La santé est un secteur complexe et cloisonné, qui fait face à… Non non non ! Fini ce genre de phrases qui donnent aux sujets liés à la santé une tournure si ennuyeuse. La santé ce n’est pas que l’odeur d’hôpital et les noms barbares de maladies ou de médicaments. La santé aujourd’hui, c’est un patch collé sur la peau qui mesure en continu la glycémie des diabétiques, c’est des data scientists qui font tourner des algorithmes sur des teraoctets, de données pour prédire les risques de cancer, c’est encore l’arrivée de la géolocalisation à l’intérieur de l’hôpital pour en finir avec les heures perdues à errer dans les couloirs, ou un diplôme universitaire de patient-expert qui transforme l’expérience du patient face à sa maladie en compétences à valoriser…
Voilà, la santé se transforme et passionne, elle change de visage et ses enjeux évoluent. Soigner, prévenir les maladies, adoucir les traitements, accompagner les patients et leurs proches, faciliter l’inclusion du malade dans la société… L’humain est au coeur des vocations et pourtant les multiples enjeux ne permettent pas toujours de répondre à ses besoins. Comment, ensemble, le replacer au coeur de toutes les démarches ?
Pour répondre à cette question, makesense lance What health?, programme ouvert aux citoyens, entrepreneurs et acteurs de la santé. Notre vision ? C’est en créant ensemble des projets concrets que nous trouverons les solutions aux défis d’une santé pour et autour de l’humain.
Nous vous proposons de partir à la rencontre de celles et ceux qui sont au coeur de ces problématiques et participent à faire évoluer ce secteur, avec une série d’interviews.
Et pour inaugurer cette série, nous avons réussi à rencontrer une médecin urgentiste, la directrice médicale d’une plateforme universitaire innovante, la fondatrice d’une communauté en ligne sur la e-santé et une consultante, réunies en une seule personne. Vous ne nous croyez pas ? Attendez de lire.
Bonjour Cécile ! Un exemple en tête d’une situation où tu t’es dit « là il faut vraiment changer les choses » ?
J’ai choisi la voie d’une double carrière dès mon externat, en entendant à l’époque les médecins pester contre Doctissimo et Internet sans voir que bien sûr, Doctissimo est à fuir, mais que le concept en lui-même (l’accès à l’information et au partage des connaissances) était révolutionnaire. Puis par exemple le jour où j’ai découvert la « coupe menstruelle connectée », et que ce n’était pas une blague. C’est une coupe menstruelle féminine garnie d’un circuit qui envoie à une application smartphone la quantité en ml de menstruations recueillie. Suand je pense à toute la capacité intellectuelle et à l’argent gâché… ou encore la tétine connectée : un circuit intégré dans la tétine (donc dans la bouche de votre enfant) prend en continu la température. Sauf que l’objet n’est pas un dispositif médical et n’est donc pas fiable. Quel intérêt de prendre une fausse température de son enfant en permanence, de stresser pour rien ou être rassuré à tort ? C’est n’importe quoi, il ne peut pas y avoir de médecin derrière ces concepts !
J’ai découvert la « coupe menstruelle connectée », et que ce n’était pas une blague. C’est une coupe menstruelle féminine garnie d’un circuit qui envoie à une application smartphone la quantité en ml de menstruations recueillie.. quand je pense à toute la capacité intellectuelle et à l’argent gâché…
Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Je suis médecin aux urgences pédiatriques de l’hôpital Robert Debré à Paris et directrice médicale du département universitaire de simulation en santé iLumens Paris Descartes. Ayant à cœur un développement des nouvelles technologies en santé à haute valeur ajoutée et éthique, j’ai créé la communauté Facebook « Eppocrate » début 2015, qui vise à créer un espace de discussion et rassembler l’écosystème tech & médical français. J’ai également une petite activité de consultante en e-santé.
