1336 est une marque de thés et tisanes engagés, derrière laquelle se cache une sacrée histoire! Et pour cause, 1336 c’est aussi le nombre de jours où les 58 coopérateurs se sont battus face à leur employeur pour sauver l’ancienne usine Thé de l'Eléphant, leur patrimoine et leurs emplois à Gémenos (Bouches-du-Rhône).
Fort de cette lutte, le collectif se structure en 2014 et devient SCOP-TI pour Société Coopérative Ouvrière Provençale de Thé et Infusions ! Violette et moi avons été à la rencontre de ce collectif d’hommes et de femmes fédérés autour d’un rêve commun : montrer qu’un autre choix de société est possible !
Le principe coopératif : une personne, une voix
Chez Scop-ti, beaucoup de symboles pour incarner ces idéaux. Commençons par la raison sociale. Le collectif a fait le choix de se structurer en Société Coopérative de Production (SCOP) dans le but d'éliminer le profit capitaliste par la mise en commun de moyens de production. Ici le capital et le pouvoir de décision sont majoritairement détenus par les salariés. Dans ce type de société, pas de distribution de bénéfices. De la même façon, si un coopérateur souhaite quitter la Scop, il sera remboursé du capital investi à son entrée dans la scop et ce sans plus value ! Être une scop signifie assurer la pérennité de la structure générations après générations !
Continuons avec la gouvernance : ici chaque voix compte. Pour assurer l’organisation, le collectif aime se présenter sous forme de cercle :
Avec l'assemblée des coopérateurs en tant que cercle extérieur au sein duquel on retrouve les différents services et le comité de pilotage (DG, responsable achat et président). Le processus de prise de décisions est clair : le comité de pilotage (élu pour quatre ans par l’ensemble des salariés) se réunit pour échanger sur les enjeux stratégiques, en informe le conseil d’administration puis diffuse l’information à l'ensemble des coopérateurs. Les coopérateurs ont alors 24h pour objecter la décision. La particularité de l’organe de pilotage est le dénominateur commun des membres décisionnaires : l'expérience commune et la participation du président et de l'ensemble des membres du conseil d'administration à la lutte !
Dans les faits, comme dans beaucoup de collectifs, le niveaux d’engagement et d’implications aux décisions sont néanmoins inégaux au quotidien. Olivier Leberquier nous confie qu’ “Il y a des copains qui viennent travailler à SCOPTI comme ils venaient à Fralib (NDLR : ancienne structure rattachée à Unilever). On a des soutiens de bénévoles qui sont beaucoup plus actifs et réceptifs que certains salariés. On donne a tous la possibilité de participer et de décider, on ne peut pas leur imposer.”
S’adapter à la non hiérarchie
Qui dit organigramme en cercle dit non hiérarchie. Mais comment s’organiser et trouver sa place pour maintenir l’activité de façon pérenne et sereine ? Pas de patron, pas de pression de la hiérarchie mais autonomie et responsabilité sont les maîtres mots. Chez Scopti, chacun met la main à la patte. Et ce au-delà de l’activité de production. Les postes et les rôles se sont redistribués et le collectif a dû s’adapter. Certains ont gardé leur expertise et savoir d’avant lutte, d’autres se sont formé.e.s pour monter en compétences et pallier aux pertes de savoirs enregistrés au niveau des différents secteurs d’activité de l’entreprise à l’issue du conflit. Rim, par exemple, arrivée en tant qu'intérimaire sur la chaîne de production, accompagne aujourd’hui le groupe à la comptabilité. Une pelouse à tondre? C’est un coopérateur qui s’en charge… Ici il faut être polyvalent.e et volontaire. C’est aussi ça une coopérative !
Le collectif a aussi dû s’adapter lorsqu’il s’agit d’échanges avec des partenaires traditionnels tel que la grande distribution. Il faut jouer avec les règles du jeu et se présenter sous un modèle plus traditionnel, modèle pyramidal pour simplifier les échanges : “Il faut jongler entre nos valeurs et le système économique.” nous partage Olivier.
Responsabilité collective et sentiment d’appartenance
Plus de trois ans à occuper une usine, à manifester, à militer pour ses droits, ça rapproche !
Être soutenu par les camarades militants voisins, les habitants, les familles et des politiques, ça galvanise ! Cette lutte a commencé au pied des machines, s’est finie à l’Elysée ! Cette raison d’être commune, les liens forts créés, la détermination des membres et l’intelligence collective dont ont fait preuve les coopérateurs durant toute la lutte pérennisent cette dynamique aujourd’hui ! Ils ont vu de quoi ils étaient capables ! Partager une victoire est fédérateur mais aussi très responsabilisant. Les coopérateurs tiennent à leur patrimoine, leurs emplois et se savent responsables au quotidien de leur avenir. “On s’est tous pris la tête, eu des coups de gueule mais on sait qu’on doit travailler ensemble” nous confiait un coopérateur.
L’implication des membres dans ce projet collectif est ce qui a séduit Anne, première salariée de la Scop. Ici la communication est un ingrédient indispensable au quotidien. Pas de chef mais des membres décisionnaires qui sont impliqués et soutiennent le collectif favorisant alors une ambiance de travail agréable.
Cette lutte a rayonné au-delà des murs de l’usine.“C’est un exemple pour le monde du travail, on a suscité beaucoup d'espoirs" ajoute Gérard Cazorla. Beaucoup de partenaires ont été impliqués et accompagnent Scop-ti dans son évolution. De nombreux bénévoles, des voisins “camarades” syndiqués, des habitants, des membres de famille des ex-salariés ont apporté leur soutien lors de l’occupation et la lutte. Ces membres actifs ont aujourd’hui rejoint l’association Fraliberthé dont le rôle est de soutenir les actions de la scop (aides de manutentions ponctuelles), valoriser son engagement (participation à des salons, interview…) mais également proposer des moments de rencontres et fédérer la communauté constituée autour de l’histoire singulière de SCOP-TI. Et devinez le montant de l’adhésion? 13,36€ évidemment !
