Telle est la vie chez moi, lettre aux citoyens des nuages

Telle est la vie chez moi, lettre aux citoyens des nuages

Il y a quelques semaines, le collectif Bonne Vie a lancé un concours d’écriture du futur. Objectif ? Donner à voir les bons côtés de notre bonne vieille terre. Jeanne Pélisson l’a remporté haut la main et en alexandrins.
22 March 2024
par Jeanne Pélisson
3 minutes de lecture

Nous sommes en 2035, une connexion a été établie avec une civilisation extraterrestre. Un programme d’échange est en cours d’élaboration pour recevoir une dizaine d’individus sur notre planète en échange de l’envoi de 10 humains. Pour leur montrer à quel point la vie est bonne sur Terre, les extraterrestres seront accueillis dans un village écologique et participatif emblématique de notre monde. Malheureusement, la Terre souffre d’une réputation désastreuse décourageant les extraterrestres de postuler. Dans le cadre du concours d’écriture Bonne Vie, Jeanne Pélisson a remporté la mission : rédiger un texte destiné aux extraterrestres, pour les inciter à participer au programme d'échange.

Nébuleuses, Nébuleux, citoyens des nuages,

Vous qui pourriez demain découvrir nos visages, 

Écoutez mon appel, surpassez vos émois,

Permettez qu’à vos yeux, je montre quelques joies :


La chaleur du soleil qui nous effleure soudain,

Au détour d’un chemin dans l’hiver cristallin,

Et nos poils qui se dressent, chatouillés par son feu,

Sachez qu’ici sur terre, un rien nous rend heureux.


Le ramage des oiseaux et le son des torrents,

La mélodie du vent dans les feuilles du printemps,

Et la branche qui craque sous le poids d’un geai bleu,

Sachez qu’ici sur terre, un rien nous rend heureux.


La couleur des cosmos et des herbes sauvages,

Des renards du jardin au rutilant pelage, 

Et du soir de l’été sur nos corps amoureux,

Sachez qu’ici sur terre, un rien nous rend heureux.


L’odeur du pétrichor, la terre après la pluie,

Celle qui vient des entrailles, des peuples endormis,

Qui nous rappelle nos pères et leurs mères avant eux,

Sachez qu’ici sur terre, un rien nous rend heureux.


Nébuleuses, Nébuleux, citoyens des nuages,

D’après qui nous ne sommes qu’une terre de sauvages, 

Peut-être croyez-vous, qu’à nos têtes sont les fous, 

Qui jadis bataillaient : bijoux, cailloux, joujoux.


Mais 10 ans ont passé, une décennie terrestre,

Et le monde a vu naître les enfants sylvestres,

Dynastie paysanne qui nous fraya la voie,

Permettez qu’à vos yeux, je montre quelques joies :


La pousse discrète et lente des arbres centenaires, 

Et le compagnonnage des plantes potagères, 

L’aneth et le melon, la ciboulette et l’ail, 

Qui inspirèrent aux Hommes la fin du mot « travail » 1 .


Une guitare qui chante, l’odeur boisée des livres, 

Deux chopes qui s’entrechoquent, un baiser qui enivre, 

Un fauteuil confortable, le temps d’une caresse, 

Qui murmurèrent aux Hommes le droit à la paresse 2 .


Et les liens qui nous lient, et les mains qui se tendent, 

La symphonie des rires et des poires qui se fendent, 

L’énergie de la danse et le parquet qui tremble, 

Qui insufflèrent aux Hommes l’idée du vivre ensemble 3.


Un murmure d’étourneaux qui valsent dans le ciel, 

Le spectacle inouï du ballet de leurs ailes, 

Et les murmurations 4 de tous nos écolieux,  

Qui redonnèrent aux Hommes le pouvoir de leurs vœux.


Alors amis du ciel, citoyens des nuages, 

Affrétez un vaisseau, préparez vos bagages, 

Et je guiderai vos pas à travers la campagne, 

Que nos vies vous séduisent et que l’amour vous gagne.


Que vous mettiez les mains dans le suc de la terre, 

Que vous tendiez l’oreille aux histoires de vos frères, 

Et que la bouche en coeur et le coeur d’artichaut, 

Vous fassiez de Gaïa votre nouveau rafiot.


Que vous participiez aux apéros communs 5,

Dédiez le lendemain à Germaine et Firmin, 

Suiviez quelques panneaux, d’antan publicitaires, 

Direction un jardin, une asso, ou la mer.


Et que vous regardiez le zénith étoilé,  

Qu’une pensée vous traverse pour les âmes de Céphée,  

A qui vous aimeriez transmettre la teneur, 

De cet état nouveau, que l’Homme appelle bonheur.


Nébuleuses, Nébuleux, citoyens de passage, 

Vous qui verrez demain l’éclat de nos visages, 

Écoutez mon appel, surpassez vos émois, 

Telle est la vie des Hommes, telle est la vie chez moi.

  1. En 2035, la notion de travail (du latin « torture ») est délaissée au profit des métiers (du latin « service ») et remet au centre la question de l’utilité. Le RUT, Revenu Universel pour la Transition est instauré, ainsi que la semaine de 15h.  
  2. Avec le RUT et la semaine de 15h vient le droit à la paresse. Les individus peuvent choisir d’exercer plus d’heures de leur métier, effectuer 2 du bénévolat dans différentes associations du territoire, s’adonner à leur(s) passions ou s’acagnarder au coin du feu. 
  3. Plus de temps libre, de nature, et une vie associative plus riche ont renforcé les liens entre les humains et le reste des êtres vivants. Une 3 culture « tribale » (des humains, des plantes et des animaux d’un même territoire) s’est développée et a favorisé l’émergence d’écolieux.
  4. Les murmurations sont les principes et les lois qui régissent les collectivités autogérées et participatives, à la manière des étourneaux.
  5. En 2035 les apéros communs sont des temps collectifs hebdomadaires de vie démocratique et citoyenne.