Pour mieux orienter ses actions, makesense a défini il y a quelques mois sa boussole. Cinq axes à prendre en compte pour permettre à chacun et chacune de tenir le cap d’une société désirable, durable et inclusive. Parmi ces 5 points cardinaux : nourrir et cultiver des imaginaires désirables. Ouvrez grands les yeux, aujourd’hui on rêve.
Nous sommes en 2023, il fait chaud, trop chaud. Selon les jours et les régions du globe on assiste au spectacle d’un monde qui brûle ou d’un monde qui coule. Dans nos dîners, on ne parle plus que de la pluie et du beau temps. Sujet hier futile par excellence, il pèse aujourd’hui une tonne. Et puis il y a cette biodiversité qui s’épuise - ils sont passés où les oiseaux - ? mais aussi, dans un désordre chaotique, une guerre aux portes de l’Europe, la montée des extrêmes, le Soudan qui se soulève, la Syrie qui n’en finit plus de déplacer ses habitants… Nous sommes en 2023 avec l’amère impression que le monde se dérobe sous nos pieds, que le mur se rapproche à grande vitesse et qu’on est peu de chose dans tout ça.
Prenons le sujet sous un autre angle. Au lieu de fixer avec effroi ce mur aux briques funestes, essayons d’entrevoir ce qu’il pourrait y avoir derrière. Il ressemble à quoi le monde que l’on souhaite ? Ce sera comment quand on sera grand ? “Il ne s’agit plus de commenter ou de comprendre le réel : il s’agit de produire du réel, rappelle l’astrophysicien Aurélien Barrau. Ce qui tue aujourd’hui et avant tout, c’est notre manque d’imagination. »
Le Conseil National de la Résistance à la Libération, sous la présidence de Georges Bidault
Ne plus rêver tue ?
Nous sommes en 2023, il fait chaud, trop chaud. Nous sommes asphyxiés par le présent et effrayés par le futur. « Le temps semble être compté pour la jeunesse, comme il le serait à un vieillard, » déplore Patrick Scheyder, pianiste et fondateur du mouvement de l’écologie culturelle. « On répète qu’il reste dix ans pour sauver le monde, soit un espoir de vie limité. Qui n’aurait pas peur ? La nécessité d’une promesse écologique positive est un enjeu culturel et psychologique essentiel. » En d’autres termes, il nous faut un nouveau récit fait d’espoir, de désir et de lendemains qui chantent.
Pour l’heure, celles et ceux qui nous projettent dans l’avenir ne sont pas nombreux et leurs oracles ont bien du mal à embarquer. Il y a les nécessaires projections des experts du GIEC pour qui l’avenir se compte en dixième de degrés, les techno solutionnistes selon lesquels un problème = une solution technologique (coucou les aspirateurs à CO2), les 4 scénarios de l’Ademe pour conduire la France vers la neutralité carbone. Quand les écrivains nous servent des dystopies à la pelle, les politiques préfèrent les programmes opportunistes aux projets de société. Résultat : on est en 2023 et on n’a pas de plan. Et sans plan, difficile d’aller de l’avant.
Il y a près de 80 ans, en pleine deuxième guerre mondiale, le Conseil national de la résistance en avait un : « Les jours heureux ». Ambitieux, superbe, 630 mots d’espoir pour inventer le futur. Un programme politique progressiste avec, au centre, le désir de construire une société plus juste et plus égalitaire et la nécessité de faire primer l’intérêt général sur les intérêts particuliers. Ces idées nouvelles ont, pour la plupart, été réalisées. C’était en 1944. Depuis, le monde a changé. Il nous faut inventer la suite. Par où commencer ?
Par delà les sentiers battus
La théoricienne et chercheuse transdisciplinaire Pascale de Gail Athis nous ouvre la voie : « la première chose à faire n’est pas de trouver des solutions mais de se déconnecter du problème.» Le récit dominant de la société de consommation doit être renouvelé ? Ne changeons pas quelques chapitres, partons sur de nouvelles bases, sur une toute autre histoire.
