Il y a les tantes qui tricotent.
Il y a les taties fun à qui on peut tout dire.
Et puis il y a CETTE tante : celle qui commence ses phrases par « Je ne suis pas raciste mais… » avant d’enchaîner sur une analyse géopolitique inspirée par les émissions de Cnews.
Désolée tata Danièle, mais il va falloir faire quelque chose. Et pour commencer, on va attaquer ce racisme à coup de… BD. Oui, oui, des bandes dessinées, et des romans graphiques.
Pour aider tatie à changer sa manière de concevoir les autres, peut-être que le secret c’est de commencer par changer ses lectures.
Si votre tante trouve également que CNews est “la meilleure chaine TV”, alors voici une sélection d'ouvrages qui racontent l’exil, les guerres, les rencontres, l’humanité,... Bref : le monde, avec toute sa mixité et toute sa richesse.
Crier plus fort que les autres entre la dinde et la bûche permet rarement d’ouvrir les esprits. Un livre, lui, a ce pouvoir.
Pour lui montrer que non, l’exil n’est pas une partie de plaisir, mais une nécessité vitale durant laquelle on risque sa vie
Dans Chez toi, Sandrine Martin raconte son expérience en Grèce, auprès de sages-femmes et médecins prenant en charge les réfugiées enceintes. Elle nous raconte alors les histoires et destins croisés de deux jeunes femmes, abordant ainsi l’enlisement de la société grecque, ainsi que l’énergie et les sacrifices qu’un exil demande.
Un roman graphique qui nous rappelle que si être une femme dans ce monde n’est déjà pas chose simple, être femme dans un pays qui souffre est d’autant plus périlleux.
Parmi les récits d’exil qui marquent le cœur et l’esprit pour longtemps, il y a celui de Nivek, raconté par Antonio Altarriba & Sergio García dans Le Ciel dans la tête. Avec une lucidité crue bouleversante, on traverse l’Afrique vers l’Europe rêvée, au côté de cet enfant soldat arraché à la misère. Un roman violent, lumineux, tragique et plein d’espoir, à l’image de ce que quitter son pays pour tout reconstruire fait vivre.
Parmi les romans graphiques sur l’exil, on trouve aussi l’Odyssée d’Hakim de Fabien Toulmé en trois tomes, Là où vont nos pères de Shaun Tan ou encore Seidou, en quête d’asile de Véronique Vidal.
… Et d’ailleurs, quelques romans pour lui montrer le quotidien dans les pays que fuient les hommes et les femmes aujourd’hui
Si la période d’exil et les traversées dans lesquelles on risque la mort sont une expérience traumatisante pour ceux qui les vivent, ce qui les oblige à le faire n’est jamais plus doux. Au contraire. Si Tata Danièle pense que les exilés viennent en Europe pour lui voler son travail, je vous invite à lui faire découvrir ce que ces personnes fuient, de quoi ils se protègent.
Raconter le quotidien d’une femme en Iran, c’est la mission qu’a portée Marjane Satrapi dans plusieurs de ses romans graphiques. Dans Persepolis d’abord, elle nous raconte son enfance à Téhéran, de ses 8 ans à son départ pour la France à 16 ans. On y découvre l’Iran de la fin des années 70 au milieu des années 1990. Avec Marjane, on traverse les révolutions, les guerres, le deuil, et l’exil, couplé à toutes les premières fois propres à une ado de son âge.
Avec Femmes, Vie, Liberté, l’autrice nous ramène en Iran, en 2022. Le 16 septembre, Mahsa Jina Amini, une jeune Iranienne, est battue à mort par la police du pays pour un voile jugé mal positionné. Après ce drame, les femmes se révoltent, et Masha devient l'icône de ce mouvement. Mais pour pouvoir scander “Femmes, Vie, Liberté”, les femmes prennent des risques mortels chaque jour. Marjane nous fait découvrir cette réalité, la vie d’une femme en Iran, les complexités du pays, l'espoir d’un vivre ensemble, et la répression par le sang de ce soulèvement.
La vie d’une jeune femme en Iran, c’est aussi ce que Mansoureh Kamari nous fait découvrir à travers les yeux de ses souvenirs, dans “Ces lignes qui tracent mon corps”. Un roman aussi bouleversant qu’utile, dont la beauté des illustrations n’a d'égale que la force et la dureté du récit autobiographique. Dérangeant, remuant, fort et important.
Yézidie ! d’Aurélien Ducoudray et Mini Ludvin nous décrit la vie d’un peuple persécuté, pris en étau entre l’histoire, les guerres et les fanatismes religieux : les Yézidis, au nord de l’Irak. À travers le destin tragique de Zéré, une jeune fille arrachée à sa famille lors d’une offensive de Daech, le récit nous plonge dans l’horreur des enlèvements, de l’esclavage sexuel, des camps, mais aussi dans la force incroyable de celles qui survivent et résistent. On y découvre l’histoire d’un génocide trop souvent ignoré, et une communauté qui tente de préserver sa culture face à l’anéantissement. Une lecture difficile, nécessaire, qui rappelle que derrière chaque conflit se trouvent des vies brisées, des identités menacées et une humanité qui essaie, malgré tout, de tenir debout.
Alors, tu ferais quoi, toi, Tata Danièle à leur place ? N’es-tu pas la première à dire : “S’il y a la guerre, je me barre sur une île sans problème” ? Eux, l’île, ils s’en fichent pas mal. Ce qu’ils cherchent, c’est juste la vie sauve.
