouille un peu plus, on découvre que l’eau est partout. Et que réduire le temps de douche, c’est bien mais loin d’être suffisant et le plus stratégique. Décryptage et cascade de chiffres, c’est parti. 

Ça paraît dingue mais à la fin du 19ème siècle, la consommation d’eau journalière des Français et Françaises ne dépassait pas les 20 litres. Aujourd’hui, selon l’Ademe, on se situe entre 130 à 150 litres d’eau. La majeure partie de cette consommation - 93 % pour être exact - est consacrée à l’hygiène (vous savez quand vous prenez une douche et que votre coloc tape à la porte en disant que vous abusez) et les 7 % restants proviennent de ton alimentation (trois louches d’eau pour ta pâte à crêpe, trois !) - chiffres gracieusement offerts par l’OMS. 

Un bon coup de bouteille

150 litres par personne et par jour, ça veut dire quoi ? Prenons l’exemple de ma passionnante vie…

  • Une douche chaude de 5 minutes en écoutant les matins de France Culture et la douce voix de Guillaume Erner : 60 à 80 litres d’eau. Bim. 
  • Je ne connais pas vos stats-toilettes mais moi je suis extrêmement régulier. 5 fois par jour dont un premier rendez-vous aux alentours de 9h09. À raison de 6 litres d’eau pour une chasse d’eau, ça nous fait une trentaine de litres. Bam. 
  • Vers 18h, je lance une machine en appelant mon papa : de 35 à 60 litres en plus. Boum. 

150 litres, ça va vite donc. Et ça parait beaucoup, et pourtant… Accrochez-vous bien. 

Le cache-cache le plus flippant de tous les temps 

Elle porte plein de noms différents : l’eau invisible, cachée, virtuelle, dans tous les cas l’idée est plutôt claire : il y a une grosse partie de l’eau qu’on consomme chaque jour qu’on ne voit pas. Une grosse partie c’est combien ? Environ 4000 litres. Ce concept d’eau virtuelle a été inventé par John Anthony Allan du King’s College de Londres. Il désigne l’eau échangée entre pays sous forme de produits agricoles ou industriels ce qui correspond à environ 1/5ème de l’eau consommée dans le monde. Ah ouais, quand même !

Le grand déballage

Aujourd’hui, des années après les travaux du Professeur Allan, l’eau virtuelle est devenue un enjeu écologique majeur, qui plus est quelques semaines avant la sécheresse sans précédent qui s’annonce. Parce que de la flotte, il y en a partout. Vous allez comprendre. 

Derrière le whatsapp de ton pote qui filmait la manif hier : de l’eau - derrière ton t-shirt troué que ta petite sœur déteste : de l’eau, derrière ta tartine de pain beurre demi-sel-miel : de l’eau. Tous ces éléments de nos journées ont suivi un cycle de vie long et agité avant d’arriver dans nos poches, étagères et assiettes. Production, extraction de matières premières, construction, transports, distribution. À chaque étape, l’eau coule à flot…

Ma vie, mon œuvre

Recommençons le jeu des chiffres et concentrons-nous sur le petit déjeuner que je viens d’avaler. Notez que je fais partie de l’équipe-qui-mange-salé-le-matin : 

  • J’ai raté mon œuf à la coque. Résultat : une balle golf plutôt qu’un jaune bien fondant. Résultat bis, j’ai aussi grillé 200 litres d’eau. Quantité nécessaire pour produire un seul œuf. Gloups. 
  • Avec un œuf, il faut des mouillettes. Le matin même, j’avais acheté une baguette de pain : 325 litres d'eau. Pour une misérable baguette de pain. 
  • Bonus du jour : un morceau de camembert. 1050 litres d’eau pour faire ce fromage. Et merde. 
  • Mes deux addictions liquides ont complété le festival du matin. Un petit café et un bon jus d’orange. Vous voulez pas savoir hein ? Et pourtant il le faut. 4 000 litres pour un paquet de café et 850 pour une brique de jus d'orange. Voilà. Et si Patrick fait le malin parce qu’il boit plutôt du thé, sache Patrick qu’une seule tasse de thé, avec ses ridicules 150 ml d’eau “visibles”, c’est 30 litres d’eau cachée derrière. 

