5 manières de danser pour résister

5 manières de danser pour résister

Et si danser pour résister était la meilleure façon de militer en 2023 ? Mode d’emploi en 5 entrechats.
11 July 2023
par Aurore Le Bihan
5 minutes de lecture

“Si je ne peux pas danser, je ne prendrai pas part à votre révolution”, rappelait l’activiste russe Emma Goldman il y a déjà plus de 100 ans. Et si danser pour résister était la meilleure façon de militer en 2023 ? Mode d’emploi en 5 entrechats.

Lors des manifestations contre la réforme des retraites au printemps dernier, une membre de l’association Alternatiba n’a pas laissé le cortège indifférent : Mcdansepourleclimat aka Mathilde Caillard toute de noire vêtue et lunettes de soleil ambiançait la foule derrière un char techno en scandant un remix techno aux paroles évocatrices “Taxer les riches !”

Critiquée à la fois par les personnes de son camp et ses détracteurs, elle a pourtant remporté un fort succès et sa vidéo est devenue virale en quelques jours réveillant un vieux débat, est-ce que lutter et danser sont deux activités incompatibles ? L’une serait “sérieuse”, l’autre de l’ordre du “divertissement”.  Sa réponse ? : “La danse est un vaisseau idéal pour exprimer cette joie militante fédératrice. La danse est un moment où l’on se redonne de la force, où l’on fait corps ensemble.”

Ça n’est pas un phénomène nouveau : la danse a toujours rimé avec résistance. En témoigne cette vidéo de l’Ina retraçant l’histoire de la danse au sein des luttes sociales en France. 

Et les Français n’ont rien inventé : cela fait un moment que les minorités, à travers les luttes féministes, antiracistes se sont emparées de ce médium artistique comme outil de revendication, de lâcher-prise, et de réappropriation des corps et de l’espace public. 

Bref, la danse, la joie, sont de puissants leviers d’action pour faire passer des messages, nourrir les luttes et se régénérer. Petit tour d’horizon des danses qui riment avec résistance. 

Toutes les danses de résistance 

De fait, beaucoup de danses sont nées dans des endroits de revendications : le waacking, une danse de club née dans les années 70 à Los Angeles a été créé par des minorités queers africo-latino. Le voguing, danse de “ball” qui pastiche les défilés de mode et les magazines de luxe, est né à New-York dans les années 80 au sein des communautés transgenres africo-latino-américaines (voir l’excellent documentaire “Paris is burning”). Le Krump, alternative à la danse hip hop habituelle, lui, est né dans les quartiers défavorisés de Los Angeles. Sans oublier la Capoeira imaginée dans les quartiers pauvres Brésiliens… Bref, sans partir sur un cours d’histoire, ces danses éclosent souvent de l’envie d’exprimer par le corps les oppressions et les discriminations dont sont victimes des minorités. 

Dans un autre mouvement, des versions “queers” de danses réputées comme “normées” émergent aussi : c’est le cas par exemple du queer tango, du queer bachata ou encore de la queer salsa qui cassent les codes binaires “homme-femme” et réinventent des manières de danser plus fluides. 

Ce collectif a été créé en 2021 par cinq amis danseurs et danseuses pour la création d’une pièce chorégraphique : Écume. Ses membres, tous jeunes, mêlent art et militantisme, poésie et politique en faisant des lieux publics leur terrain de jeu. Ils y jouent leurs chorégraphies et formes artistiques au format hybride. Pour lutter contre le gigantesque projet mortifère de Total en Ouganda, EACOP, des danseurs et danseuses en rouge et noirs ont délivré une chorégraphie puissante. Un mode d’action répété à l’occasion de la lutte contre Deep Sea Mining à Lisbonne, ou place de la République pour la Marche pour le Futur, etc. 

Récemment, le collectif a réalisé un performance Magma à Paris au sein de l’Académie du Climat. Après avoir réalisé un teaser vidéo où on les voit danser dans une forêt, l’équipe a organisé une marche dansée et costumée entrecoupée de chants, de concerts et de banderoles ”On ne tait pas un peuple qui danse”, et de danse qui a marqué les esprits. Un groupe de danseurs et danseuses maquillés et vêtus de bleu offraient un incroyable spectacle tandis que des chars diffusaient de la musique pour que chacun puisse s’y donner à cœur joie. 

Mélanger jeu de rôle, danse, et résistance lors d’un atelier de deux heures ? C’est le pari réussi de Corps et graphies qui projette ses participants en 2030, dans un monde rétro-futuriste pas si lointain, aka 2028, où Marine Le Pen aurait pris le pouvoir. Comment résister et danser dans un monde qui limite la liberté de mouvements et des corps ? Les participants sont embarqués dans une histoire dont ils sont les héros et où chaque choix peut les mener vers plus d’oppression ou plus de liberté… L’occasion de réviser l’histoire des luttes et des danses, tout en s’amusant et en apprenant les basiques du queer tango, du krump ou encore du voguing.  

À Arles en août 2022, 150 “artivistes” accouchaient après une semaine de résidence d’une première performance dansée alertant sur les dangers du réchauffement climatique en août 2022. Un mélange de danse, de théâtre de rue qui avait marqué les esprits. Depuis, ce collectif s’empare de sujets comme la fast fashion avec une performance la veille du Black Friday en novembre 2022 dans le Centre Commercial des Halles avec plus de 1 500 kilos de vêtements, ou encore pour alerter sur les dérives de l’organisation de la coupe du monde au Qatar sur la place de la République à Paris à grand renfort de peintures rouges. 

La Booty Therapy comme son nom l’indique revendique une libération des émotions et du corps par… le mouvement des fesses. Mélange de twerk, un dérivé du mapouka ivoirien, danse traditionnelle de transe dans laquelle on célèbre la déesse de la fertilité et de danses africaines. Des performances dans l’espace public permettent aux femmes de se réapproprier leur corps, de s'émanciper du regard des autres et de booster leur estime d’elles-mêmes. Si cette danse se veut “thérapie”, des  démonstrations dans les espaces publics permettent aussi de lutter pour la représentativité des corps. 

La marche des fiertés (et les soirées queers en général)

La marche des fiertés est née suite aux émeutes de Stonewall à New York en 1969, quand la police a fait une descente dans un bar gay. Pour se rebeller contre cette injustice, un mouvement spontané et festif né dans les rues. Chaque année, en juin, partout en France et dans le monde, fleurissent des défilés aux couleurs arc-en-ciel. L’occasion pour les LGBTQIA+ de marcher dans les rues, de danser, faire la fête pour se visibiliser dans un espace où ils et elles sont régulièrement discriminés. 

Résumé en trois pas de danse

La danse a toujours été un outil puissant de résistance et de revendication, notamment pour les minorités. Elle permet d'exprimer des oppressions et de revendiquer des droits tout en utilisant le corps et l'espace public.

Parmi les danses de résistance…

  • Waacking : Né dans les clubs de Los Angeles dans les années 70, ce style a été créé par des minorités queers africo-latino.
  • Voguing : Danse parodique des défilés de mode, née dans les années 80 à New York au sein des communautés transgenres africo-latino-américaines.
  • Krump : Une alternative au hip-hop traditionnel, développée dans les quartiers défavorisés de Los Angeles.
  • Capoeira : Art martial brésilien qui combine danse et lutte, né dans les quartiers pauvres du Brésil.
  • Booty Therapy : Cette danse, mélange de twerk et de danses africaines, revendique la libération des corps et des émotions, permettant aux femmes de se réapproprier leur corps dans l'espace public et de lutter pour leur représentativité.