C’est le coup classique. Quand des personnes plus aisées débarquent dans un quartier populaire, elles font grimper le foncier jusqu’à ce qu’il devienne inaccessible pour les personnes qui avaient l’habitude d’y habiter. Comment investir sans envahir ? Défricher sans coloniser ? Mode d’emploi.
“La gentrification” : difficile de passer à côté de ce phénomène qui anime pas mal de dîners et qui qui touche autant les villes que les campagnes et peut se résumer comme l’ensemble des phénomènes qui poussent les habitants d'un quartier, d’un village, d’une banlieue, à se déplacer en périphérie suite à l’installation d’une population plus aisée. Ce mot à rallonge, dont le synonyme peut être “embourgeoisement” passe par plusieurs étapes : certaines visibles comme la hausse des loyers, d’autres moins… comme l’installation progressive de nouvelles habitudes de consommation.
Problématique, ce phénomène ? Oui, quand il contribue à favoriser des classes de la population qui ont déjà eu un certain nombre de privilèges (dont celui de pouvoir devenir propriétaire), à renforcer les inégalités (celles et ceux qui ont accès un certain confort de vie, et les autres) ainsi qu’à une forme de ghettoïsation (des favorisé.es comme les défavorisé.es).
Victor Locuratolo, « La gentrification en 3 étapes », février 2014.
Dans un monde plus équitable que les lecteurs et lectrices de ces lignes appellent sûrement de leurs vœux, il est intéressant de mettre de la lumière sur ce phénomène, en attendant des mesures politiques fortes (qui, autant se l’avouer tout de suite, seront sûrement la seule chose qui fera véritablement bouger les lignes). Voici le petit guide du parfait dégentrificateur.
NB : inutile de se flageller trop fort : le processus de gentrification est surtout tributaire des politiques de la ville planifiées sur des dizaines voire des vingtaines d'années à l’avance avec, par exemple, l’ouverture de lignes de métro, de tiers-lieux, etc.
1. Éviter de louer ou acheter au-dessus du prix du marché
On a l’impression qu’on va faire l’affaire du siècle, parce que dans ce quartier, ville, village, le coût de l’immobiliser est très inférieur à notre précédent territoire. On bouge (par exemple) de Paris vers la banlieue, de la ville vers la campagne, … tout en gardant son pouvoir d’achat. Sauf qu’accepter ce type de loyers c’est donner le signal que c’est OK de louer à ce type de prix et donc de ne rendre accessible le logement qu’à un certain type de population. Vous allez dire : oui, mais la loi de l’offre et de la demande, la main invisible du marché… Certes, mais les dés sont pipés dès le départ, alors à vous de voir si vous avez envie de les rééquilibrer ne serait-ce qu’un peu.
2. ...ou faire des investissements locatifs (et louer au dessus des prix locaux)
On le voit, on le sait : les investissements locatifs qui pullulent sur Airbnb tuent la vie de quartier en remplaçant de potentiels habitants qui vivent, travaillent, contribuent à la vie locale par des touristes qui consomment, certes, mais ne favorisent pas une vie locale riche. D’ailleurs de nombreuses villes d’Europe régulent ces pratiques, comme par exemple à Berlin où la mairie a décidé d’encadrer les locations touristiques (même si entre temps la loi a été adoucie).
3. Vivre et travailler là où on on habite
Jean-Laurent Cassely, sociologue spécialiste de la nouvelle société de consommation, parle bien de ce phénomène : il existe une tension dans les campagnes ou les petites villes entre “les Somewhere”, celles et ceux qui s’installent à un endroit, y vivent, y travaillent, et les “Nowhere”, qui s'installent partiellement, qui continuent à travailler loin du domicile, en télétravail ou en faisant des allers retours dans les grandes villes par exemple. Cette tension est d’abord économique, le pouvoir d’achat des Nowhere étant généralement supérieur à celui des Somewhere, quand bien même ils ont généralement moins de temps disponible pour s’impliquer dans des dynamiques d’entraides à l’échelle locale.
4. Créer des projets de commerces qui s’adressent à tous les types de populations
Souvent, la hausse des loyers s’accompagne de l’ouverture de commerces issus de la reconversion d’une certaine classe sociale (les fameux diplômés de grandes écoles qui veulent se réorienter vers des métiers manuels, devenir cuisiniers ou céramistes, également décrits par Jean-Laurent Cassely dans son livre “La révolte des premiers de la classe”). On a tous en tête cette petite boulangerie artisanale qui propose des pains, certes, faits avec beaucoup d’amour, mais plus chers. L'augmentation de ce type de commerce rend plus “attractif” le quartier pour un certain type de population, mais finit par baisser le pouvoir d’achat des locaux installés de longue date. Et surtout, dans bien des cas, cela crée des lieux dédiés aux nouveaux arrivants où personne ne se mélange vraiment.
Comment éviter ça si on a envie de lancer un commerce ou des services dans un quartier en voie de gentrification ? En proposant une gamme de prix accessible, en essayant d’encourager les commerces déjà existants, et en ayant une vraie volonté d’inclusivité de tous les publics.
5. Adopter des modes de consommation locale
Le revers de la médaille du point 4. Emménager dans un quartier en cours de gentrification, c’est souvent consommer dans des commerces “cools”, aka qui proposent des biens et services correspondant aux goûts d’une certaine classe, remplaçant peu à peu les anciens modes de consommation.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne - En photo, une manifestation contre la hausse des loyers, le 24 avril 2021, à Montréal.
6. Se mobiliser pour éviter les projets d’expulsion de lieux alternatifs
Certains lieux alternatifs, squats, centres sociaux, sont souvent évincés une fois la première vague de gentrification passée, en proie aux spéculateurs immobiliers. Lutter pour ces lieux qui permettent aux populations de se mélanger et d'œuvrer ensemble, reste un levier d’action important.
7. Réguler l’achat de maisons secondaires
C’est le cas par exemple en Bretagne, où plus d’une maison sur deux est une maison secondaire, créant des villages fantômes l’hiver et saturant le marché immobilier, empêchant l’installation de jeunes qui ont pourtant la volonté de s’impliquer dans la vie locale.
8. Encadrer les loyers
On en revient donc au nerf de la guerre : des mesures étatiques ou municipales qui encadreraient les loyers et réguleraient la fameuse loi du marché qui ne fait que renforcer les inégalités d’accès à la propriété.