Première morale de l’histoire : si l'œuf, je le prends de mon jardin ou de la ferme d’à côté, si je remplace le thé ou le café par une tisane avec la menthe et le thym de mon balcon, si … grosso modo si je minimise la transformation de mes aliments et que je maximise ma connaissance de leur cycle de vie, alors forcément l’eau versée sera moindre ou au moins plus conscientisée.

Âmes sensibles s’abstenir

Parce qu’on avait envie de traquer les gouttes, on a eu le malheur de pousser le vice et d’aller chercher d’autres chiffres sur alternativi.fr. De quoi imaginer des premières pistes pour réajuster la consommation de certains produits et notamment de ces “petits plaisirs” qu’on s’offre et qui coûtent en fait très, très cher en or bleu : 

  • Produire 1kg de chocolat, c’est 17 000 litres d’eau - une belle piscine.
  • 1 kg de viande bovine, c’est 15 000 litres (environ 7 500 litres une simple entrecôte) - un chiffre qui circule un peu partout mais qui est en fait plus complexe que cela à comprendre. Notons tout de même que 98% de cet usage est lié au fourrage des animaux (orge, foin ou légumineuses), et seulement 1,1% pour abreuver le bétail.
  • 1 kg de noix de cajou, 14 000 litres - apéro morbide.
  • 1 kg de pistaches, 11 000 litres - désolé ça ne marche pas non plus. Si vous êtes perdu sur ce que ça représente, dites-vous que ça revient à ouvrir la douche à fond pendant 24h non-stop… 
  • 1kg d’amandes, 8 000 litres - en fait les olives c’est très bien aussi. 

Nota bene : réduire notre consommation à des litres d’eau sans plus de paramètres pris en compte est une simplification très hâtive, gardons ça en tête. L’eau utilisée pour faire boire ta poule n’est pas perdue et fait partie de ce qui alimente tes sols, ce qui n’est pas forcément le cas de celle utilisée pour transporter ton chocolat, etc. 

Nos conseils pour limiter la casse

L’eau et l’énergie : je t’aime, moi non plus

Nos menus sont donc accompagnés de petites bombes à eau et peuvent être ajustés avec le sempiternel mais plein de bon sens tandem bio-circuit court. En parallèle, sache que l’agriculture (9%) et l’industrie (10%) ne sont pas les secteurs d’activité qui prélèvent le plus d’eau. Le Water Footprint Network, le Centre d’information sur l’eau (CIEAU) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) estiment à 64% la part de l’eau utilisée pour l’énergie, qui trône donc bien en tête du classement. 

L’énergie avalerait la grande majeure partie de notre eau ? Parfaitement. Prenons notre source principale d’électricité en France : le nucléaire (67% en 2020). Partons de la base de son fonctionnement. La fission d'uranium produit de la chaleur, et cette chaleur transforme de l'eau en vapeur et met en mouvement une turbine reliée à un alternateur qui produit de l'électricité. Bien. Pour fonctionner donc et créer cette vapeur d’eau, il faut de l’eau froide, beaucoup d’eau froide. C’est pour ça que les centrales sont situées en bord de fleuve et rivière. Aujourd’hui la multiplication des évènements climatiques extrêmes - et par exemple la sécheresse qui arrive à grands pas - impacte le débit des cours d’eau et révèle la grande fragilité du secteur. En plus l’eau rejetée en aval, plus chaude, impacte la biodiversité. La question qui tue :  y a-t-il à court terme un risque de manque d’eau et donc d’électricité ? Le débat fait rage et chaque camp trouve les chiffres qui l’arrangent.  

Note à nous-mêmes : petit 1, étudier l’éternellement complexe question du nucléaire en ayant le plus possible une approche globale et petit 2, mettre en application la seule règle qui soit inattaquable : la sobriété. 

