Face au climatoscepticisme ordinaire et aux barbecues d’hiver, on a choisi les livres. Voici une sélection de romans graphiques pour comprendre, ressentir et, peut-être, faire changer d’avis les plus sceptiques. Cher Tonton Roger, c’est cadeau !
Alors qu’on était tous inquiets de voir qu’en novembre, on pouvait encore sortir en t-shirt sans manches, tonton Roger, lui, ne voit pas le problème. À celui qui lui parle du réchauffement climatique, il répond d’un ton agressif et peu ouvert au débat que “c’est juste un cycle naturel”, et qu’il se rappelle très bien “des années 70 à boire des bières avec ses potes sans manteau”. Et puis, dans tous les cas, lui, l’hiver sous 25°c, il trouve ça “ Bien pratique pour commencer la nouvelle année par un barbecue.”
Bref, je ne suis pas médecin, mais le diagnostic me semble quand même sans appel : oncle Roger est climatosceptique. Un stade bien avancé. Il ne me reste qu’une solution pour tenter de le raisonner un peu : les livres. Des ouvrages qui racontent la crise climatique par le prisme de paysages et de vies bouleversées.
Les répercussions d’un climat qui se dérègle sur la planète
Pour commencer à ouvrir les yeux de tonton Roger, commençons par lui parler de ce que le dérèglement climatique induit dans nos paysages, à travers le monde entier.
Dans Inlandsis Inlandsis, Benjamin Adam parle d’un monde où la glace, gardienne millénaire du vivant, fond à vue d'œil. Sur cet iceberg, métaphore de la mémoire du monde, qui se délite jour après jour, deux personnages se retrouvent enfermés dans un huis clos aussi absurde que révélateur. Leur isolement devient l’écho du dérèglement climatique : tout se fissure, tout glisse, tout menace de disparaître. Sans discours appuyé, le livre invite à regarder autrement la fragilité des paysages polaires et ce qu’ils disent de nous. Ils nous rappellent que la fonte n’est pas seulement un phénomène physique, mais un avertissement silencieux adressé à l’humanité. Le tout, avec un style graphique et une palette de couleurs d’une rare poésie.
À l’opposé de la glace, il y a le feu : et c’est justement dans un monde qui brûle que nous entraîne Cécile Guillard dans son œuvre Refuge. Alors qu’un mégafeu ravage la ville de Léo & Juliette, ces deux inconnus fuient en pleine nature, pour tenter de survivre et de se reconstruire au même rythme qu’une nature qui souffre. Chaque page et représentation de ce paysage menacé sont un rappel de ce que l’on doit préserver et protéger. Assez abstrait, Refuge peut aussi être lu comme la critique d’une société malade, dans laquelle tout un chacun vit sa propre apocalypse.
… Un dérèglement qui commence dans nos assiettes
Contrairement à ce que pense tonton Roger, ce soleil brûlant de décembre n’a rien d’un hasard ou d’un coup de chance ! Le problème vient surtout de nous, et de nos activités d’humains égocentrés.
Et tout commence là où nous autres, les Français, sommes réputés : dans nos assiettes.
Puisque tonton Roger ne jure que par son barbecue, jeter un œil au Paradoxe de l’abondance d’Hugo Clément entre deux chipos ne lui ferait pas de mal. Dans cette enquête sur l’industrialisation de l’agriculture, le journaliste nous parle des conséquences sur l’environnement et notre santé. Attention spoiler : ça ne fait pas rêver. S’il ne veut pas que la planète finisse aussi carbonisée que ses merguez, Tonton Roger ferait bien de s’inquiéter. Imaginez deux secondes un monde dans lequel on produit tellement de nourriture, qu’on détruit tous les équilibres qui nous permettent de produire de la nourriture. Ça sonne idiot, hein ? Bah imaginez quand même…
Si Tonton M. Jesaistout réplique “ouin ouin, je fais aussi griller des saumons de temps en temps”, pas de souci, on a aussi un livre pour le contrer ! Avec Loumi, Guillaume Meurice et Loïc Senan nous embarquent dans l’océan terrifiant de la surpêche, au gré d’un documentaire rempli d’humour. Comme nous, la jeune Loumi décide de remettre en question les choix douteux de son oncle Marco, en se demandant ce qu’il peut bien se trouver dans le poisson pané qu’il lui “cuisine”. Une recette à base d’une destruction méthodique de la biodiversité marine, savamment enrobée dans la panure des lobbies de la pêche industrielle. Miam.
