Accessibilité, climat : même combat

Accessibilité, climat : même combat

“Pas de retraité·es sur une planète cramée”… ni de justice climatique sans accessibilité ! Et si on parlait handicap, écolo, et convergence des luttes, sans langue de bois (ni paille en carton) ?
19 June 2025
par Camille Perigaud
5 minutes de lecture

Mars 2023. Les manifestations contre la réforme des retraites battent leur plein, au rythme d’un même refrain : “Retraites, climat : même combat. Pas de retraité·es, sur une planète brûlée !”. Histoire de dire, on ne s’épuisera pas pour un système qui met d’ores et déjà à mal les ressources planétaires. Cette revendication est bien connue du mouvement dévalidiste, où des militant·es luttent contre les oppressions systémiques auxquelles font face les personnes en situation de handicap. Mais quels liens existent-ils entre handicaps et écologie ? On vous explique.

Le dévalidisme pour les nul·les

Aujourd’hui, près de 12 millions de personnes sont en situation de handicap en France. Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, il est important de rappeler que 80% des handicaps sont invisibles. Sont concerné·es aussi bien votre voisine de classe du primaire dyslexique, que votre grand-père malentendant, votre sœur qui souffre d’anxiété chronique, votre ami qui a toujours eu des troubles de l’attention, ou cette collègue qui ne supporte pas la lumière des néons car elle est sur le spectre autistique. Comme de nombreuses autres minorités, ils et elles subissent des discriminations et de la violence quotidienne : chômage deux fois supérieur à celui des personnes dites “valides” ; violences conjugales, sexistes et sexuelles plus répandues ; première cause de sollicitation de la Défenseure des droits pour discriminations, etc. La liste est longue. Le dévalidisme, c’est lutter contre cette conception du monde qui considère que certaines personnes ont moins de valeur que d’autres parce que leurs corps ou esprits diffèrent. C’est revendiquer que quelqu’un·e n’est pas moindre car il ou elle vous rappelle que vous parlez trop fort, trop vite ; croit que donner sa langue au chat implique la présence d’un animal ; ou vous fait changer de trottoir car il n’est pas assez large.

À écouter sur le même sujet → Et si votre validisme vous empêchait d’être heureux ? - Podcast Encore Heureux

Le handicap, grand oublié de l’écologie ?

Avec le programme Transition Juste, cela fait trois ans que l’on visibilise d’autres façons de faire l’écologie par et pour les jeunes de classes populaires. Cela vaut aussi pour le handicap. Les personnes en situation de handicap sont parmi les plus impactées par le réchauffement climatique, tout en étant totalement oubliées des politiques pour y faire face. 

Face aux crises d’abord puisque, selon Handicap International, parmi les 200 millions de personnes qui deviendront réfugiées climatiques d’ici à 2050, 30 millions auront des besoins spécifiques ; sans compter qu’une personne handicapée a 4 fois plus de chances de mourir lors d’une catastrophe naturelle qu’une personne valide. La mobilité d’urgence, le suivi médical, la formation des équipes de secours, l’accueil au sein de refuges temporaires, sont autant de champs d’action à repenser et retravailler pour permettre à toutes et tous de vivre au mieux ces turbulences. 

Dans le quotidien aussi, puisque les personnes handicapées sont dans l’ensemble plus vulnérables, mais aussi surexposées aux risques environnementaux notamment parce qu’elles sont plus souvent précaires, racisées et/ou âgées. Plus on est marginalisé·e, plus notre environnement et les risques qui y sont liés peuvent nous rendre handicapé·e. Vivre dans une barre d’immeubles à proximité d’un échangeur routier, c’est risquer de faire face à des problèmes respiratoires. Travailler à l’usine ou multiplier les emplois, c’est pouvoir voir sa vie chamboulée par un accident du travail ou un burn-out devenu maladie chronique. Dépendre de l’ascenseur pour sortir de chez soi, c’est ne plus pouvoir se déplacer lorsque la température avoisine les 40°C et que l’électronique surchauffe.