« Il faut sortir du paradigme que l’on est en train de critiquer, précise Valérie Zoydo, autrice-réalisatrice à l’origine de l’Assemblée citoyenne des imaginaires, au risque sinon de continuer à le faire exister dans nos pensées. Parler de décroissance par exemple, c'est toujours faire référence à la croissance. On doit imaginer d’autres choses, employer d’autres mots. »
Réinitialiser sa pensée, la belle affaire ! L’exercice est complexe car, qu’on le veuille ou non, nos esprits sont assez formatés. Cela nous demande d’aller chercher ailleurs de l’inspiration. Il est judicieux d’aller fouiller dans le passé comme le recommande Patrick Scheyder. « Le futur - comme les mythes - ne peut s’édifier qu’en réconciliant les trois temps (présent, passé, futur) dans une conscience plus forte du rôle respectif de chacun. Toute nouveauté naît d’un cocktail des temps, de leur mixité.» Et d’ajouter : « Il n'y a pas de Nouveau récit qui marche, sans s'appuyer sur un "ancien récit" qui le valide. »
Penser autrement, c’est s’ouvrir à des personnes qui voient le monde différemment, de donner la parole à celles et ceux qui n’ont ni le même âge, ni la même origine, ni la même culture, ni la même vie que nous. Recrutons-les, consultons-les, interrogeons-les. Partout, à tous les étages de la société, bannissons l’entre-soi, faisons vivre la diversité. Donnons également la parole aux enfants, aux artistes, aux personnes autistes, neuro atypiques, découvrons leurs visions du monde. « Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière », disait le scénariste Michel Audiard. Il est temps de regarder le monde par ses interstices.
Utopies réalistes
Une autre piste pour faire advenir de nouveaux imaginaires est de semer des graines d’utopie ici et là, dans les médias, les films, les romans, dans la vie tout court. D’en diffuser partout, tout le temps, jusqu’à ce qu’elles deviennent réalité. On rêve d’une société plus inclusive ? Offrons des premiers rôles à des personnes âgées, racisées, handicapées, mettons en avant les initiatives cachées qui font vivre l’inclusivité, donnons à voir la marginalité… « Être utopiste ne vous invite pas à fuir la réalité, rappelle Sandrine Roudaut, perspectiviste et conférencière. Cela vous invite à la regarder en face avec ce qu’elle a d’intolérable, d’absurde, à regarder la réalité telle qu’elle pourrait être pour la changer. Dans l’utopie on parle de la réalité qui pourrait être. L’utopie, cela ne veut pas dire irréalisable mais l'irréalisé. »
« Il est temps de prendre nos rêves au sérieux pour en faire une stratégie, » résume le philosophe Patrick Viveret. Il est temps également de ré-apprendre à rêver, une pratique qui ne doit pas être l’apanage des seuls enfants et des poètes. 5 rêves et désirs par jour, voilà ce qu’on pourrait se prescrire collectivement. L’ordonnance pourrait s’accompagner de séances d’entraînement et de pratique. « Notre créativité devrait être vigoureuse en bien entraînée, elle est à l’inverse flasque et molle, » déplore l’activiste anglais Rob Hopkins à l’origine du mouvement des Villes en transition. « L’utopie est un muscle que nous devons entraîner, » ajoute l’auteur-conférencier Julien Vidal, fondateur des voyages en 2030 glorieuses. Ensemble, musclons notre imagination.
Il y a mille façons de stimuler les parties de son cerveau qui penchent du côté de la rêverie, de l’imagination et de la créativité. Mais les artistes sont sans doute les mieux placés pour le tonifier. Musique, théâtre, danse, poésie, littérature, osons tous les arts ! Invitons-les là où on ne les attend pas. Au début du XXe siècle, les surréalistes conviaient à se libérer du contrôle de la raison et des normes pour se laisser surprendre par l’inattendu. Laissons-nous désorienter par des nouveaux codes, des nouvelles pratiques. Remplaçons les powerpoint par des discours, des podcasts, des chansons. Travaillons dans les bois, à la mer, en marchant. Troquons le “Oui mais” par le “Oui et” cher à Rob Hopkins pour faire advenir de nouvelles idées, réhabilitons le “Et si…” qui peut tout rendre possible. Enfin, oublions les cadres, les normes, les carcans pour faire advenir ce qu’on n’attendait pas.
« Avec le rêve, les imaginaires, tout est possible, conclut Valérie Zoydo. On peut se déconnecter des contraintes du réel, d’invoquer l’infini champ des possibles et envisager des choses qu’on n’aurait même pas envisagées. »
Nous sommes en 2023, il fait chaud, très chaud. La fin du monde n’est pas pour demain.
Nourrir et cultiver des imaginaires désirables, résumé à lire les cheveux au vent
- Se déconnecter du problème pour faire émerger des idées en dehors de la boîte
- Se nourrir d’autres cultures, regarder le monde avec de nouvelles lunettes
- Associer présent et passé pour imaginer un futur désirable
- Donner à voir d’autres modèles, montrer que si c’est possible ici, ça peut aussi l’être aussi là-bas
- Muscler notre capacité à imaginer, inviter l’art, la magie et la poésie partout dans nos vies.