Chiche : on te conseille des super conseils

Arrêtons avec les chiffres et passons au plan d’action, avec des références cinématographiques qui vont à chaque fois vous ravir. 

  • Ne fuyez pas, pauvre fous ! Les fuites d’eau peuvent vite gaspiller une quantité d’eau folle. Au niveau du robinet (jusqu’à 120 L par jour de perdus) et de la chasse d’eau : là c’est pire, on atteint 600 L par jour ! Pour repérer une fuite, c’est simple comme bonjour : regardez votre compteur d’eau avant de vous coucher. Le lendemain, avant que quiconque ne soit debout, jetez un nouveau coup d'œil. Si fuite il y a, les chiffres auront changé.
  • Faites-vous mousser. Cela demande un peu plus de motivation mais sachez que l’installation des mousseurs (sur les robinets et pommeau de douche) permet de réduire le débit de 30 % à 50 %. Bien, non ? 
  • L’urine, c’est affligeant. Les toilettes sèches, ça devient évident en 2023 non ? Pour les citadins, il y a au moins le truc de la bouteille dans le réservoir.
  • Vous emménagez tout juste ? Ne nous décevez pas. Choisissez des équipements économes type robinets thermostatiques, boutons stop-douche, regardez bien l’étiquette des électroménagers  qui donne des infos à la fois sur l’énergie mais aussi l’eau et la nuisance sonore ! UN SEUL site à consulter pour ne pas se rater : le guide Topten
  • Serrez-vous. Lave-linge ou lave-vaisselle, on les remplit à max.
  • Au commencement, il y a le jardin. Aux chanceux qui ont du vert en sortant de chez eux : récupérez l’eau de pluie comme Jamy, installez un un goutte à goutte (si c’est avec une alimentation solaire c’est le graal), binez la terre autour de vos plantes pour en augmenter la perméabilité et enfin n’oubliez pas de pailler et d’arroser tôt le matin pour éviter que l’eau ne s’évapore trop vite. On pourrait au passage écrire tout un article sur la permaculture et l’économie d’eau que cela permet… 

L’empreinte eau, le truc à connaître

C’est ton indicateur de ton usage de l’eau. Qu’il soit direct ou indirect, visible ou invisible. Ce truc mis au point par un certain professeur Arjen Y. Hoekstra de l’UNESCO date quand même de 2002. Pas si récent finalement. Quand on calcule l’empreinte eau d’un produit (que ce soit un bien comme ton t-shirt ou un service comme ton utilisation de Netflix ce soir), on prend le volume total d’eau douce utilisé pour produire le produit et ce dans TOUTES les phases de son cycle de vie. 

Cette empreinte eau, peut être la tienne, petit consommateur (c’est l’empreinte eau de consommation) ou celle de Auchan, Zara ou autre producteur qu’on adore (dit “empreinte eau de production”). Pour la calculer, regardez ici, c’est facile et rapide ! À noter la critique principale qui a été faite à l’actuelle empreinte eau : cet indicateur est seulement quantitatif et ne prend pas en compte le type d’eau prélevée, la situation de stress hydrique ou non des pays en jeu, etc. Plus d’infos sur ce sujet avec ce passionnant article de Reporterre.

Deux derniers chiffres et après je file réfléchir au sens de ma vie aquatique : 

  • En France cette empreinte eau est de 1 875 mètres cubes par personne et par an. Bien à vous. 
  • 2 483 m3 aux Etats-Unis. Une jolie piscine olympique pour nos copains américains. Bien à eux. 

Enfin, y a-t-il, comme l’empreinte carbone et ses 2 tonnes CO2e par un et par habitant, un chiffre idéal qui puisse rendre notre modèle pérenne ? On a posé la question à l’hydrologue Emma Haziza et la réponse est non. Du moins, le chiffre dépend du lieu où habite l’individu et cela varie “à 10 kilomètres près”. 

On a beaucoup, beaucoup de boulot. La bonne nouvelle c’est qu’en sachant tout ça on peut viser les secteurs où ça fait mal et commencer à redresser la barre. Jetons-nous à … 

Sources


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