Dans les mondes militants enfin, où “la plupart des espaces écologistes reproduisent les mêmes logiques d’exclusion que la société” selon l’association Handi Social. Manque d’informations sur l’accessibilité des réunions, des événements et des manifestations ; manque de représentativité aussi, parmi celles et ceux qui portent la lutte écologiste ; et enfin manque d’accessibilité de l’idéal même porté par ces courants. Comment demander de limiter l’usage du plastique à des personnes qui ont besoin de nombreux équipements médicaux, et notamment des pailles en plastique au quotidien ? de prendre le métro à une personne à mobilité réduite alors que seules 45 stations de métro sur 309 sont accessibles à Paris ? de limiter sa consommation d’eau ou d’électricité à quelqu’un·e pour qui un bain chaud est la seule solution pour calmer ses douleurs ?

Refaire écologie (et société) autour de l’accessibilité

La culture crip, c’est-à-dire l’ensemble des mouvements et références culturelles et artistiques créées par et pour les personnes handicapées, est une mine d’or d’idées et de créativité pour repenser une transition juste accessible. 

En 2022 déjà, la galerie Tangled Arts dévoilait une exposition d’art contemporain intitulée “Écologie crip : Des corps toxiques dans un paysage vulnérable” pour mettre en lumière les liens entre écologie et handicaps. En 2024, le collectif Vietnam Dioxide lançait une série de manifestations et d’actions, dont des représentations de la pièce de théâtre “Nos corps empoisonnés”, pour dénoncer l’utilisation de l’agent orange lors de la guerre du Vietnam (qui a laissé plus de 3 millions de personnes handicapées sur 4 générations), et ainsi promouvoir une écologie décoloniale et dévalidiste. 

Le 8 mars dernier, le collectif Les Dévalideuses développait un réseau d’entraide sur Instagram pour porter la voix de celles et ceux qui ne pouvaient pas manifester lors de marches féministes partout en France, grâce aux pancartes “Je porte la voix de …”, et ainsi visibiliser le combat des personnes handicapées mobilisées pour d’autres luttes. 

En parallèle, Mathilde François (@lavieacroquer) réalisait récemment un strip de bande-dessinée sur instagram pour vulgariser le lien entre épuisement des ressources et des humains sur fond de capitalisme. Une excellente porte d’entrée à la convergence des luttes.

Plus généralement, libre à nous d’imaginer un monde plus praticable et résilient pour toutes et tous : des pistes cyclables suffisamment larges pour accueillir fauteuils roulants et vélos sans distinction ; des communautés à l’échelle d’immeubles ou de quartiers pour mieux comprendre les besoins de chacun·e, s’entraider dans les moments de crise, et porter la voix de celles et ceux qui ne se voient pas représenté·es dans les médias, les élections, les décisions ; des formations pour les architectes, les décideur·euses (et pourquoi pas l’ensemble des corps de métier ?) aux handicaps et à l’accessibilité pour créer des infrastructures et politiques adaptées ; des remises en question individuelles comme collectives, pour donner la parole et l’espace d’exister, de partager et de créer aux premier·es concerné·es.

Le handicap, c’est 20% de la population française. Des millions de personnes avec des revendications, des convictions et des envies propres pour leur futur. Alors, il est grand temps de se retrousser les manches. De réfléchir, expérimenter, se tromper, et essayer encore. Toujours avec un objectif : faire apparaître, à la manière d’un jeu à gratter, l’image d’une société que l’on ne connaît pas encore, qui reste à inventer. 

Chiche ?

Pour en savoir plus sur les liens entre écologie et handicap DVP Saison 6 - Episode 7 : Ecologie et handicap, sommes-nous tous·tes des vivant·e·s ? 

Transition juste fête ses 3 ans

Trois ans que des milliers de jeunes issus des milieux populaires revendiquent leur place dans l’écologie via le programme Transition Juste ! Pour célébrer ces succès et mettre les jeunes et les associations à l’honneur, la campagne Juin Debout retrace dans une série d’articles les actions des organisations engagées au sein du mouvement. Chacune de ces organisations a noué une collaboration avec makesense - autour d’un programme, d’une formation, d’un contenu - que nous mettons ici à l’honneur.