SCOPTI en chiffres
- 1336 : nombre de jours de lutte
- 3 : nombre de plans sociaux pendant la lutte
- 58 : nombres de coopérateurs dont 36 salariés
- 2014 : création de la coopérative
- 2021 : 1e salariée embauchée par le collectif
- 3000€ : ticket d’entrée pour devenir coopérateur
Notre point de vue
Chez Scopti, il est intéressant de voir les connexions et rituels créés pendant la lutte comme le ciment fédérateur fort du collectif. Pourquoi ne pas se demander en quoi le nombre de sachets de thé produits et les commandes signées ne seraient pas le résultat matériel de la bonne santé du collectif ? Enfin, ce qui m’a marqué au sein de Scop-ti est la conscience des ambassadeurs du groupe à maintenir au quotidien une dynamique collective et des liens sains.
Les initiatives similaires
Luttes ouvrières
La belle aude : Depuis 2013, il existe à Carcassonne une expérience singulière de l’économie sociale et solidaire : La Fabrique du Sud. Née du fracas d’une casse industrielle, la fermeture des usines PILPA en 2011, la Société Coopérative et Participative produit et commercialise des crèmes glacées et des sorbets plein fruit sous la marque La Belle Aude.
Biscuiterie Jeanette : biscuiterie Normande depuis 1850 sauvée en 2015 grâce à la lutte et l’occupation des locaux par les salariés, la solidarité de généreux donateurs, le soutien de banques et nombreuses entreprises permettant d’avoir un budget suffisant pour obtenir un atelier de fabrication et acheter les machines nécessaires à la reprise d’activité. Aujourd’hui c’est une tonne de madeleines qui est produite par jour dans leur atelier.
Horlogerie LIP : En 1973, les ouvriers de l'entreprise horlogère Lip créée en 1867 à Besançon occupent leur usine menacée de déposer son bilan et poursuivent son exploitation. Malgré l'intervention de la police puis la nomination d'un médiateur, les "Lip" continuent leur lutte. Séquestration de l'un des administrateurs, grève, occupation de l'usine du quartier de Palente : les employés sont prêts à tout. Mais s'ils sont restés dans l'histoire, ce n'est pas tant pour la durée de leur combat (plus de trois ans) que pour leur mode d'action aussi inédit qu'audacieux, souvent résumé ainsi : l'autogestion.
Biscuiteries Poult, entreprise fondée en 1883 à Montauban, connaît dans son histoire de beaux succès, des rachats tout en maintenant l’esprit familial. Dès 2006, c’est une méthode inédite de management que mettent en place la direction et les salariés. Les nouvelles valeurs fondamentales de l’entreprise sont désormais affichées partout : respect, progresser ensemble, tous gagnants, convivialité… Et ça marche. En 2013, le chiffre d’affaires s’établissait à 190 millions d’euros pour un excédent brut d’exploitation de 24,3 millions d’euros avec 400 employés. Mais depuis 2016, cette organisation est mise à mal par de nouveaux actionnaires et le collectif vit des heures de luttes pour défendre son patrimoine.
Entreprises libérées
FAVI : pour Fonderie et Ateliers du Vimeu est une entreprise familiale qui se situe à Hallencourt (Hauts-de-France) créée par Jean-François Zobrist, qui est devenue entreprise "libérée" dès 1983. Favi a supprimé la hiérarchie et applique la philosophie du « management par la confiance ». ... Chez Favi, les opérateurs travaillent pour leurs clients et non pour leurs supérieurs.
Chronoflex : société créée en 1995 par Alexandre Gérard. Son activité historique est la vente et le dépannage de flexibles hydrauliques. Aujourd’hui plusieurs entreprises constituent le groupe, notamment une société dont l’objet est d’accompagner celles qui souhaiteraient également transformer leur système de management. Chronoflex, elle, a sauté le pas en 2012. Cette "libération" a suivi une période de remise en question après la crise de 2009 et les nombreux licenciements au sein de la structure.
Patagonia : Créée en 1972 par Yvon Chouinard, PATAGONIA est une marque d’outdoor reconnue internationalement pour ses produits innovants et de qualité. Depuis sa création l’entreprise a su conserver son engagement militant historique en faveur de l’environnement. Le fondateur pour préparer sa succession et transmettre son entreprise à ses deux enfants, voulait inscrire les valeurs de l’entreprise sur le long terme. En janvier 2012, PATAGONIA a été la première entreprise à s’être enregistrée sous le statut américain Benefit Corporation.
mais aussi : Gore, Buurtzorg, SoundsTrue, Semco, Sea Smoke Cellars…
Coopératives
Les licoornes : Huit sociétés coopératives d’intérêt collectif ont décidé d’unir leurs forces. Leur nom : les Licoornes. Leur objectif : toucher plus de citoyens et concurrencer les grands groupes.
Pour aller plus loin
Le livre phénomène qui invite à repenser le management : Reinventing organizations de Frédéric Laloux
Les Entreprises Libérées de Simmat & Bercovici
Le Patron qui ne voulait plus être chef, d’Alexandre Gérard
Mooc gouvernance partagée créé par le mouvement Colibri
des ressources sur l’intelligence collective sur le site de l’Univerisité du Nous
Articles, reportages sur l’aventure Scopti: Fralib : les salariés devenus patrons, 1336, à Gémenos l’aventure humaine et professionnelle des ex-salariés de Fralib , La chaine YouTube Scopti, la pièce de théâtre dédiée 1336 et le site internet de Scopti
Le réseau Scop