… et qui continue dans chaque recoin d’une nature que l’on modifie
La Revue Dessinée, avec son édition spéciale “Le Mal des montagnes” aborde, dans une succession de reportages BD, diverses manières dont l’homme détruit ce lieu pourtant si magique. De la bétonisation par les stations de ski aux conséquences directes du réchauffement climatique sur la faune et la flore, en passant par les dégâts causés par les sports d’hiver : l’ouvrage dresse des constats qui font froid dans le dos. Mais puisque tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, on y trouve aussi des idées d’alternatives pour sauver les massifs. On est d’accord, rêver d’un tonton Roger qui nettoie une montagne de ses déchets, c’est utopique. Mais si la prochaine fois qu’il va au ski, s’envoyer des bières bien trop chères en bas des pistes, il peut au moins être conscient de ce que l’existence de ces stations coûte à la planète, on aura déjà un peu avancé.
Dans Comment les riches ravagent la planète - & Comment les en empêcher - Hervé Kempf et Juan Mendez nous montrent comment les inégalités jouent un rôle principal dans la crise climatique. Écrite comme le prolongement de “Comment les riches ravagent la planète” (2007), cette BD actualise les données. Et la comparaison donne le tournis : en 20 ans, les choses ne se sont pas arrangées. Loin de là.
Alors oui, tonton, personne ne serait contre décrocher le gros lot à la loterie ! Mais si ça venait à t’arriver, avant de dépenser toute ta fortune dans la mise à mort de la planète, ça serait sympa que tu aies lu attentivement ce bouquin. Si tu pouvais même le faire avant d’acheter ton prochain ticket de loterie, ça nous arrangerait tous beaucoup.
En parlant des extras riches… Dans Ressources – Un défi pour l’humanité, Vincent Perriot et Philippe Pihouix interrogent les grandes promesses techno-solutionnistes des milliardaires de la Silicon Valley. Intelligence artificielle, conquête spatiale, énergies renouvelables… Que peut-on croire ? Jusqu'où peut-on compter sur les progrès scientifiques ? Qu’en est-il des ressources matérielles à notre disposition, et de leur impact sur la Terre ?
Le livre montre avec une clarté pédagogique que notre avenir n’est pas seulement une affaire de technologie, mais de limites physiques, de gouvernance collective, et de choix politiques. En clair tonton, c’est pas en t’envoyant faire cuire des saucisses sur Mars qu’on va améliorer la situation. Au contraire.
Pour lui montrer que dans le climat comme dans le patriarcat, on retrouve les mêmes logiques de domination
(-) x (-) ne font pas toujours (+). Au contraire. Dans Environnement toxique, Kate Beaton doit quitter sa Nouvelle-Écosse pour aller travailler au Canada, dans un site d’extraction de pétrole. Dans ces paysages avalés par les cicatrices industrielles, la violence n’est pas seulement environnementale. Avec habilité et l’humour nécessaire, Kate nous raconte ce que signifie travailler au cœur d’un environnement littéralement et symboliquement toxique. Elle fait alors le lien entre la destruction de la planète et la reproduction d’un système de domination où profit, virilité brute et absence totale de considération — pour la nature comme pour les femmes — cohabitent parfaitement. Du sexisme à l’écocide, en restant dans un cauchemar éveillé.
Et si ce bon vieux tonton Roger cumule les torts, sachez qu’on a aussi une sélection de romans féministes ou anti-racisme à lui proposer. Oui Roger, tu risques de recevoir des bouquins pendant quelques bonnes dizaines d’années. Sorry, but not sorry.