Sortir de sa bulle : voici la nouvelle tendance 2024. Ou du moins on l’espère. Les récentes (presque) catastrophes électorales sont les gouttes qui font déborder le vase déjà tellement plein de nos réflexions existentielles. Adieu les belles paroles, finis les grands discours, finis les rassemblements entre-gens-qui-likent-les-mêmes-pages-insta, tordons sans peur le cou à cette idée, cette pente diablement glissante qui nous fait croiser uniquement celles et ceux qui nous ressemblent. Pour ça, voici 20 pistes géographiques, 20 espaces où les bulles éclatent facilement et où des gens qui n’étaient pas censés se parler créent quelque chose d’inédit. Aussi simple que crucial.
Les trajets qui mettent en mouvement
- Le bon vieux trajet blablacar
La Rochelle - Angers. 2h30 sans les péages. C’est long et court à la fois. Et vous faites ce trajet tous les weekends. Et pendant 2h30, tous les weekends, c’est la loterie, le kinder surprise humain. Étudiants, mère et fils, un retraité sans permis, deux joueurs de tennis en direction d’un tournoi en Anjou, vous les avez vu s’asseoir à vos côtés sur la banquette arrière et jamais les conversations n’ont été les mêmes. Parfois, ça cale vite, surtout si tiktok s’invite pendant le trajet. Et puis parfois, ça décolle, mystérieusement. On sait qu’on ne se reverra sûrement pas, on sait qu’on n’a pas grand chose à perdre, et alors les conversations se déploient, on parle du monde, on parle de nos vies. Et les bulles n’existent plus.
- Ta glorieuse voisine dans le Flixbus
Ne nous mentons pas, Flixbus, c’est aussi peu cher qu’inconfortable. Alors, il faut réussir à transformer le bof en beau. Et ça commence souvent par un petit regard, deux yeux qui se plissent et qui disent à notre voisine du jour “vous avez vu, on est assis à côté, c’est fou non ?”. A partir de là, tout se joue dans les 5 premières minutes, si vous vous taisez, le silence sera de mise tout du long. Si au contraire, vous avez l’énergie de lancer un petit “vous partez en vacances ?” au début du trajet, alors vous vous offrirez les délices d’une page blanche humaine. Et les bulles n’existent plus.
- Le carré d’or du train ou du métro
Si cette situation vous arrive, sachez que c’est le jackpot : 4 bulles qui pètent simultanément. Et cette merveille survient souvent au beau milieu d’un imprévu. Un train bloqué sur la voie, une rame de métro plongée dans l’obscurité pendant 34 minutes, un tram qui ne veut pas redémarrer… et forcément on commence à souffler, bras-dessus, bras-dessous, jusqu’à se serrer les coudes, en se lançant des regards entendus “ils exagèrent quand même”. Et comme un espace s’ouvre, quelqu’un, vous par exemple, va finir par s’y engouffrer. Et face à face, une conversation va commencer, comme par magie. Et les bulles n’existent plus.
Une équipe de foot de l'association Kabubu, qui favorise l'inclusion sociale des personnes exilées grâce au sport.
Le dehors qui aère de l’intérieur
- Le foot du dimanche
C’est presque trop facile. Météo ensoleillée, gazon coupé à ras, vous vous baladez au bord du terrain et observez ce groupe qui joue à 7. 7, c’est dommage, à une personne près, le 4 contre 4 était possible. À vous de jouer. Et après avoir bien sué avec ces inconnus, viendra le temps du vestiaire, de la bière, des étirements… et donc des blagues, et donc de la vie, et donc du monde. Et les bulles n’existent plus.
- Le banc d’un parc ou une forêt
Tentez l’expérience. Vous avez devant vous 1 heure. Vous vous asseyez sur un banc, et vous attendez. Sans téléphone. Sans même un bout de livre. Vous attendez, vous regardez et vous guettez. Vous guettez cette personne qui va venir vous parler. Et elle viendra, c’est sûr. Quand on ouvre une porte, il y a toujours quelqu’un pour passer sa petite tête. Et sur un banc, le paysage aide à fluidifier la conversation, à la rendre plus ouverte, plus audacieuse. Et les bulles n’existent plus.
- La plage en été
Le ressac, l’air iodé, le temps libre, le bleu du ciel, il doit y avoir dans ces quelques ingrédients quelque chose de décomplexant, d’enfantin. Et, les pieds dans l’eau, le cœur léger, le google calendar fermé, la conversation vient avec le premier inconnu en maillot de bain à votre droite. Et les bulles n’existent vraiment plus.
Profondeur de l’attente, douceur de l’attente
- La gare, scène de film inévitable
Mais si, vous avez forcément été effleuré par un embryon de scénario cinématographique - où bien-sûr vous étiez dans le rôle du héros ou de la héroïne - scénario qui se déroulerait au beau milieu d’une gare. 40 minutes avant le départ du train. 40 minutes où cet inconnu, juste à côté de vous, va devenir l’amour de votre vie. Ou pas hein. 40 minutes qui vous inspireront peut-être autant qu’elles ont inspiré “la part manquante” pour Christian Bobin.