…. ou hier
Parmi les grands classiques des romans graphiques, il y a évidemment les 6 tomes de L’Arabe du Futur, dans lesquels Riad Sattouf raconte son enfance ballotée entre la Bretagne, la Libye de Kadhafi et la Syrie d’Hafez Al-Assad.
On y explore les absurdités politiques, la violence sociale, le contrôle des régimes autoritaires, la difficulté de se construire et de grandir en épousant chacune de ses différentes cultures, ou l’impact d’une géopolitique compliquée sur la vie d’un enfant en construction. Un témoignage précieux sur ce que signifie vivre et grandir au cœur de pays souvent réduits à des clichés que l’on répète sans les connaître. Et les clichés, tata Danièle, ça ne te ferait pas de mal de les mettre de côté de temps en temps.
Alors que certaines chaînes d’info de droite préfèrent détourner le regard, le peuple palestinien vit aujourd’hui un génocide dont les racines sont bien plus anciennes qu’on ne le raconte aux repas de famille. Les Origines du conflit israélo-arabe (1870–1950) de Daniele Masse, Georges Bensoussan et Yana Adamovic tentent de remonter à l’origine longue, complexe, et trop souvent caricaturée de ce conflit.
On y découvre qu’il ne naît pas en 1948 mais dès la fin du XIXᵉ siècle. Le livre explore, avec rigueur et clarté, les tensions qui s’accumulent sous l’Empire ottoman, puis sous le mandat britannique, jusqu’à la radicalisation des années 1930. Une BD dense mais limpide, indispensable pour comprendre comment un affrontement contemporain peut prendre racines plusieurs siècles en arrière.
Faites lire ça à Tata Danièle, pour nous éviter à tous et toutes ce long moment gênant entre la poire et le fromage, quand elle tente de réécrire l’histoire en citant les “analyses” d’un Pascal pas très Pro.
Pour lui prouver que la mixité et le vivre ensemble sont le terreau des meilleures histoires
Dans La Guerre des Voisins, Mikko imagine un immeuble pas comme les autres… Dans ce dernier, c’est toute l’humanité qui cohabite. Chaque étage est un continent, l’accès à l’eau est inégalement réparti, et les voisins voient un Vladimir tranquillement essayer de voler la salle de bain de Volodimir, sans l’accord de la copro. Pendant que la chaudière entre dangereusement en surchauffe, l’auteur raconte et vulgarise avec beaucoup d’humour notre géopolitique actuelle.
En parlant d’immeuble… Salim Zerrouki nous ouvre les portes de l’immeuble algérien dans lequel il a grandi aux côtés de Russes, d'Allemands de l’Est, de Cubains et d’Algériens. Tout comme le roman graphique éponyme, cette habitation s’appelle Rwama, traduction littérale de “Les Français” en algérois. C'est depuis cette cité atypique, durant la dictature de Houari Boumediene en Algérie, que l’auteur nous livre ses souvenirs d'enfance et d'adolescence avec sensibilité et humour.
Dans Manouche Manouche, Johann G. Louis raconte l’été d’Antoine, 18 ans, envoyé chez sa tante à la campagne dans les années 80. Quand une communauté de gens du voyage s’installe près du village, il découvre un monde que les adultes autour de lui caricaturent sans même le connaître. À travers une rencontre solaire avec un jeune Tsigane au regard sombre, le roman graphique dévoile la beauté, la culture et la dignité d’un peuple qu’on préfère trop souvent réduite à des clichés.
De quoi faire réaliser à tata Danièle que son racisme vise aussi ceux qui ont toujours été là, mais qui sont depuis le début, invisibilisés par les préjugés.
Wax Paradoxe suit Sophia, étudiante en design textile, qui doit étudier le wax pour son mémoire. À travers son travail, ses rencontres et la découverte des usines Vlisco, elle comprend peu à peu la complexité de ce tissu né de la colonisation. Dans Wax Paradoxe, Justine Snow tisse, à travers ce tissu iconique, des messages qui parlent d’identité, d’histoire et de transmission. Le wax devient alors un pont entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie, et un miroir de la propre quête d’identité de l’héroïne. Pour Tata Danièle, c’est l’occasion de voir que nos cultures, nos histoires et nos héritages s’entremêlent, et que la part des Français dans ces histoires communes, est souvent la plus honteuse.
Pour lui rappeler que ses propres idoles combattaient déjà le racisme
Ici, on fait un pas de côté, et on aborde la lutte contre le racisme d’une manière originale ! Dans Chansons rebelles, 12 morceaux qui ont changé leur époque, Vincent Bruner et Karim Friha, explorent les titres qu’on écoute encore aujourd’hui, mais qui ont eu un impact considérable à leur époque. Parmi les 12 chansons analysées et racontées, on retrouve Strange fruit de Billie Holiday (1939) qui évoque le lynchage d’adolescents noirs par une foule, et dénonce le racisme profond de la société américaine. Cette chanson a raisonné dans plusieurs luttes pour les droits civiques, et notamment lors du mouvement Black Lives Matter.
Les autres chansons dénoncent les violences policières, le harcèlement, ou le sexisme. Mais pas de crainte, une petite piqûre de rappel sur ces grandes problématiques de société ne feront pas de mal à Tata Danièle. Au contraire.