Tu as donc plusieurs casquettes. Qu’est-ce que cela t’apporte dans ton métier de médecin ? Comment utilises-tu cette complémentarité ?
Mes activités se nourrissent les unes des autres. Mon métier est de soigner, que ce soit au niveau individuel par ma pratique quotidienne, ou à une échelle plus large, via la simulation en santé afin de mieux former les étudiants, et en essayant de favoriser l’émergence de nouvelles solutions de « e-santé » pertinente dans l’exercice de la médecine. Ma pratique « classique » m’aide à comprendre les besoins du terrain, à appréhender les difficultés rencontrées par les patients et les soignants. Je travaille actuellement en milieu hospitalier, mais j’ai fait beaucoup de remplacements en médecine générale en milieu urbain comme rural par le passé. C’est crucial pour développer des solutions vraiment adaptées et non de simple gadgets « bien-être » ou des solutions à expérience utilisateur catastrophique.
Cécile Monteil est médecin aux urgences pédiatriques, directrice médicale du département d’innovation en santé de Paris Descartes, consultante et fondatrice de la communauté Eppocrate.
Selon toi, comment se développent ou évoluent les liens entre milieu médical et entrepreneurs de la santé ?
Il existe clairement un fossé entre le monde médical et technologique. Les professionnels de santé n’ont aucune formation en e-santé. Les informations qu’ils ont sont celles des médias, qui clament à tout va la disparition annoncée des médecins, vieux dinosaures corporatistes. Ou encore que le médecin de demain devra analyser les tonnes de données provenant des objets connectés des patients (quand, entre 2 heures et 4 heures du matin ?). Ils ont pourtant d’excellentes idées de solutions e-santé, mais aucune formation ni temps pour les mettre en application.
De l’autre côté, les entrepreneurs (souvent jeunes et en bonne santé) ont tout un tas d’idées et une forte agilité pour développer de nouveaux outils, mais qui sont au final rarement adaptés à la vraie vie.
Heureusement, les choses commencent vraiment à évoluer. Des DU (diplômes universitaires) e-santé apparaissent, des meetup, hackathons, challenges et autres initiatives se développent et rassemblent enfin les deux écosystèmes. Les patients, qui sont les premiers concernés, sont également de plus en plus impliqués !
Les entrepreneurs (souvent jeunes et en bonne santé) ont tout un tas d’idées et une forte agilité pour développer de nouveaux outils, mais qui sont au final rarement adaptés à la vraie vie.
Aujourd’hui, le patient a-t-il une place dans le système de santé, au-delà de son rôle « passif » de personne malade ? Quelles seraient tes idées pour lui donner un rôle plus utile, mieux valoriser son expérience ?
Pas de patients, pas de système de santé ! Notre système de santé, tout comme les outils de e-santé doivent être conçus par tous les acteurs : patients, soignants et administratifs, main dans la main. C’est complexe et compliqué mais c’est comme ça si nous voulons faire avancer les choses. Il faut plus de patients consultants ou partie intégrante dans les start-ups, les instances de décisions etc. A mon sens, le patient n’est pas « au centre » comme on l’entend souvent, cela me fait penser à une piste de cirque où il serait au milieu et scruté par le public de soignants et autres.
Il faut plus de patients consultants ou partie intégrante dans les start-ups, les instances de décisions.
Il fait partie de la boucle de soins au même titre que les autres acteurs. Ceci avec tout de même une limite inhérente au patient lui même qui est celle de sa volonté d’implication. Certains patients sont très proactifs, d’autres préfèrent s’en référer au soignants et il faut aussi respecter leur choix. Être malade peut être un fardeau lourd porter, et prendre toujours plus de responsabilités n’est pas forcément facile, les gens en bonne santé l’oublient facilement…
A mon sens, le patient n’est pas « au centre » comme on l’entend souvent, cela me fait penser à une piste de cirque où il serait au milieu et scruté par le public de soignants et autres. Il fait partie de la boucle de soins au même titre que les autres acteurs.