- La file d’attente des courses ou la boulangerie
Croissant ou chausson aux pommes ? Essayez de sonder cette personne qui attend à vos côtés sur son choix du jour. Et dans une boulangerie, vous verrez que sa réponse sera sûrement souriante et gorgée de douceur saveur beurre fondu.
- Chez le médecin
C’est un espace très particulier, intime, respectueux, intimidant même. On attend, on s’apprête à se faire soigner pour “quelque chose”. Alors forcément, il existe avec nos co-patients, une sorte de complicité, terreau fertile au lien. Le moment est donc venu de tenter un petit regard, un mot, tout simple et de voir si l’étincelle déclenche un feu réchauffant.
La mangeaille en pagaille
- C’est bon ?
Rien de plus beau qu’un humain qui se régale, seul face à son sandwich, sa salade ou sa part de quiche. Regardez-le déguster l’instant et épicez-le d’un simple “ c’est bon ?”. Et facilement la réponse viendra. Et la petite blague. Et plus si affinité.
- La terrasse ou le comptoir
On prend les mêmes et on recommence. En terrasse, rayon de soleil caressant votre touffe de cheveux mal réveillée. Et la fumée de votre café qui se mélange à celui de votre voisin. Et là, vous savez qu’il suffit de trois mots pour ouvrir une conversation forcément réconfortante. Ou dérangeante. Ou étonnante. Vivante quoi.
- Vous voulez goûter ?
Celle-là est osée. Cela marche avec un sachet de cacahuètes, avec une grappe de raisin, avec des parts de brownie ou encore avec des petits morceaux de comté. Si vous êtes en train de picorer, et que vous sentez l’envie dans les yeux d’un inconnu, faites votre grand seigneur et dites simplement “vous voulez goûter ?”. La surprise d’abord, le rire certainement derrière, et peut-être un timide “oui” vous sera renvoyé. Un délice.
La politesse surprise
- À vos souhaits
La simplicité ultime. Une personne passe et éternue. Vous lui lancez un fougueux “à vos souhaits”. Et sur un malentendu, vous déclencherez peut-être une rencontre non-imaginée par le destin.
- Je vous aide ?
Mais si vous avez le temps. Mais si vous pouvez faire ce détour. Mais non vous n’êtes pas attendu à 19h00 pile. Lancez cette perche à ce type qui galère avec ses 3 valises. Sur 200 mètres, vous aurez carte blanche pour parler avec lui de sa vie, de la vôtre, du monde aussi. Les valises, plus c’est lourd, plus c’est passionnant.
- Vous allez bien ?
À la caisse du supermarché, le caissier passe méthodiquement vos fruits, les pèse, baille légèrement. Et au lieu de vérifier vos whatsapp comme les 432 clients précédents, vous articulez un simple “vous allez bien ?”. Et certes, la conversation ne sera pas longue, mais elle se prolongera peut-être lors de votre prochain passage. Et celui d’après. Et ainsi de suite.
- Vous ne dormez pas bien en ce moment ?
Quelqu’un qui baille, justement. Ça arrive souvent. Et comme l’éternuement, c’est une brèche facile, presque poétique. Il suffit d’enchainer sur la question du sommeil et vous verrez que beaucoup de gens adorent parler de leurs cycles, de leurs insomnies. Tous les humains dorment, alors allons-y gaiement.
Les sachants
- Engager la conversation avec les petits princes
Nous les adultes avons perdu notre capacité à être en relation sans une épaisseur infinie de conventions et de stress. Alors demandons à ceux et celles qui n’ont pas encore oublié comment ça marche : les jeunes, les très jeunes. À ce ptit gars qui tente de construire un tipi avec quelques branches de saule, à cette apprentie humaine qui creuse une galerie menant vers nulle part, vous allez adresser la parole. Et les parents viendront se mêler à vos bavardages. Et les petits princes vous auront ré-appris ce que veut dire “être un animal social”.
- Aboie et à manger
Oui, c’est le début des 101 dalmatiens, non Walt Disney ce n’est pas la vraie vie. Mais parfois si. Les chiens sont des fils étonnants entre nous. Et eux ne font pas la différence entre un maître de gauche et un maître de droite, un maître pauvre et un maître riche.
- Le sage du coin de la rue
Finissons par ceux et celles qui nous aident à ralentir les aiguilles de notre montre, ceux et celles qui sont “jeunes depuis longtemps que nous”. Nos aînés sont partout, souvent invisibles. Et pourtant rien de tel que leurs vies pour sortir de nos petits schémas, de nos croyances étroites, rien de tel que leurs histoires pour questionner la nôtre. Et nos bulles laissent la place à des traits d’union.