Tous les Dakarois connaissent Mbeubeuss, la ville-décharge qui s’étend sur 170 hectares et où viennent se déverser plus de 5000 tonnes de déchets par jour.
J’ai eu la chance de visiter cette ruche fascinante aux défis complexes, accompagné de 4 étudiants qui travaillent sur le sujet: Souadou est une étudiante qui a monté le projet de récupération de pneus E-cover, Assan se lance dans la méthanisation. Enfin il y a Antoine et Thomas, les 2 ingénieurs fous de Recube qui effectuent en ce moment même leur tour du monde de mesure d’impact de l’économie circulaire.
On prend un café Touba sous une tente à l’entrée de la décharge de Mbeubeuss en attendant que nos rendez-vous arrivent. On y croise Mohammed, responsable de l’intégration social des collecteurs qui nous introduit à la complexité de son travail entre deux boutades à la patronne.
Mbeubeuss, ou la ville inversée
Mbeubeuss, c’est le nom de la décharge où finissent tous les déchets qui ont été collectés dans la région de Dakar. C’était à l’origine un petit lac que l’on voulait damer pour réaliser un nouvel aéroport mais la seule chose qui aie jamais atterri ici ce sont les poubelles. Il arrive chaque jour 300 camions bennes encore affublés des noms des collectivités et entreprises françaises à qui ils ont été rachetés. Les opérateurs vérifient le poids à l’entrée et à la sortie sur un pont bascule, la conformité au chargement déclaré, la provenance, si ce sont des déchets ménagers, et l’autorisation si ce sont des déchets professionnels. Les sociétés de collectes sont payées en fonction des reçus émis par UCG, l’entreprise à qui l’Etat, par des dispositions réglementaires spécifiques à Dakar, a confié la gestion des déchets tant l’insalubrité de la ville posait problème.
Qu’on se le dise, Mbeubeuss ne répond pas aux normes sanitaires de base : il n’y a pas ici de filets pour empêcher les sacs plastiques de s’envoler, aucun système de récupération du du méthane ou du lixiviat (poser ce mot au Scrabble et mourir). Il faut composer avec un site qui n’avait pas vocation à prendre cette ampleur, coincés entre une zone résidentielle et une zone naturelle. Les défis de l’entreprise UCG pour composer avec les contraintes sont donc nombreux : il faut condamner l’accès de certaines parties et de certaines pratiques pour limiter les nuisances subies par les riverains, faire évoluer les comportements pour éviter les dépôts sauvages, éviter les éboulements ou les enlisements, recruter des agents compétents et éviter que les budgets alloués ne servent à enrichir la sphère politique.
Mbeubeuss a ses quartiers, une mosquée, un hôpital, un restaurant, des zones spécialisées, et même des titres de propriété
Plus qu’une décharge, Mbeubeuss une ville, le double inversé de Dakar, avec ses lois et son économie propres. Une ville qui semble aujourd’hui indéboulonnable: un plan de financement de la banque mondiale avait prévu la fermeture du site pour installer un système de captation de gaz. Il avait été farouchement combattu malgré les sommes proposées en dédommagement. Le manque à gagner pour les 3000 collecteurs de Mbeubeuss était trop important et le projet est parti à la corbeille. Le gestionnaire d’UGC nous le dit sans détour: ce sont les collecteurs qui sont les maîtres de la décharge, il faut les impliquer et faire de la conciliation lorsque certaines zones doivent être fermées. Mbeubeuss a ses quartiers, une mosquée, un hôpital, un restaurant, des zones spécialisées, et même des titres de propriété informels résultant de l’occupation depuis de nombreuses années que l’on peut utiliser en négociant le déversement de certains chargements, louer et même revendre ce qui est collecté.
Des gens de tous âges viennent s’accrocher aux camions bennes qui roulent à tombeau ouvert vers le site de déchargement, l’objectif est d’être parmi les premiers à l’ouverture de la benne ou après le passage du bulldozer pour récupérer les matériaux les plus intéressants. Tous armés de crochets, derrière des turbans et des lunettes, au milieu des fumés, du vacarme, les récupérateurs s’affairent dans un paysage qui surpasse de loin les scènes de Mad Max. Le travail est exténuant et les accidents sont monnaie courante mais il y a une dignité et une fierté très fortes chez tous ceux que l’on croise. La majeure partie de ce qui est recyclable est triée et redirigée vers les filières de recyclage appropriées. Lors d’une étude menée sur Mbeubeuss, c’est plus d’une centaine de métiers différents qui ont ainsi été recensés selon que l’on aie des activités de collecte, de stockage, revente, ou de service.
Et si le futur des collecteurs n’était pas irrémédiablement lié à la décharge?
Mbeubeuss n’a pas bonne presse. Il y a ceux par exemple qui brûlent des ordures la nuit pour récupérer le métal (les « lakete men » comme on les appelle ici) : leur activité créé des fumées toxiques et peut entraîner des départs de feu qui inquiètent les riverains. Malgré l’utilité sociale et écologique de leur travail de tri sélectif, les collecteurs souffrent de la stigmatisation et du dénigrement de la population. Bankass, le Président de l’association a mis à disposition les locaux de l’association des collecteurs pour servir de salle de cours pendant les travaux de l’école afin d’améliorer les relations mais de nombreuses autres actions pourraient être envisagées pour améliorer l’image des collecteurs.
Certains prônent la mise en place d’un système de tri collectif à Dakar, mais Zidane (le Vice-Président de l’association, pas le joueur de foot) s’inquiète du fait que si les ordures ne sont plus mélangées, les matériaux les plus intéressants risquent de ne plus arriver jusqu’à Mbeubeuss, ce qui pénaliserait les collecteurs qui y vivent. Pour Bankass à l’inverse, le futur des collecteurs n’est pas irrémédiablement lié à la décharge qui comporte des dangers pour la santé et des solutions de collecte différenciée, en pied d’immeubles seraient envisageable notamment en formant les plus jeunes. Le défi serait alors d’imaginer quel système de tri sélectif permettrait de bénéficier en priorité aux gens vivant sur Mbeubeuss.
Les collecteurs font un métier difficile mais ne touchent qu’une fraction de la valeur de leur travail car ils revendent des matériaux bruts à des intermédiaires qui imposent les prix d’achat. Trône sur le bureau de l’association un pavé fait de sable et de plastique, que Bankass nous présente comme un débouché possible, au même titre que du compost ou d’autres pistes de plus-value économique qui n’ont pas abouti. Quelles sont les activités de transformations qui pourraient assurer aux collecteurs de Mbeubeuss un meilleur revenu ? De plus en plus d’entreprises, institutions, makers comme Proplast, l’IAM, Faro et Amazing Waste project se veulent toutes des laboratoires de collaborations avec Mbeubeuss pour mieux collecter, trier et valoriser ces milliers de tonnes d’or dur.